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Grève : les « Gilets jaunes » de la SNCF

La mobilisation prévue ce week-end à la SNCF n’est pas imputable aux syndicats, mais à un mouvement informel de contrôleurs assez… incontrôlable.

Par Michel Revol
Employes de la SNCF le 2 decembre, durant la greve des controleurs, a la gare Matabiau (Toulouse)
Employés de la SNCF le 2 décembre, durant la grève des contrôleurs, à la gare Matabiau (Toulouse) © LIONEL BONAVENTURE / AFP

Temps de lecture : 4 min

Pour une fois, les syndicats n'y sont presque pour rien. La CGT, Sud Rail, la CFDT ou encore l'Unsa ne sont pas à l'origine de la grève qui paralyse une partie du réseau grandes lignes (TGV et Intercités) ce week-end, et peut-être ceux de Noël et du jour de l'an. Ils se sont raccrochés à un mouvement informel des ASCT (les Agents du service commercial train, c'est-à-dire les contrôleurs), né d'abord sur une page Facebook réunissant quelque 3 000 d'entre eux, selon Le Monde. « Ce sont les Gilets jaunes de la SNCF ! » observe Gilles Dansart, expert du secteur ferroviaire et responsable de la lettre spécialisée Mobilettre.

Les contrôleurs se sentent délaissés. Les conducteurs de train bénéficient depuis cette année du statut d'agent de maîtrise, pas eux. Ils disent aussi souffrir d'un manque de considération, de moyens, d'argent, et pestent contre les conditions de vie auxquelles ils sont soumis, dont de nombreuses nuits hors de chez eux (une dizaine par mois)… « Les contrôleurs sont en première ligne dans les trains. Ils subissent les conséquences des désagréments que vivent les voyageurs, comme les toilettes bouchées ou l'absence de clim », explique Didier Mathis, le secrétaire général de l'Unsa Ferroviaire.

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Mais les contrôleurs ont court-circuité les organisations syndicales, pourtant puissantes à la SNCF. Depuis la réforme Macron de 2020 créant un unique Comité social et économique, les cheminots sont, disent les syndicats, moins en contact avec leurs représentants du personnel, noyés dans cette nouvelle structure. De plus, la SNCF est désormais organisée en filiales (SNCF Réseau, SNCF Gare et Connexion, SNCF Voyageurs…), qui morcelle aussi les forces syndicales.

Enfin, les syndicats de cheminots semblent de plus en plus inadaptés. La CGT, premier syndicat de la SNCF, est très centralisée et n'associe pas assez les militants ; l'Unsa représente surtout les cadres ; FO ne dispose que de quelques bastions… Les contrôleurs se sont donc organisés eux-mêmes, afin de défendre leur propre corporation. C'est la première fois depuis 1986 qu'un tel mouvement informel naît au sein de l'entreprise ferroviaire. À l'époque, les cheminots du fret, pour l'essentiel, s'étaient battus contre la réforme « Radio sol train », qui remplaçait un deuxième conducteur par une liaison radio.

Le problème, c'est qu'on ne peut pas revendiquer n'importe comment au sein d'une entreprise. Il s'agit d'être organisé, et représentatif des salariés. Les contrôleurs ont donc pris langue avec les syndicats, afin qu'ils défendent leurs revendications auprès de la direction. Sud Rail et la CFDT, qui correspondent le plus à leur mode d'action, les ont pris sous leur aile. Le 2 novembre, les deux syndicats ont déposé un préavis de grève pour les week-ends du 2 au 5 décembre, du 23 au 26 puis du 30 au 2 janvier ; l'Unsa et la CGT les ont ensuite rejoints.

Quand la CGT calme les ardeurs des grévistes

Au préalable, il a fallu que ces syndicats négocient avec… les contrôleurs. C'est le travers des actions spontanées : leurs leaders ne sont pas forcément rompus à l'art de la négociation ni aux subtilités d'une entreprise comme la SNCF. « Il y avait à boire et à manger dans leurs revendications, il a fallu trier ! » se souvient, un peu effaré, un leader syndical. Les contrôleurs voulaient par exemple que la SNCF leur verse un intéressement à la hauteur de celui octroyé à ses salariés par TotalEnergies, qui a engrangé de solides bénéfices grâce à l'envolée des prix de l'énergie… « Il a fallu leur faire comprendre que la SNCF, ce n'est pas exactement Total ! » témoigne un syndicaliste.

De façon assez paradoxale, Sud Rail ou la CGT ont donc dû calmer les ardeurs des contrôleurs. « Même la CGT est habituée à la culture de négociation, alors que ces grévistes disent : On veut obtenir ce qu'on revendique. Le problème, c'est que ce mouvement fait face à une direction d'entreprise dans le but d'obtenir quelque chose ; il ne mène pas un combat politique », explique Gilles Dansart.

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Les grévistes en herbe n'ont pas non plus forcément le sens du timing. « Ils ont du mal à tout comprendre. D'abord, on leur a dit qu'il valait mieux attendre la négociation annuelle sur les salaires, qui démarre la deuxième semaine de décembre, parce qu'ils seraient mieux entendus s'ils pesaient avec les autres syndicats. Ils ont malgré tout négocié avec la direction, mais ils ont refusé une prime de 600 euros bruts annuels. Certains ne savaient même pas qu'elle pouvait être intégrée dans le calcul des retraites ! » râle le même syndicaliste.

Les discussions ont aussi porté sur la stratégie. Les syndicats de cheminots attendent l'arme au pied le contenu de la réforme des retraites, annoncé le 15 décembre. Les syndicats ont débattu pour savoir s'il fallait soutenir dès maintenant la grève des contrôleurs, ou attendre la fin du mois (voire le début de l'année prochaine) pour lancer un seul grand mouvement de masse. Les Gilets jaunes de la SNCF ont tranché ; ils n'ont pas voulu attendre. Et les voyageurs de la SNCF en subissent les conséquences dès ce week-end, et peut-être durant les fêtes.