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Guerre de Napoléon : comment les jeunes Français resquillaient pour éviter l’armée

La grogne des Russes devant la conscription rappelle celle des Français sous Napoléon, comme l’illustre un livre sur les coulisses de la Grande Armée.

Par Marc Fourny
La statue de Napoleon Ier par Charles Emile Seurre, a l'hotel des Invalides
La statue de Napoléon Ier par Charles Émile Seurre, à l'hôtel des Invalides © Eric Beracassat - Hans Lucas via AFP
Publié le 01/10/2022 à 07h00

Temps de lecture : 4 min

Il n'y a pas que les jeunes Russes qui traînent des pieds pour rejoindre leurs régiments… Un nouveau livre passionnant paru aux éditions Perrin revient sur les moyens employés par les Français pour éviter d'aller mourir sur les champs de bataille de Napoléon Ier. Dans Les Mythes de la Grande Armée, François Houdecek, un des coauteurs, spécialiste des questions militaires sous l'Empire, lève le voile sur ces différents stratagèmes, légaux ou non, qui permirent à certains de passer entre les vagues de mitraille. Si ces cas de résistance, d'insoumission ou de désertion étaient bien réels, ils étaient loin d'être majoritaires – près de 2,4 millions d'hommes ont servi dans les rangs de l'armée de 1792 à 1815.

Pour les jeunes Français, le système d'enrôlement date du Directoire, juste avant l'Empire : les hommes âgés de 20 à 25 ans sont tenus de se faire recenser, avant d'être convoqués au conseil de recrutement qui procède par tirage au sort. Un petit numéro, vous voilà bon pour le service, tandis qu'un grand numéro vous bascule dans la réserve jusqu'à vos 25 ans révolus, à condition toutefois d'être apte au combat. Et c'est là que vous avez une chance d'éviter de partir pour le front.

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Des motifs d'exemption aussi divers que variés

Les motifs d'exemption de service sont en effet nombreux, rappelle François Houdecek : il faut mesurer plus de 1,62 m – Napoléon va abaisser la mesure à 1,51 en 1813 pour récupérer plus de troupes – ne pas avoir un frère déjà sous les armes, ne pas être fils unique d'une personne de plus de 71 ans, ni prêtre ni travailler dans une manufacture d'armes ou une industrie stratégique…

À cela s'ajoutent les exemptions médicales qui donnent lieu à toutes les combines possibles, comme on le voit dans toutes les armées… « Les recruteurs doivent faire face régulièrement à des cas de myopie, de surdité, d'incontinence, de douleurs articulaires ou musculaires et, en terre non francophone, comme en Bretagne ou en Belgique, des jeunes qui disent ne pas comprendre la langue, explique l'historien François Houdecek. Plus grave, certains achètent des potions qui provoquent des malaises, des problèmes gastriques ou ophtalmologiques… C'est ainsi qu'un élève en médecine est arrêté en 1807 pour avoir vendu une poudre corrosive qui a failli rendre aveugle plusieurs jeunes hommes. » Sans compter ceux qui se mutilent en se coupant une partie de l'index droit, qui sert à tirer au fusil, ou s'arrachent les incisives, nécessaires pour déchirer la cartouche.

Mais la meilleure solution reste encore de convoler, puisque tout homme marié est exempté de service. Il suffit donc de trouver son double avant la conscription et les jeunes Français sollicitent le réseau familial et les amis, quitte même à épouser une femme plus âgée… On voit ainsi se développer sous l'Empire des agences matrimoniales qui n'hésitent pas à proposer des unions parfois très mal assorties : en 1809, la préfecture du Nord déplore dix-huit mariages entre des jeunes gens et des femmes très mûres, dont l'une compte 99 ans ! Pour tenter de limiter les abus, les autorités finissent par exempter uniquement les jeunes en passe de devenir père…

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Payer pour être remplacé

Autre solution pour échapper aux armes : avoir une famille riche qui paie quelqu'un pour aller se battre à votre place, un moyen peu égalitaire mais tout à fait légal. Encore faut-il avoir les moyens, car plus on avance dans l'Empire, plus la facture monte, comme on peut s'en douter : le prix du sang s'élève à 10 000 francs pour un remplaçant, une fortune quand on sait qu'un ouvrier gagne en moyenne 60 francs par mois – ce qui équivaut le ticket de remplacement à plus de 200 000 euros de nos jours. Ce type de contrat – passé devant notaire – concerne une minorité de 4,5 % des effectifs entre 1806 et 1810. Et si on dispose de moins d'argent, on peut toujours tenter de soudoyer les autorités pour permuter les numéros, car les municipalités ou l'administration impériale sont loin d'être incorruptibles…

Dernière solution, refuser carrément la conscription ou déserter pendant les campagnes militaires. Très risqué, car les autorités luttent sans merci contre le taux d'insoumission qui atteint 28 % sur le territoire de l'ancienne France, avec des pointes dans le Massif central ou les Pyrénées. Il faut dire que les réfractaires peuvent souvent compter sur la famille ou les villageois pour les cacher et les ravitailler, rendant le travail des gendarmes plus compliqué, à moins qu'ils ne tombent dans le brigandage. Plus l'Empire vacille, plus les conscrits se rebellent ou les soldats désertent, notamment en 1813, certains rentrant carrément chez eux dès la nouvelle de l'abdication connue au printemps 1814.

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Reste une question : Napoléon est-il vraiment « l'ogre corse » qui saigna la jeunesse française pendant plus de dix ans ? Il est vrai que, après 1812 et la désastreuse retraite de Russie, la pression devient plus forte, les mobilisations s'enchaînent, l'Empereur épuise les réserves et le mécontentement ne cesse de gronder contre « l'insatiable tyran », une image reprise ensuite par les vainqueurs et les opposants au régime. Mais, finalement, rappelle François Houdecek, « la ponction sur la population française est de 7 %, très loin des 20 % du premier conflit mondial, où la machine administrative fonctionne beaucoup mieux ». Sur l'échelle du drame, la IIIe République fut ainsi bien plus « mangeuse d'hommes » que Napoléon Ier.

Les Mythes de la Grande Armée, sous la direction de Thierry Lentz et de Jean Lopez, éditions Perrin.

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