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Interdiction de l'élimination des poussins mâles : "À ce stade, la loi frôle l'inutilité"

L'année 2023 devait largement marquer la fin de l'élimination (broyage et gazage, les deux méthodes autorisées dans l'Union européenne) des poussins mâles dans la filière française des poules pondeuses. Pour cela, les exploitants doivent se procurer du matériel permettant de déterminer le sexe de l'embryon avant son éclosion, et donc l'élimination des mâles avant leur naissance.

A LIRE. Allemagne : une entreprise trouve une solution pour éviter de tuer les poussins mâles.

Mais selon l'association de défense des animaux L214, les exceptions prévues dans la loi et les négociations entre les professionnels et le gouvernement "rendent l'interdiction inopérante". Elle a donc décidé, en compagnie de plusieurs parlementaires, de manifester le 7 décembre 2022 devant les bureaux de la Direction générale de l’alimentation (DGAL). La députée de la Haute-Garonne Anne Stambach-Terrenoir (LFI-Nupes) fait partie des élus présents. Elle explique les raisons de ce mécontentement. 

"Trop peu de poussins seront finalement épargnés : la loi manque complètement le but annoncé"

Sciences et Avenir : Quels sont les œufs qui vont finalement subir un test d’ovosexage (méthode permettant la détection du sexe avant éclosion)  ?

Anne Stambach-Terrenoir : Chaque année, l’élevage des poules pondeuses en France tue par broyage ou gazage plus de 50 millions de poussins, sans considération aucune pour leurs souffrances, simplement parce qu’ils sont nés mâles et qu’ils sont donc sans intérêt pour la filière.

Alors qu’on nous promet depuis 2020 la mise en place d’un ovosexage généralisé, et donc la fin de cette cruauté inutile, nous découvrons grâce au travail de l’association L214 qu’en réalité, au 1er janvier prochain, seuls les œufs destinés à la grande consommation (achetés en grande distribution, ndlr) seront concernés par l’ovosexage dans les couvoirs français.

Quelles sont donc les exceptions qui conduiront à l’élimination de poussins mâles ? 

Le décret de février 2022 prévoyait déjà des exceptions pour les œufs destinés à l’alimentation animale. Ce secteur étant un débouché sans limite, cette dérogation rendait de fait la loi en partie inopérante. Or, on nous annonce maintenant que les œufs destinés à la transformation, à l’industrie et à la restauration hors-domicile, seraient eux aussi hors du champ de la loi ! À ce stade, cette dernière frôle l’inutilité. Des millions de poussins vont continuer à souffrir.

"Au moins 25 millions de poussins continueront de naître pour être immédiatement mis à mort"

S’agit-il d’une grande proportion de la production ? 

Oui malheureusement ! Les œufs dits "blancs" par l’industrie, et qui sont donc destinés à la transformation en ovoproduits, représentent jusqu’à 50% de la production nationale. C’est colossal ! Si on y ajoute tous les poussins destinés à la production de croquettes ou pâtées pour nos chiens et chats, de farines pour les animaux d’élevage, et tous ceux nés car issus d’erreurs d’ovosexage (les poussins mâles non détectés par erreur avant leur éclosion pourront être éliminés légalement, ndlr), on comprend tout de suite que bien trop peu de poussins seront finalement épargnés. La loi manque donc complètement le but annoncé.

Est-ce une trahison du gouvernement comme le clame L214 ? 

Le ministre Julien Denormandie avait promis à l’été 2021 que 2022 serait "l’année de la fin du broyage et du gazage des poussins mâles en France". Or non seulement il nous faut finalement attendre le 1e janvier 2023 pour voir la loi appliquée, mais en plus on apprend maintenant que plus de la moitié de la production d’œufs sera exemptée de l’interdiction ! C’est un recul pour les animaux absolument inacceptable.

Et je rajoute qu’il existait dès le départ un "oubli" de taille dans cette loi : les canetons femelles. Eux aussi sont éliminés dès la naissance (14,5 millions chaque année) dans les mêmes conditions, car seuls les mâles sont habituellement utilisés dans l’industrie du foie gras.

Néanmoins, il n’avait jusqu’ici jamais été question de dérogation à l’ovosexage concernant les œufs destinés à la consommation humaine : le gouvernement a donc clairement choisi d’écouter les réclamations du Comité national pour la promotion de l'œuf (principal syndicat du secteur) en reniant ses engagements ainsi que l’attente des Français. Les multiples dérogations diminuent tellement la portée de la loi que concrètement, chaque année, au moins 25 millions de poussins continueront de naître pour être immédiatement mis à mort. C’est absurde et intolérable.

Une dérogation peut-elle être justifiée par le besoin de maintenir la compétitivité de la France sur le marché européen ?

Cette justification, avancée par la filière, n'est pas audible pour plusieurs raisons : d’abord parce que l’Allemagne, qui est le deuxième producteur d’œufs en Europe (juste derrière la France), a déjà généralisé l’ovosexage et interdit le broyage des poussins mâles depuis le 1er janvier 2022. Ensuite, parce que la France s’était justement engagée à promouvoir le développement de l’ovosexage et l’interdiction de l’élimination des poussins au niveau européen.

Enfin, il faut savoir qu’au printemps dernier, une consultation menée par la Commission européenne sur 60.000 participants montrait que 94% d’entre eux étaient opposés à la mise à mort des poussins venant de naître. Madame Stella Kyriakides elle-même, Commissaire européenne à la Santé et à la Politique des consommateurs, a reconnu que l’élimination des poussins posait un problème éthique. La décision française va donc à rebours de l’histoire et de l’exigence des Européens.