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Immobilier de montagne : le fléau des passoires thermiques désormais en première ligne

« Le sujet de la réhabilitation de l'immobilier de loisirs en montagne n'est ni méconnu ni nouveau », martèlent de concert les acteurs de la montagne. Et pourtant, tous reconnaissent que jusqu'ici, le parc hérité des grands développements immobiliers réalisés au coeur des années 1970 était certes engagé, mais pas franchement au rang des priorités.

« Les acteurs de la montagne travaillent depuis près de 20 ans sur ce sujet en lien avec l'Etat. Malheureusement, aucun dispositif efficace n'a pu être mis en œuvre pour le moment malgré plusieurs expérimentations menées notamment par Atout France », relaient les trois principaux acteurs concernés. A savoir l'Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM), mais aussi l'Association Nationale des Elus de la Montagne (ANEM) et l'Association nationale des élus des territoires touristiques (ANETT).

Une prise de position qui fait suite à un contexte global plus que jamais incitatif : car à l'issue des derniers mois placés sous le signe de la sobriété par le gouvernement, qui avait demandé aux particuliers comme aux entreprises de faire baisser leur facture énergétique, difficile de ne pas demander une contribution également aux logements de montagne, dont une grande part sont dédiés à l'hébergement touristique.

Car en raison de leur âge (les biens de l'immobilier de montagne ont été, pour la plupart, construits dans les années 1970-1980), les dernières études publiées à ce sujet font état d'un constat alarmant : près de la moitié de ces actifs immobiliers seraient en réalité de véritables passoires thermiques (classées entre G et E au sein des diagnostics de performance énergétiques).

« C'est un chiffre colossal puisque la moyenne nationale est plutôt estimée à 16,9% pour l'ensemble du parc locatif », rappelle Pascale Boyer, présidente de l'ANEM et députée des Hautes Alpes.

Une récente étude la Fnaim, qui passe justement à la loupe le marché de la montagne, souligne à la fois la « très forte part de résidences secondaires » (59% contre 10% dans l'ensemble du parc de logements français), mais aussi de logements énergivores (étiquettes DPE « F » ou « G »), puisqu'ils seraient 38% en montagne contre 21% dans l'ensemble des communes métropolitaines. De quoi lui faire conclure que « l'interdiction de louer en 2034 (étiquettes « E », « F » ou « G ») concernerait même plus des 3/4 des logements de ces communes. »

Problème : à l'heure où la Loi Climat et Résilience prévoit de soumettre progressivement l'ensemble du parc locatif à de nouvelles exigences thermiques s'ils veulent continuer d'être loués, il devenait difficile de justifier une exclusion complète des biens touristiques en montagne, comme en littoral. C'est pourquoi le gouvernement d'Elisabeth Borne a déjà esquissé l'idée de travailler à leur intégration au sein même de la Loi Climat.

Une application jugée trop rapide

Reste que selon les acteurs concernés, l'application stricte du calendrier initial (selon lequel les biens classés en catégorie G seraient interdits à la location à compter de 2023, puis les biens classés F et E en 2028 puis 2034) serait jugé trop rapide, et surtout inadapté par rapport aux leviers actuellement disponibles.

« Si la volonté de tous, et en particulier des acteurs de la montagne, est bien de rénover rapidement ces logements, une application uniforme du dispositif, en zone urbaine comme en zone touristique, aurait des conséquences particulièrement fortes pour les territoires touristiques dont la montagne », pointent les trois fédérations, qui estiment que « la mise en place de ce dispositif retirerait de facto un nombre très important de biens du marché de la location pendant plusieurs années », puisqu'il serait « matériellement impossible de procéder à une rénovation d'ampleur sur une courte durée ».

Contacté par La Tribune, Joël Retailleau, directeur général de l'ANMSM, estime lui-même que cette mesure aurait pour conséquence directe de « retirer des dizaines de milliers de locations des fichiers, ce qui pourrait représenter jusqu'à 30 à 40% de l'offre locative des territoires touristiques, qu'il s'agisse d'ailleurs de la montagne ou du littoral ».

Et d'ajouter : « On ne peut pas appliquer de la même façon le dispositif sur les passoires énergétique à Paris, où cette mesure aura en premier lieu pour conséquence de retirer des milliers de petits logements du parc, et en montagne, où elle aura un impact considérable sur l'économie de tout un territoire. »

Pascale Boyer met également en exergue la force hétérogénéité des biens concernés en fonction des stations : « Dans certaines stations des Pyrénées comme Piau Engaly, ce sont près de 86% des biens qui peuvent être concernés par le sujet des passoires énergétiques, contre 76% dans les Hautes-Alpes à Puy Saint Vincent, ou 71% dans les Vosges à Grand Valtin. Au contraire, on a d'autres stations comme Serre-Chevalier (Hautes-Alpes) qui sont plutôt à 37 %, ou à 36 % pour les Arcs (Savoie), et à 31% à  Mont-Dore (massif Central) ».

Les attentes des acteurs du terrain

Ce que demandent donc les acteurs de la montagne, c'est donc avant tout « une adaptation du dispositif au fonctionnement spécifique de ces territoires touristiques ».

De quelle manière ? Pour Joël Retailleau, cela passerait en premier lieu par une flexibilité du calendrier proposé, ainsi que par un accompagné renforcé de l'ensemble des acteurs l'échelle de chaque territoire, notamment en ce qui concerne les services d'ingénierie. Des incitations financières, sous la forme d'une enveloppe d'aides ou d'allègements fiscaux, sont également évoqués pour convaincre les propriétaires de mettre la main à la poche.

Même la Fédération des professionnels de l'immobilier (Fnaim) est montée au créneau, une fois n'est pas coutume, pour défendre les spécificités de ce secteur« Dans ces territoires, le mouvement de rénovation du parc de logements - impératif écologique majeur - ne peut pas être décorrélé d'une politique d'accompagnement de la rénovation des résidences secondaires, des meublés de tourisme et de l'immobilier de loisirs, impératif économique tout aussi majeur », a alerté son président, Loïc Cantin.

« La situation est particulièrement complexe, car il n'existe pas un seul type de stations, ni un seul type de propriétaires bailleurs : certains ont hérité d'un bien ou ont terminé de le payer et ne souhaitent pas y investir de l'argent pour l'occuper uniquement quelques semaines par an, tandis que d'autres sont propriétaires bailleurs mais si l'on n'y prend pas garde, leurs lits chauds pourraient rapidement devenir des lits froids, s'ils n'ont pas la possibilité de les rénover », met en garde Pascale Boyer, à l'ANEM.

Une difficulté supplémentaire à relever puisque, pour que des travaux d'ampleur soient votés au sein des espaces collectifs d'une copropriété, il reste nécessaire d'atteindre un vote à la majorité. C'est pourquoi la présidente de l'ANEM va jusqu'à défendre le lancement d'un plan Avenir Montagnes 2, à l'image du plan Avenir Montagnes 1. Piloté par Atout France et la Banque des Territoires, il aurait déjà permis à 25 stations de bénéficier d'un appui en ingénierie sur-mesure dédié à la rénovation de l'immobilier de loisir en montagne« Il faut aller plus loin et entrer dans un programme global d'accompagnement de l'ensemble des territoires », avance Pascale Boyer.

Un groupe de travail en place

A l'heure où le quoi qu'il en coûte ne semble plus à l'agenda, cet appel sera-t-il entendu ? Pour l'heure, les discussions semblent encore ouvertes puisqu'un groupe de travail s'est justement formé, au sein du gouvernement, entre les cabinets des trois ministères concernés (logement, collectivités locales et tourisme).

« Grâce aux propositions qui sont faites par les élus de l'ANEM, de l'ANETT et de l'ANMSM, ce groupe de travail devrait rendre une première série de propositions dans les prochaines semaines », affiche Joël Retailleau, qui estime que ce rapport pourrait également couvrir des enjeux plus larges, comme celle de la contribution au 1% logement et de la question du logement social, aujourd'hui éludée en stations alors qu'un besoin fort de loger les populations saisonnières demeure, comme le remontait encore lui-même le syndicat Domaines Skiables de France.

Ce jeudi, la ministre chargée des Collectivités territoriales et de la ruralité, Dominique Faure, se rendra d'ailleurs en Haute-Garonne pour participer à une réunion plénière du Conseil national de la montagne. Cette instance, qui regroupe notamment des représentants du Parlement ainsi que les instances représentatives spécifiques de la montagne (associations d'élus, socioprofessionnels, etc), devrait justement aborder les sujets de la transition écologique en lien avec le plan Avenir Montagnes. « Ce sera l'occasion de remettre le sujet de la rénovation énergétique sur la table », estime Pascale Boyer.

Pour la Fnaim, les pistes de travail tiendraient également en quelques recommandations techniques : à savoir, rendre les biens de l'immobilier de montagne « éligibles aux diagnostics techniques globaux réalisés par l'outil MaPrimeRénov' Copro » en abaissant notamment les seuils d'éligibilité de 75% à 50% de résidences principales. Un autre moyen serait également d'assortir cette éligibilité MaPrimeRénov' au maintien des lits chauds, même si cette condition ne pourrait être en bout de ligne portée que le propriétaire individuel bénéficiant des travaux...

Enfin, la Fnaim suggère de « promouvoir l'outil de la surélévation » qui, s'il est souvent considéré comme un mode d'agrandissement, permettrait aussi « à des copropriétés de dégager des moyens financiers et de lancer un projet à la fois de rénovation et de requalification architecturale », à destination notamment « des immeubles en toiture-terrasse ou des toit mono-pente, particulièrement présents en zone de montagne. »