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Houtman Abrolhos, l'archipel qui fut le théâtre d'un naufrage sanglant

Temps de lecture: 5 min

Houtman Abrolhos

Nombres d'îles: 122

Eaux: océan Indien

État: Australie

Coordonnées géographiques: 28° 43' 00'' S, 113° 47' 00'' E

Superficie: 16 km2

Ouvert à la visite

Vu du ciel, l'archipel d'Houtman Abrolhos ressemble à trois dents de requin, avec ses trois groupes d'îles nichées au creux de récifs coralliens effilés. Il se trouve à 60 kilomètres à peine au large de la côte ouest de l'Australie, en face de la petite ville côtière de Geraldton. La grande majorité des 122 îles qui le composent sont désertes, seules quelques-unes d'entre elles étant occupées par des pêcheurs de langoustes une partie de l'année. Les îles Abrolhos attirent cependant de nombreux passionnés de plongée, leurs eaux turquoises et peu profondes étant constellées de récifs pullulant de vie sous-marine.

Mais c'est surtout leur cimetière de navires que les plongeurs viennent explorer. Plus d'une cinquantaine de bateaux ont fait naufrage dans le chaos de récifs et de brisants qui entourent l'archipel d'Houtman Abrolhos au cours des quatre siècles derniers. C'est sans doute ce qui lui a valu la moitié de son nom: l'injonction abrolhos, qui signifie «garde les yeux ouverts» en portugais, sonne comme une mise en garde à l'égard des équipages portugais parcourant cette zone maritime dangereuse.

«La comparaison avec le Titanic vient naturellement à l'esprit»

Une vingtaine d'épaves y ont été découvertes à ce jour, parmi lesquelles celle du Batavia, le plus célèbre des navires à avoir sombré en ces lieux. Fleuron de la flotte de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, cet élégant trois-mâts sorti en 1628 des chantiers navals d'Amsterdam –un lourd voilier à gréement carré de 56 mètres de longueur, d'une capacité de chargement de 600 tonneaux, armé de 30 canons– s'empala l'année suivante, le 4 juin 1629, sur l'un des innombrables récifs de corail bordant les Abrolhos. Un naufrage d'autant plus tragique qu'il s'agissait du tout premier voyage du Batavia. L'écrivain Simon Leys, qui a publié en 2003 le captivant récit de ce fait divers dramatique, Les Naufragés du Batavia, note à ce sujet:

«On peut dire sans exagération que le naufrage du Batavia frappa l'opinion du XVIIe siècle de façon plus vive encore que celui du Titanic au début du XXe; la comparaison vient d'ailleurs naturellement à l'esprit, car il s'agissait dans l'un et l'autre cas d'un navire qui, ayant incarné tout l'orgueil et la puissance de son âge, sombra lors de son tout premier voyage.»

Le navire faisait alors route vers Java, avec pour destination le port de Batavia, qui était à cette époque la capitale des Indes néerlandaises –l'actuelle Jakarta en Indonésie– et plus de 300 personnes à son bord: marins, artilleurs et soldats, entassés dans les entreponts à l'avant du vaisseau, à l'intérieur desquels régnaient une odeur putride et une humidité permanentes; mais aussi une poignée de passagers de la bonne société, qui eux étaient logés avec l'état-major dans le château arrière. Le Batavia était également chargé de plusieurs coffres remplis de pièces de monnaie, de lingots d'argent et de bijoux, destinés à l'achat d'épices et d'autres marchandises dans les différents comptoirs de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales.

Projet de mutinerie

Durant les longs mois passés en mer, cette précieuse cargaison avait éveillé la cupidité d'un des négociants de la compagnie: un certain Jeronimus Cornelisz, ancien apothicaire. Durant le voyage, l'homme se rapprocha habilement du capitaine du vaisseau, Ariaen Jacobsz. Il parvint, en jouant de leur aversion commune pour le commandeur du navire, Francesco Pelsaert, à convaincre le capitaine Jacobsz et quelques membres de l'équipage d'échafauder une mutinerie pour mettre la main sur le navire et son trésor. Cornelisz espérait ainsi, sans doute, pouvoir débuter une nouvelle vie dans un comptoir maritime appartenant à une autre puissance étrangère, loin de son pays natal. Le naufrage du Batavia survint avant que les conspirateurs puissent mettre leur plan à exécution.

Dans leur malheur, les naufragés eurent la chance de se trouver tout près du rivage de l'île Beacon, au nord de l'archipel d'Houtman Abrolhos –une pauvre bande de sable de moins d'un demi-kilomètre de long, dépourvue d'arbres, mais une terre où se mettre provisoirement à l'abri. Environ 200 personnes furent conduites sur l'îlot à bord de l'unique canot dont était doté le Batavia. Les autres restèrent à bord du vaisseau, sa carène n'ayant pas encore cédé sous les assauts de la mer.

Quatre jours après le naufrage, le capitaine Jacobsz et le commandeur Pelsaert partirent à bord du canot pour rejoindre la côte australienne et y trouver de l'aide. Ils embarquèrent avec eux l'élite de l'équipage et les passagers de marque, soit près de cinquante personnes, abandonnant les autres rescapés à leur triste sort.

Règne de la terreur

Cinq jours plus tard, soit neuf jours après le naufrage, l'épave du Batavia finit par sombrer. Cornelisz fit partie des quelques survivants parvenus à gagner le rivage in extremis, la plupart de ceux restés sur l'épave étant morts noyés. Profitant du désordre général régnant sur l'îlot, il prit la direction des opérations et s'autoproclama capitaine-général de l'archipel.

Avide de pouvoir, sanguinaire, mais aussi doté d'un grand charisme, selon les récits de l'époque, Cornelisz n'eut de cesse de diviser pour mieux régner: il envoya d'abord plusieurs groupes de naufragés sur des embarcations de fortune construites avec les débris de l'épave sur d'autres îles de l'archipel qu'il croyait dépourvues d'eau potable, sans vivres ni armes, en leur promettant de venir les ravitailler sous peu.

Il prit soin d'écarter en premier lieu ceux restés les plus fidèles à la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, ainsi qu'une petite troupe de soldats réunis autour d'un des leurs, Wiebbe Hayes. Il s'agissait pour Cornelisz de s'assurer du soutien fidèle des rescapés restants sur son îlot et de réduire le nombre de bouches à nourrir, les ressources en eau potable et en nourriture y étant limitées.

Dans les mois qui suivirent, il organisa des tueries sur les autres îles de l'archipel pour faire exécuter à mains nues ou à l'arme blanche ceux qu'il y avait envoyés, força les quelques femmes présentes parmi les naufragés à se prostituer, ordonna le massacre des malades et des infirmes, fit régner la terreur parmi les siens en décrétant des exécutions sommaires sous les prétextes les plus divers. Et fomenta à nouveau une mutinerie, dans l'idée de faire main basse sur le navire qui finirait par venir les secourir.

L'une des victimes des tueries du Batavia, retrouvée sur l'île de Beacon Island et exposée au musée des naufrages de Fremantle, dans l'ouest de l'Australie. | Guy de la Bedoyere via Wikimedia Commons

Un seul homme osa l'affronter: Wiebbe Hayes, qui parvint à résister aux assauts menés par les hommes de Cornelisz sur son île. Rejoints par d'autres survivants ayant échappé aux massacres commandités sur les îles voisines, lui et sa troupe parvinrent finalement à capturer Cornelisz au mois d'août.

Soixante-dix rescapés

Lorsque que le commandeur Pelsaert revint à la mi-septembre sur les lieux du naufrage à bord d'un navire, le Sardam, tenant sa promesse de secourir les naufragés, il prit connaissance du terrifiant bilan humain du court règne de Cornelisz: seul un peu plus d'un tiers des passagers et de l'équipage du Batavia était encore en vie. Jugés sur place, Cornelisz et ses six complices furent pendus sur un des îlots.

Le Sardam quittera les Abrolhos deux mois plus tard avec seulement soixante-dix rescapés à son bord, parmi lesquels une quinzaine de criminels. Le massacre particulièrement brutal et sanglant qui a suivi le naufrage du Batavia fait de lui la fortune de mer la plus effroyable de l'histoire maritime.