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Guerre en Ukraine : « Dans cette guerre la Russie ne respecte aucune règle », déclare Volodymyr Zelensky

Interviewer Volodymyr Zelensky, c’est d’abord passer de multiples points de sécurité. A l’extérieur du palais présidentiel, autour de chicanes de béton, des soldats surarmés, abrités par des cahutes recouvertes de tissu de camouflage vérifient votre identité. A l’entrée du bâtiment, l’accueil est à l’avenant : vérification des passeports, remise des téléphones et appareils électroniques. Là, des sacs de sable obstruent toutes les fenêtres, plongeant dans l’obscurité les couloirs de ce bâtiment au style soviétique. Chaque collaborateur est à sa tâche, dans une ambiance tendue par le quotidien d’un pays en guerre. Les combats perdurent et même quand ils viendront à cesser, tout sera à reconstruire mais l’Ukraine y croit porté par un président qui déploie son énergie à faire valoir le courage de son peuple et sa victoire prochaine. Volodymyr Zelensky, vêtu de son désormais célèbre tee-shirt kaki siglé du drapeau ukrainien, nous a reçus dans une des salles où il a l’habitude de s’adresser au monde. Affable et soucieux de préciser ses objectifs et ceux de son pays. A tel point que c’est son équipe qui a mis un terme à cet entretien.

« J’ai besoin d’armes, pas d’un taxi. » Vous avez bien prononcé cette phrase au premier jour de la guerre ?

Oui c’est la réponse que j’ai faite à Joe Biden le premier jour de la guerre quand il m’a proposé de m’exfiltrer. Il a été le premier parmi les chefs d’Etat des grands pays à m’appeler. La suite, je vais être honnête, je ne m’appelle pas Alexandre Dumas et je n’invente pas, je ne m’en souviens plus très bien si ce n’est qu’il a accepté mon choix. 

La centrale nucléaire de Zaporijjie est au cœur des préoccupations de la communauté internationale, comprenez-vous cette inquiétude ?

Bien sûr. C’est la plus grande centrale nucléaire d’Europeet il y a 500 combattants russes autour site, où les employés de la centrale sont pris en otage. Cela a été confirmé par l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). Les Russes veulent priver la région d’électricité mais aussi nous empêcher d’exporter de l’électricité dans d’autres pays comme la Roumanie, la Pologne ou l’Allemagne. Nous sommes en effet désormais connectés au réseau électrique européen. La centrale est actuellement déconnectée mais nos employés s’activent pour remettre au moins un réacteur en service. La zone de la centrale doit être démilitarisée.

Est-ce que la menace de Vladimir Poutine d’un éventuel recours aux armes nucléaires vous inquiète ?

Je ne crois pas que le monde le permettra. Que ça soit les Etats-Unis, l’Union européenne ou la Turquie. La Chine elle-même ne peut pas rester indifférente face à cette menace.

La mobilisation de 300.000 hommes annoncée par Poutine peut-elle faire basculer la guerre ?

Je pense qu’il réussira à mobiliser 300.000 hommes comme il l’annonce. La Russie s’y était préparée. Nos alliés et les services de renseignement nous ont indiqué que les documents nécessaires à cette mobilisation avaient été préparés très en amont de cette annonce. De leur côté, les Russes appelés à être mobilisés ont peur de manifester et d’être arrêtés. Mais, qu’ils comprennent bien la situation, une fois sur le front, ils devront tirer sur des Ukrainiens et nous leur répondrons. Ils ont tout intérêt à manifester. C’est comme ça que la démocratie fonctionne. Poutine ne pourra pas arrêter tout le monde.

Vous communiquez sur les pertes russes mais ne dites rien concernant l’Ukraine. Le nombre de morts est-il élevé ?

On me fournit des données. Mais le commandement militaire ne souhaite pas communiquer sur le nombre exact de soldats ukrainiens morts sur le front. Nous avons par ailleurs pour les pertes civiles des chiffres qui restent imprécis. Je reste prudent et il ne faut pas oublier que ce sont des vies humaines qui sont en jeu. Par exemple, nous ne savons pas toujours combien de personnes sont restées dans les zones occupées. Nous pouvons découvrir à l’occasion de leur reprise que des personnes que nous pensions vivantes sont mortes. C’est ce qui est arrivé à Izioum où nous avons trouvé 450 personnes enterrées dans la forêt.

Peut-on malgré tout avoir une estimation ?

50 soldats ukrainiens environ meurent chaque jour [10.500 depuis le début du conflit]. Le pourcentage de morts russes est cinq fois plus élevé.

Dans un rapport récent, un collectif d’ONG accuse la Russie de façon massive et l’Ukraine de façon plus marginale d’avoir recours aux armes à sous-munitions. Est-ce vrai ?

Les enquêtes en cours ont confirmé l’utilisation par la Russie de ces armes. Ce n’est pas le cas du côté ukrainien car nous ne disposons pas de ces armes. Est-ce que je souhaiterais en avoir ? Oui. Car nous devons disposer des mêmes armes que notre ennemi. On ne peut pas arrêter des chars avec des armes légères.

Ces armes à sous-munitions tuent des civils. Êtes-vous prêt à signer la convention d’Oslo qui les interdit ?

Il faut être très concret et pragmatique. Cette guerre, nous n’en avons pas voulu. Il y a des règles et nous les respectons. Ce n’est pas le cas de la Fédération de Russie qui n’en respecte aucune.

Comment dans ces conditions avancer et garantir qu’un éventuel accord sera appliqué ?

Ce qui a été fait pour lever le blocus des ports de la mer Noire et permettre de redémarrer l’exportation de céréales est un bon exemple. Nous n’avons pas signé avec les Russes. Mais un accord a été signé sous l’égide de l’ONU et de la Turquie.

Comment obtenir gain de cause face à la Russie ?

Evidemment pas en tuant, en violant et en commettant des crimes comme le font les Russes. En revanche, je crois que seule la force peut payer. En isolant la Russie, en l’affaiblissant de toutes les manières et en lui interdisant l’accès aux technologies dont elle a besoin. C’est le seul langage qu’il faut employer.

Vous ne croyez plus aux engagements des Russes ?

Comment le pourrais-je ? Hier, Poutine disait qu’il souhaitait une solution diplomatique. Aujourd’hui il annonce une mobilisation partielle. Demain, il dira qu’il veut renouer le dialogue et que je ne le souhaite pas. Il n’y a pas d’accord possible avec la Russie qui a besoin d’être isolée car elle ne comprend que les rapports de force. C’est uniquement comme cela que nous y arriverons. Car dire la vérité ou mentir, c’est à peu près la même chose pour Poutine.

Qu’attendez-vous de la France ?

Je voudrais que la France fasse plus. C’est ce que je dis à Emmanuel [Macron]. Il nous aide. Et j’ai avec lui un bon dialogue. Biden m’a dit lui aussi que je demandais beaucoup et qu’il me comprenait. J’ai besoin par ailleurs d’un engagement plus ferme de la part de l’Allemagne et de la Turquie.

La prétendue opération de dénazification de la Russie en Ukraine explique-t-elle le refus d’Israël de vous soutenir ?

L’opinion israélienne n’y est pour rien et je pense qu’elle nous soutient. Je n’accuse pas non plus les dirigeants. Mais les faits sont là. Il y a eu des discussions avec les responsables israéliens et cela n’a pas aidé l’Ukraine. On peut en revanche observer l’influence de la Russie en Israël que je considère comme un Etat indépendant. Je regrette que les moyens de défense antiaérienne dont nous avons besoin ne nous aient pas été livrés. Je vais être clair, cela me choque car dans le même temps Israël exporte ses armements dans d’autres pays.

La guerre a provoqué une crise énergétique sans précédent en Europe. Comment l’Ukraine se prépare-t-elle à l’hiver qui approche ?

Je ne pense pas que la guerre ait provoqué la crise énergétique en Europe. C’est la Russie qui l’a provoquée, bien avant l’invasion de l’Ukraine. Elle a commencé à augmenter les prix du gaz, à contrôler de manière artificielle les tarifs il y a un an. Le fait que nous puissions produire de l’électricité est une bonne chose pour nous comme pour les Européens. Mais la Russie fait tout pour que la centrale de Zaporijie ne fonctionne pas et que l’Ukraine ne puisse pas approvisionner d’autres pays. La Russie crée une crise artificielle. Si les Européens reçoivent des informations partielles ou erronées, cette situation et les conséquences qu’elle produit sur leur vie quotidienne peuvent être de nature à affaiblir le soutien apporté à l’Ukraine par la population. Il faut que celle-ci comprenne la pression de la Russie. On doit la remettre à sa place. Nous devons avoir les moyens de continuer à vivre cet hiver sous peine de ne pas pouvoir survivre par la suite. Et nous devons être indépendants de toutes les restrictions que la Russie peut mettre en œuvre.

Comment reconstruire votre économie, comment reconstruire votre pays ?

Notre déficit budgétaire s’élève actuellement à 5 milliards d’euros par mois. Il devrait être de 3,5 milliards début 2023, et nous ne pouvons pas faire autrement. Nous devons pourtant donner la possibilité aux gens de revenir en Ukraine. Ils sont très nombreux à vouloir revenir dans leur pays, retrouver leur travail et payer les impôts qui nous permettent de disposer des ressources nécessaires à la reconstruction du pays et d’éviter un déficit trop important. Nous avons par ailleurs le soutien de cinq ou six pays qui vont nous permettre de nous doter de moyens de défense antiaérienne. Nous en avons besoin maintenant pour assurer notre sécurité et faire en sorte que notre économie fonctionne.

Nous avons besoin de tout le monde pour reconstruire le pays, et pas seulement des Américains. Nous sommes ouverts à tous les entrepreneurs, notamment en France. Ce sera bon pour tout le monde. Il n’y a pas de projet de reconstruction équivalent au XXIe siècle, que ce soit pour les réseaux ferroviaires, les ponts, l’énergie… Nous allons intégrer l’Union européenne, ce sera aussi très utile pour la reconstruction.

L’Ukraine est prêt à intégrer l’Union européenne ?

L'Ukraine a cette aspiration à devenir membre de l’Union européenne depuis plusieurs années et je pense que nous sommes très proches de concrétiser cette volonté car nous y sommes prêts. Mais l’Union européenne l’est-elle ? Nous devons finaliser la synchronisation de nos systèmes législatifs. Mais ce qui est remarquable c’est que sur ce sujet il y a une véritable unité politique en Ukraine, notamment au Parlement où majorité et opposition signent ensemble la plupart des textes.

Vladimir Poutine vous accuse de vendre vos céréales aux Européens et pas aux Africains. L’accord conclu en juillet est-il menacé ?

Un accord a fini par être trouvé en juillet [pour quatre mois] pour nous permettre d’exporter nos céréales. Mais auparavant, la Russie avait tout fait pour nous empêcher d’exporter en bombardant nos infrastructures et en bloquant nos ports situés sur la mer Noire. Il est faux de dire que nous ne vendons nos céréales qu’à l’Europe car elle n’en a pas besoin. Nos céréales sont bien acheminées vers l’Afrique dont la Somalie sous forme d’aide humanitaire, ainsi que l’Asie.

Comment se porte aujourd’hui l’agriculture ukrainienne ?

Malheureusement, une partie des terres noires parmi les plus fertiles du pays est occupée par les Russes. C’est le cas notamment dans la région de Kherson. Nous avons réussi à organiser des semis dans le reste du pays. Mais la prochaine récolte sera inférieure à celle des années précédentes. Faites la comparaison. La Russie a imposé le blocus des ports ukrainiens. De notre côté, nous n’avons jamais demandé que des sanctions s’appliquent au secteur agricole russe.

Vous habituez-vous à votre quotidien rythmé par les combats depuis le 24 février 2022 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie ?

Il y a des moments tragiques, quand on perd des concitoyens, mais je reste confiant dans la victoire du peuple ukrainien, nous le sommes tous, et c’est ce qui nous permet de tenir. En ce qui me concerne, on peut ne dormir que cinq heures et trouver le temps de faire un peu d’exercices physiques. Je pense que c’est important.