France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Immigration : un projet de loi déjà aux abois

En marge de la mobilisation contre la réforme des retraites, le gouvernement s’attaque à un autre sujet politiquement brûlant. Gérald Darmanin et Olivier Dussopt, ministres de l’Intérieur et du Travail, présentent ce mercredi en Conseil des ministres leur projet de loi censé «contrôler l’immigration et améliorer l’intégration». Le premier a résumé ainsi l’objectif de ce texte de vingt-cinq articles : «Etre méchant avec les méchants, gentil avec les gentils.» Une formule archi-simpliste pour un pari ultra-risqué tant son adoption au Parlement semble, en l’état, compromise.

L’un des principaux axes vise à accélérer les expulsions. Il prévoit de simplifier le nombre de contentieux possibles (le nombre de recours passerait de douze à quatre) en cas d’obligation de quitter le territoire français (OQTF) signifiée par une préfecture et de rétablir la «double peine», un régime juridique qui permet d’expulser du territoire français un étranger condamné – même s’il est en situation régulière. En cas de menace grave à l’ordre public, le ministre de l’Intérieur souhaite «réduire le champ des protections» contre l’expulsion dont bénéficient certains immigrés, notamment ceux arrivés en France avant l’âge de 13 ans et ceux y résidant depuis plus de dix ans. «Trop de règles spécifiquement françaises empêchent d’expulser un criminel sur notre sol», a assuré le ministre au moment de présenter les grandes orientations du projet de loi à l’Assemblée nationale en décembre… tout en faisant le lien entre immigration et délinquance, une rhétorique chère à l’extrême droite.

«Même pas en rêve»

Ces mesures doivent répondre en partie aux critiques du RN et de LR, pour qui la France ne parvient à expulser que trop peu des étrangers notifiés d’une mesure d’éloignement (moins de 10 %). Pour le reste, le projet de loi entend accentuer la tendance lancée par la réforme de l’asile de Gérard Collomb en 2018 : accélérer les procédures d’examen pour parvenir, là encore, à expulser plus rapidement. Pour les déboutés, les recours déposés à la Cour nationale du droit d’asile seraient étudiés par un juge unique et non plus par une formation collégiale, ce qui aurait pour effet de désengorger la juridiction.

«Au final, le texte n’est pas vraiment équilibré et il est un peu creux : beaucoup de choses qui sont incluses peuvent déjà être exécutées par des décrets ou par des choix politiques. Il y a une partie d’affichage, notamment sur l’éloignement. On n’est pas sur les bons sujets : il y a des enjeux importants en matière d’accueil des étrangers et le texte n’y répond pas», estime Hélène Soupios-David, directrice du plaidoyer à France Terre d’asile. «C’est une énième loi qui va encore durcir le droit des exilés. Le message [que le gouvernement fait passer] c’est : on va rendre la vie impossible à des personnes déjà dans une grande précarité par toutes ces nouvelles petites astuces comme le raccourcissement des délais de recours», regrette de son côté Yann Manzi, fondateur de l’association d’aide aux exilés Utopia 56.

Pour tenter de donner des gages à la gauche, le projet de loi crée un nouveau titre de séjour d’un an pour les travailleurs sans papiers exerçant dans des «métiers en tension». Une avancée saluée par les syndicats comme par le patronat – fait rare – car ces régularisations n’étaient possibles que selon des critères stricts fixés par la circulaire Valls de 2012 et à l’initiative de l’employeur. «Cela rééquilibre la relation de subordination et permet d’accentuer la lutte contre le travail illégal», explique Marilyne Poulain, ex-syndicaliste à la CGT qui a longtemps œuvré à la défense des travailleurs sans papiers.

Cette mesure, à l’inverse, rebute totalement la droite qui, de façon très pavlovienne, craint «un appel d’air» et «une régularisation massive». Le ministre de l’Intérieur a tenté de la rassurer, d’abord en l’incitant à durcir elle-même les critères d’obtention de ces titres lors du débat parlementaire, puis en ouvrant la voie, dans le Parisien ce week-end, à l’instauration de quotas pour «limiter les régularisations». Gérald Darmanin a intérêt à choyer ses ex-camarades LR : faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale, il lui faut ce renfort pour faire voter son texte. Le RN devrait logiquement se déchaîner contre le laxisme du gouvernement. Quant à la gauche ? «Même pas en rêve», rétorque le chef de file socialiste, Boris Vallaud, quand les députés Renaissance lui demandent si ses troupes pourraient, à défaut de voter pour, s’abstenir.

«En l’état, le texte n’a aucune chance de passer»

Seulement la droite, effrayée par le volet sur l’intégration par le travail et perplexe sur l’efficacité des autres mesures, n’est pas du tout prête à toper, quelles que soient les amabilités du ministre. En pointe sur l’immigration, le député LR Pierre-Henri Dumont se dit «pour les quotas par métiers ou par bassins de vie» mais relève qu’ils ne s’appliqueraient de toute façon qu’à l’immigration économique, sans toucher l’immigration étudiante ou familiale. «Il y a deux préalables : la division par deux de l’immigration légale et l’accélération du renvoi des immigrés clandestins. Tant que ces objectifs ne sont pas atteints, on ne discute même pas du reste», prévient-il.

Pour contourner le problème, Darmanin passera d’abord par le Sénat, où la droite est majoritaire. Le président (LR) de la commission des lois, François-Noël Buffet, dont le rapport sur l’immigration a largement inspiré le ministre, devrait – espère ce dernier – se montrer coopératif. En arrivant à l’Assemblée, la copie amendée par les sénateurs convaincra-t-elle davantage ? Rien n’est moins sûr. D’autant que si le texte est durci, ce sont les macronistes qui pourraient se cabrer. Trapper les titres de séjour pour «les métiers en tension» de façon à amadouer les troupes d’Eric Ciotti ? Hors de question pour les députés Renaissance : le président de la commission des lois, Sacha Houlié, dit avoir obtenu la garantie d’Elisabeth Borne et d’Emmanuel Macron que cette mesure resterait bien dans le projet. Plusieurs députés ont averti Darmanin, il y a déjà plusieurs semaines : «Ce projet de loi pourrait nécessiter le recours au 49.3 Dans la majorité, tous sont catégoriques. Malgré l’habileté du ministre pour conclure des «deals», «en l’état, le texte n’a aucune chance de passer».

«Le Président veut un projet radical d’un côté et radical de l’autre… Résultat, à la fin, ça donne un truc invotable», résume un député Renaissance, reçu mi-janvier à l’Elysée avec des membres de la commission des lois, qui note qu’à droite comme à gauche, chacun y trouve des motifs de désapprouver. La droite en a un autre, moins dicible : elle qui s’apprête (malgré des défections) à voter la réforme des retraites, se fera un plaisir de retrouver les rangs confortables de l’opposition et de cultiver sa singularité sur l’immigration, l’un de ses marqueurs. D’ici à l’examen à l’Assemblée nationale, au printemps, Darmanin a encore quelques semaines pour la cajoler. Prévu de longue date, son rendez-vous avec le patron du groupe à l’Assemblée, Olivier Marleix, et Pierre-Henri Dumont a été reporté : «C’est aussi de notre fait, on ne voulait pas mélanger les échéances des retraites et de l’immigration, rétorque Dumont. Sur les retraites, on est plus divisés donc sur un texte où l’on est forts, on n’a pas envie que les messages se confondent.» Ou les effets inattendus du report de l’âge légal à 64 ans.