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Iran : les femmes disent merde aux mollahs

Le pays connaît un vaste mouvement de protestation depuis la mort d’une jeune femme interpellée par la police des mœurs pour n’avoir pas positionné son foulard comme l’exige le strict code vestimentaire de la République islamique. Des émeutes bien plus étendues dans le pays que celles qui ont éclaté ces dernières années, et qui s’en prennent à l’essence même du régime. De quoi faire plier la dictature ?

Une jeune femme qui virevolte dans la rue, ­esquisse un pas de danse, avant de jeter son voile dans un brasier, suivie par d’autres, sous les applaudissements de la foule. C’est l’une des images virales, impressionnantes de courage, qui ont fait le tour des réseaux sociaux ces derniers jours. Des femmes se filment en train de se couper des mèches de cheveux en signe de protestation. Dans une autre vidéo, c’est une femme d’un certain âge, aux cheveux blancs, tête nue, qui agite son voile ; peut-être a-t-elle participé aux toutes premières manifs en opposition au port du voile, au moment de la « révolution isla­mique », en 1979.

Car ce n’est pas la première fois que les femmes se battent contre le régime iranien, mais aujourd’hui, la contestation semble prendre une tout autre ampleur. Les hommes les ont rejointes, et le mouvement transcende les classes sociales. « La crise politique s’étend à toutes les villes du pays, du nord au sud, et s’oppose à un système dans son ensemble. Ce sont tous les quartiers, toutes les classes sociales qui se mobilisent », souligne Farid Vahid, directeur de l’observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès. La révolte s’est propagée dans une trentaine de villes, dont la capitale, Téhéran. Soit un mouvement beaucoup plus important que les précédentes manifestations consécutives à la hausse du prix de l’essence, en 2019. Et tous ces manifestants protestent au péril de leur vie. « Ils risquent la prison, la peine de mort, ou que la police leur tire dessus. N’importe quelle personne qui sort dans la rue sait qu’elle peut ne pas rentrer à la maison, et malgré tout, elles continuent de le faire, il faut prendre conscience de ça », poursuit le chercheur. À l’heure où nous écrivons, au moins 57 manifestants ont été tués, d’après l’ONG Iran Human Rights (IHR). Les autorités ont cadenassé le pays, en coupant l’accès à Instagram et à WhatsApp (YouTube, Facebook, Twitter, TikTok et Telegram étant déjà presque totalement bloqués).

L’étincelle, ce fut la mort de Mahsa Amini, cette jeune femme de 22 ans interpellée le 13 septembre à Téhéran par la police des mœurs, car elle aurait « mal mis » son voile. Dans les premières heures de sa détention, elle est tombée dans le coma, puis elle est décédée trois jours plus tard. Pour se disculper de tout mauvais traitement, le ­régime a diffusé une vidéo où on la voit s’effondrer dans une salle de tribunal et il laisse entendre qu’elle avait un problème cardiaque. « Mensonges ! » dénoncent plusieurs activistes. « Cette vidéo ne prouve rien. Plusieurs témoignages attestent du fait qu’elle a été battue au moment de son arrestation dans la voiture de police », indique Farid Vahid. Quand bien même elle n’aurait pas été battue, son arrestation est déjà suffisamment révoltante pour les manifestants. Son nom est deve­nu le cri de ralliement de toute une population qui aspire à la liberté.

Dès 1979, régulièrement, les femmes se sont mobilisées en Iran, comme nous le rappelle l’écrivaine et sociologue iranienne Chahla Chafiq, exilée en France après la « révolution islamique ». « Depuis quelques ­années, l’intervalle entre les différentes vagues de protestation se réduit, c’est la particularité de cette décennie », explique-t-elle. Il y a d’abord eu le phénomène « mauvais voile », des femmes qui faisaient exprès de mal le porter, en laissant apparaître des cheveux, par exemple. Puis, les campagnes « mercredis blancs », où des femmes portaient un voile blanc chaque mercredi en signe de protestation, mouvement initié par des activistes à l’extérieur du pays et accueilli par des millions de femmes en Iran, raconte Chahla Chafiq. Il y a aussi eu les « filles de la rue de la Révolution », en 2017–2018, contestation lancée par une jeune femme, debout sur une armoire électrique d’un trottoir de Téhéran, qui réalisait une sorte de performance symbolique avec son voile tenu au bout d’une canne. L’action se passait dans une rue qui porte le nom de « Révolution ». Pour endiguer ce type de mouvements, le président ultraconservateur, ­Ebrahim Raïssi, élu en 2021, a durci encore davantage la répression à ­l’encontre des femmes ne portant pas le hijab comme le code vestimentaire islamiste le leur ordonne.

Les activistes iraniennes réfugiées à l’étranger ­attendent aujourd’hui une mobilisation internationale. Maryam Namazie, Iranienne qui a dû quitter son pays dans les années 1980 pour fuir la « révolution islamique », réagit auprès de Charlie : « La solidarité des femmes et des hommes du monde entier peut contribuer à mettre fin une fois pour toutes à cette théocratie du XXIe siècle. Le féminisme d’aujourd’hui doit être aux côtés des femmes iraniennes et contester la misogynie islamique, dont le voile est un pilier, s’il veut être pertinent dans cette lutte cruciale. » Pour l’instant, on est loin du compte, à ce jour, peu de féministes françaises ont ­réagi. On peut même lire sur Twitter ce genre de propos de militants « décoloniaux », comme Sabrina Waz, qui se présente comme une « « gilet jaune » antiraciste antifasciste » : « Derrière cette fascination pour les musulmanes qui décident d’enlever leur voile en Iran, il n’y a pas que de jolis sentiments. Il y a aussi l’esprit du colon qui voit dans ces scènes de dévoilement volontaire une renonciation au statut de femme musulmane et de femme « du Sud »  », écrit-elle sans honte face à toutes celles qui risquent leur vie en Iran.

L’attitude des Occidentaux suscite la colère des Iraniennes. « La clé de tout sera de faire pression sur les gouvernements occidentaux pour qu’ils mettent fin à leur soutien et à leurs relations avec le régime islamique d’Iran, ajoute Namazie. Ebrahim ­Raïssi, qui se trouvait récemment à New York pour s’exprimer devant l’Assemblée générale des Nations unies, en est un bon exemple. Il est responsable du meurtre de Mahsa Amini et de beaucoup d’autres, y compris de crimes contre l’humanité, de disparitions forcées et de torture. Il devrait être arrêté et non être le bienvenu. » « En 1988, Raïssi était un des membres de la « commis­sion de la mort », qui a condamné à mort 4 000 prisonniers politiques iraniens », explique Chahla Chafiq. « Il devrait être poursuivi comme un criminel », martèle-t-elle. Et pourtant, Macron l’a rencontré au même moment à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, au sujet du dossier du nucléaire iranien, une entrevue qui reste en travers de la gorge des manifestants.

Quelle peut être l’issue de ce mouvement ? « Ne soyons pas naïfs, le régime ne va pas tomber d’ici deux semaines, car nous faisons face à une dictature religieuse qui est prête à tout pour se maintenir en place, estime Farid Vahid. Mais il faut soutenir ces manifestations qui permettent un pas de plus vers la liberté. » « Il y aura une prochaine fois, et les protestations seront encore plus radicales », prévient Chahla Chafiq. •