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Interdire la grève dans les transports certains jours de l’année : comment fonctionne le «modèle» italien, que lorgne le gouvernement ?

Le droit de grève bientôt mangé à la sauce italienne ? Invité sur France Info le 24 janvier, le ministre des Transports, Clément Beaune, a fait part de la volonté de l’exécutif de modifier le «système actuel» du «service minimum» destiné à maintenir une continuité d’activité des services publics en temps de grève. Tout en balayant «les slogans un peu magiques» comme la réquisition de grévistes ou l’instauration d’un service minimum chiffré (en proportion du service habituel), le ministre a détaillé diverses pistes envisagées. Clément Beaune a notamment cité l’idée d’«avoir des délais d’anticipation un peu plus grands», de «pouvoir mobiliser des personnes au sein des entreprises, qui sont capables de réaliser le métier des personnes en grève, qui soit une solution de recours pour qu’il y ait moins d’impact pour les usagers». Ce qui est déjà l’objectif de la loi sur la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (votée en 2007), qui instaurait pour les salariés grévistes un délai de préavis permettant à l’entreprise d’organiser le travail en conséquence. Mais Beaune est allé plus loin, en évoquant à nouveau la mise en place de «périodes préservées» lors desquelles la grève serait prohibée, à l’instar de ce qui existe déjà en Italie. En France, «il n’y a pas aujourd’hui de dates qui sont sanctuarisées», a-t-il affirmé, suggérant d’«en discuter avec les organisations syndicales».

«Périodes sanctuarisées»

Une semaine auparavant, sur France 2, le ministre des Transports avait déjà expliqué qu’il trouvait «plus pragmatique» de «préserver certaines périodes de départs en vacances par exemple», en interdisant les grèves sur ces périodes «comme l’ont fait les Italiens». En Italie, «il y a effectivement des jours qui sont préservés, les fêtes très importantes comme Noël, les heures de pointe, les départs de vacances importants» ; ce qu’il qualifie de «solution intéressante». Au micro de BFMTV-RMC, le 23 décembre, le ministre des Transports avait déjà évoqué cette piste, détaillant en ces termes le «modèle» italien : «Les périodes qui sont sanctuarisées, ça dépend beaucoup des secteurs, et c’est le fruit d’une négociation sociale.»

Le système italien qui semble séduire l’exécutif est basé «sur un mix de loi et d’autoréglementation des partenaires sociaux», explique à CheckNews Udo Rehfeldt, politologue, qui étudie le syndicalisme européen. Ainsi, «la loi indique quelles sont les périodes pendant lesquelles il ne faut pas faire grève», secteur par secteur. Il s’agit essentiellement des périodes de fête ou de départ en vacances (Noël, Pâques, mois d’août, par exemple).

D’autre part, la loi italienne pose «l’obligation, pour les services essentiels, d’organiser un service minimum», poursuit Udo Rehfeldt. Cette notion italienne de «services essentiels» garantit la jouissance de certains droits de la personne protégés par la Constitution : droit à la santé, la sécurité, l’éducation, la liberté de mouvement, la liberté de communication… Si à l’origine, seuls les services publics étaient visés par la loi, son champ d’application a été élargi aux services essentiels assurés par certains travailleurs indépendants, tels que les avocats, médecins ou chauffeurs de taxi.

Les modalités de ce service minimum sont ensuite fixées par la négociation collective, soulignent Sarah Barutti et Caterina Zerbi, avocates au barreau de Paris spécialisées en droit du travail, toutes deux d’origine italienne : «Les administrations et les entreprises fournissant des services publics essentiels doivent convenir, par le dialogue social, des prestations indispensables à assurer.» Leurs accords collectifs sont néanmoins soumis à contrôle : ils sont transmis à une «Commission de la garantie» chargée d’abord de vérifier que ces textes «respectent ce que la loi impose», puis qu’à leur tour «les grèves respectent les accords», détaille Udo Rehfeldt. S’agissant du secteur des chemins de fer, l’accord en vigueur impose que «le service soit garanti pendant les créneaux horaires les plus fréquentés par les usagers», relèvent Sarah Barutti et Caterina Zerbi. «Il est également spécifié que les grèves ne peuvent avoir une durée supérieure à 24 heures».

En ce qui concerne le devoir d’information, «les organisations syndicales qui déclenchent une grève sont tenues de donner un préavis écrit d’au moins 10 jours» précisant «la durée, les modalités de mise en œuvre et les motifs de la grève». Dans la foulée, l’entreprise qui exploite le service est tenue d’«informer les usagers, au moins 5 jours avant le début de la grève, des modalités et du calendrier des services fournis pendant la grève, ainsi que des mesures pour garantir la réactivation de ceux-ci une fois la grève terminée», note le binôme d’avocates. Des intervalles plus larges que ceux prévalant actuellement en France.

Une réforme «en débat» ?

La réflexion autour d’un durcissement des règles encadrant la grève en France est née en décembre dernier, juste avant le mouvement qui a largement perturbé le trafic ferroviaire durant le week-end de Noël, à l’initiative d’un collectif de contrôleurs (indépendant des syndicats et né sur Facebook). En conseil des ministres, le mercredi 22, Emmanuel Macron aurait demandé à ses ministres de «réfléchir à la mise en place d’un cadre pour assurer la continuité des services publics en toutes circonstances», d’après le compte rendu dressé par le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran. Lequel a évoqué «la nécessité pour l’avenir de tenir compte de ce nouveau type de mouvement de grève qui échappe au dialogue social et impacte durement la permanence d’accès à un service public».

Dans ce débat, Clément Beaune a écarté «le service minimum tel que ça avait été présenté au Sénat par Bruno Retailleau [président du groupe Les Républicains, ndlr]» qui «aboutirait à ce que 30 % du service soit garanti» (une circulation d’au moins 30 % des trains dans le cas de la SNCF). Une mesure qui non seulement nécessiterait de réviser la Constitution, puisqu’elle irait «au-delà du service minimum» tel que consacré par la jurisprudence constitutionnelle et remettrait en cause, par la même occasion, la protection accordée au droit de grève par la norme suprême. Mais, juge Beaune, elle serait aussi peu efficace dans la mesure où «même quand vous avez de très grandes grèves comme on a vécu à Noël, vous avez presque toujours plus de 50 % du service».

«Manœuvre de communication»

Dans tous les cas, le ministre rappelle que dans ce dossier, le gouvernement n’est pas pressé : la possibilité d’une réforme pour ajuster les règles sur le service minimum est «en débat», des «discussions commencent». Mais dans un premier temps, il est préférable de «laisser passer la réforme des retraites» afin d’avoir «un dialogue social plus apaisé». «J’ai demandé d’abord auprès de la SNCF, auprès de la RATP, d’avoir, en accompagnement de la réforme des retraites, des discussions dans l’entreprise. C’est ça la priorité aujourd’hui», a insisté Clément Beaune.

Des discussions qui ont commencé, donc, mais sans les organisations syndicales, selon ces dernières. «Aucune discussion n’est lancée avec les syndicats», «pas à cette heure», «nous n’avons à ce jour aucune information ni invitation sur le sujet», abondent en chœur le secrétaire général adjoint de la CFDT Transports, Sébastien Mariani, le secrétaire de l’union syndicale CGT-RATP, Vincent Gautheron, et le secrétaire général de l’Unsa Transports, Baptiste Arsale. Tous trois s’accordent également à dire qu’il s’agit d’«un effet d’annonce», d’une «manœuvre de communication», dont «ce gouvernement est familier lorsque la situation sociale se dégrade».

Quant à la sanctuarisation «à l’italienne» de certaines périodes, elle est perçue comme «une remise en cause du droit de grève légitime des salariés». Pour Sébastien Mariani, non seulement «la faisabilité juridique d’une telle disposition n’est pas garantie» (risques d’inconstitutionnalité), mais la «conscience des cheminots» limite le déclenchement de mouvements «les jours fériés» : ils tiennent compte des perturbations pour les usagers, ainsi que de «l’impact pour les collègues», les grèves obligeant à piocher dans la réserve et à faire travailler des salariés censés se reposer. Baptiste Arsale rappelle que «les derniers mouvements sur la période de Noël sont le fruit de salariés réunis en collectif» allés à l’encontre de la position des syndicats. Revenant sur la grève de décembre, Vincent Gautheron a renvoyé la balle dans le camp de l’entreprise ferroviaire en pointant le choix de la direction de la SNCF «de placer des séances de négociation primordiales dans la période juste avant les fêtes», créant ainsi selon lui un climat «propice à la grève».