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Irak : la discrète guerre de la Turquie contre le PKK affecte les civils

Une quasi pleine lune illumine le chemin de terre qui mène à Galala, perché sur les pentes du mont Asos, à la frontière iranienne. L’arrivée dans ce village du district de Sharbazher plante le décor : deux 4×4 militaires kaki non siglés croisent la route, située à 1 h 30 de Souleimaniyé, une des principales villes du Kurdistan irakien. C’est le PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan. Une région où se succèdent les offensives aériennes turques contre la guérilla planquée dans les environs. Sur la route du mont Asos, qui culmine à 2 142 mètres, chaque village a connu son drame.

À Kuna Masi, où les familles vont pique-niquer, six civils ont été blessés, le 25 juin 2020, à l’intérieur d’une épicerie par une roquette visant quatre militants du PKK. Plus haut, le village de Qamesh a été endeuillé le 2 décembre 2022 : quatre villageois partis se balader dans la montagne « ont été repérés par un drone turc. Une roquette a tué mon père et blessé l’un de ses amis », témoigne Shallaw Aziz.

« Tout a commencé en 2017 »

Galala n’a pas connu de pertes civiles à ce jour, mais son territoire est parmi les plus fréquemment attaqués. Dimanche 4 juin, deux combattants du PKK à moto ont été ciblés non loin. L’un n’a pas survécu, le second, secouru par des villageois, a été grièvement blessé. « Le 2 mai, puis le 6 mai, il y a encore eu deux attaques », raconte Rezhna Hussein, 25 ans, qui cumule des centaines de milliers de followers sur les réseaux sociaux, où elle poste des vidéos de chaque bombardement visible du village.

« Tout a commencé en 2017 », souligne Mohammed Ahmed, 67 ans, en se remémorant « plusieurs bombes aux fumées jaunes et à l’odeur âcre », qu’il dit ne plus avoir vues depuis 2020. Un signe potentiel d’attaques à l’arme chimique niées en bloc par la Turquie.

« Nous n’osons plus aller dans les montagnes »

« On entend les drones turcs de surveillance tous les jours ou presque », reprend Mohammed Ahmed. À force, plus de la moitié de la soixantaine de familles du village est partie. Dans le nord du Kurdistan irakien - région largement indépendante du reste de l’Irak - plus de 500 villages auraient ainsi été abandonnés depuis les années 1990 et l’exportation de ce conflit né en 1984 en Turquie. L’armée turque disposerait de 87 bases avancées contre 29 en 2019, selon une estimation de Reuters en janvier.

« Nous n’osons plus aller dans les montagnes », regrette Zrar Kader, 22 ans. En juin 2021, ce berger de Galala a assisté à une attaque. « Cela s’est passé juste derrière ma maison. J’ai vu une voiture en feu et des personnes à l’intérieur. » Il dit avoir « agi par instinct et extirpé trois femmes du véhicule », qui se sont révélées être « des combattantes du PKK ». Seule l’une d’elles a survécu, gravement brûlée.

La présence du PKK à plus de 150 km de la frontière turque ne fait pas l’unanimité parmi les habitants : « Nous leur avons demandé de se retirer plus loin, parce que cela nous met directement en danger. Ils l’ont accepté en nous demandant de nous tenir à l’écart de leurs bases », témoigne une jeune femme sous anonymat.

Une centaine de victimes civiles depuis 2015

C’est seulement quelques kilomètres après le village que la présence du PKK, invisible au premier regard, se devine. Caméras aux arbres, tunnels dissimulés… Ils sont sur leur territoire. Mais là encore, les attaques aériennes menacent les villageois qui se rendent dans leurs champs.

De 2015 à 2022, ces frappes turques sur le sol irakien – plus de 4 000, dont 1 600 rien qu’en 2021 – auraient tué 1 180 militants du PKK et au moins 98 civils, selon la Campagne de lutte contre les bombardements transfrontaliers (ECBBC).

Cette guerre discrète mais permanente est dénoncée par Bagdad et plus mollement par Erbil, capitale du Kurdistan irakien, allié d’Ankara et ennemi du PKK. La Turquie se retranche derrière l’article 51 de la Charte des Nations unies, qui donne aux États membres le droit de se défendre en cas d’attaque contre leur territoire. La récente réélection d’Erdogan au sein d’une alliance ultranationaliste ne devrait pas arranger les choses.

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Le Kurdistan irakien, victime collatérale du conflit entre Ankara et le PKK

Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a été créé à partir d’un premier mouvement formé en 1978 par un jeune radical de gauche, Abdullah Öcalan, avec d’autres étudiants inspirés par la pensée marxiste-léniniste.

À la suite du coup d’État militaire de 1980 en Turquie, il lance une sanglante guérilla en 1984.

Le conflit l’opposant à Ankara a débordé dans le nord de l’Irak, où le PKK dispose de bases arrière et où l’armée turque a installé des dizaines de camps militaires depuis vingt-cinq ans. Mais aussi dans le nord de la Syrie, où les Unités de protection du peuple (YPG), branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD), sont très proches du PKK.

Considéré comme un groupe terroriste par Ankara, l’Union européenne et les États-Unis, le PKK a d’abord lutté pour l’indépendance des Kurdes dans le sud-est à majorité kurde de la Turquie.