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Héritage : en avoir ou pas

C’est l’un des grands tabous de nos sociétés, “l’un des secrets les plus inavouables de la classe moyenne”, pour reprendre l’expression du Guardian, dont la très longue enquête, traduite en ouverture de notre dossier de cette semaine, révèle un paradoxe : si l’héritage est aujourd’hui indispensable pour s’en sortir dans la vie, chez les plus jeunes notamment, il fige voire exacerbe les inégalités.

Or, nous entrons dans un moment très particulier, celui d’une transmission massive (et déjà en cours) du patrimoine de la génération née après la guerre, largement gonflé par les prix de l’immobilier et les valeurs boursières. “Le Royaume-Uni, écrit ainsi Gaby Hinsliff, dans The Guardian, est entré dans l’âge d’or de l’héritage : les milliards accumulés par les baby-boomeurs commencent à ruisseler vers leurs enfants et leurs petits-enfants – c’est ce qu’on appelle le ‘grand transfert de richesses’.

En tout, dans les trente prochaines années, “ce sont près de 5 500 milliards de livres qui pourraient circuler dans les familles, sous forme d’héritage traditionnel ou, de plus en plus souvent, de donations”, estime la journaliste en s’appuyant sur des études récentes et très documentées.

Le phénomène est identique aux États-Unis. Les baby-boomeurs, explique The New York Times dans un long article dont nous avons retenu une infographie très parlante, détiennent la moitié de la richesse nationale. D’ici à 2045, ils devraient léguer à leurs enfants de la génération X (nés entre 1965 et 1980) ou milléniaux (nés après 1980) près de 84 000 milliards de dollars.

Des chiffres vertigineux qui, dans leur globalité, traduisent bien l’importance de l’héritage dans la circulation de la richesse. Et qui, observés de plus près, disent surtout l’immense avantage conféré à ceux qui en bénéficient : car nul besoin d’attendre la mort de quelqu’un pour recevoir une partie de son patrimoine, rappelle The New York Times, grâce aux donations, effectuées du vivant du donateur, qui “accordent une longueur d’avance à des millions de personnes”.

Faudrait-il dès lors envisager d’abolir l’héritage ? Ce n’est pas vraiment ce que suggèrent le Guardian ni le New York Times. La question qui se pose en revanche est bien celle de l’atténuation des écarts entre ceux qui ont bénéficié d’un héritage et ceux qui n’ont rien reçu. “En France, la part de l’héritage dans la composition du PIB est passée d’environ 4 % en 1950 à 15 % en 2010, indique le journal britannique Spiked. Des milléniaux ayant perçu des legs ont hérité de plus d’argent que ce que gagnent de nombreux actifs durant toute leur carrière.”

Au Royaume-Uni, aujourd’hui, impossible de devenir propriétaire sans héritage ou donation préalable, insiste The Guardian. Et “les questions de transfert de richesses ne concernent pas uniquement les plus riches”, rappelle le quotidien britannique. La classe moyenne est aussi largement concernée, d’autant que “les biens acquis par cette génération ont connu une trajectoire inhabituelle” avec des prix de l’immobilier qui ont triplé en quarante ans. Résultat, vu les sommes en jeu, la question de l’héritage est souvent source de tensions ou de rivalités dans les familles, voire de culpabilité ou de ressentiment entre les héritiers et les autres.

Un dossier à lire pour mieux mesurer en quoi les successions augmentent la fracture sociale partout en Occident.

Quand on parle d’héritage… Chaque semaine, ce making of vous explique les choix éditoriaux de la rédaction, nos hésitations sur les unes, le choix de mettre en avant certaines actualités plutôt que d’autres. Fallait-il vraiment choisir un tel dessin ? Le titre reflète-t-il vraiment ce qui est dans le dossier ? Chaque semaine, depuis vingt-quatre ans, notre directrice artistique, Sophie-Anne Delhomme, nous titille sur le choix des mots, le rapport entre le titre et l’image, et tant d’autres choses encore. Après toutes ces années et de nombreux prix pour des unes remarquées, elle quitte Courrier international pour d’autres aventures, qu’il lui reste à écrire. Une page se tourne, et ce n’est pas rien. Je tenais tout simplement à lui dire ici un immense merci.