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«Je me questionne sur les limites de la psychanalyse»

Temps de lecture: 4 min

Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à [email protected], tous vos mails seront lus.

Et chaque mardi, retrouvez le podcast sur Slate Audio.

Chère Mardi Noir,

J'ai six ans de psychanalyse dans les pattes donc j'ai avancé sur ce qu'étaient mes désirs, je les ai identifiés sauf que j'ai eu un souci de santé il y a deux ans, qui est définitif et qui m'empêche très clairement de réaliser ces désirs. Je me questionne sur les limites de la psychanalyse. À quoi bon si le désir est impossible indépendamment de la volonté de la personne?

J'ai aussi discuté avec des personnes qui souffrent de maladies et qui m'ont dit que le travail personnel avait été catastrophique pour leur pathologie, car en explorant la dimension psychique d'une maladie peu connue et en supposant qu'éventuellement le psychique joue, elles ont repoussé des limites, ont baissé la garde et ça a empiré leur état.

Anonyme

Cher Anonyme,

Merci pour cette question passionnante. Ce qui vous arrive c'est la tuile, le coup de massue, la mauvaise rencontre, un «hors» de vous qui vous met d'ailleurs peut-être hors de vous. Sans oublier les dimensions d'injustice, d'insupportable, un hasard pur qui vous a choisi sans aucune volonté mais qui est bien présent. Ça vous est tombé dessus, comme on dit. Une sorte d'apocalypse subjective qui, comme le veut son étymologie, dévoile, découvre, révèle sans rien dire de votre vérité.

En somme, le diagnostic révèle ce que vous ne pouviez savoir. Et ce qui tient ici sans doute, c'est l'accroche à ce diagnostic qui sait à votre place. D'où la part en effet délicate que vous mentionnez parfaitement, à savoir: cette division, que dis-je, cet écartèlement entre le discours médical qui sait pour vous et vous limite, et le travail analytique qui érige le savoir au niveau du sujet et qui peut s'avérer dangereux si le corps et ses douleurs ne sont pas prises en compte.

Un de mes amis proches est concerné par ce que vous écrivez. Atteint de plusieurs maladies auto-immunes gravissimes tout en étant lui-même psy, il m'a toujours tenu un discours assez critique et divisé quant à l'intérêt de l'analyse. Il faut l'avouer, nous ne vivons pas tous avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Nous savons tous que nous allons un jour mourir mais cela n'a rien à voir avec quelqu'un qui vit au quotidien avec l'idée que sa pathologie peut s'aggraver du jour au lendemain, sans crier gare. Il me dit parfois qu'il oublie son état, il fait des excès. Il y a quelques années, il avait le sentiment d'aller beaucoup mieux et il est parti en voyage, loin, dans des contrées où il vaut mieux être en bonne santé. Heureusement, tout s'est bien passé sur place, mais le retour a été catastrophique. Le prix à payer de cette escapade fut très élevé, avec des semaines d'hospitalisation.

Le psychanalyste peut interroger une décision qui semble en dehors de la réalité, mais le travail psychique en lien avec un corps trimballé, ça c'est votre lot.

Est-ce la psychanalyse qui a des limites? Ou la personne elle-même? La psychanalyse n'est pas miraculeuse, elle ne fait pas repousser des jambes, ne rend pas forcément les gens heureux, n'emmène pas toutes et tous vers des idéaux accomplis où chacun serait dans un état d'extase pure. Elle est au cas par cas. Ce qu'elle vise, à la limite, c'est la possibilité d'extraire un savoir singulier à partir de différentes situations. Savoir qui permet ensuite de s'orienter dans la vie bon an, mal an.

Je suis d'accord, ça ne vend pas du rêve. Le psychanalyste n'est pas là pour vous brider ou vous libérer. Il peut quand même interroger une décision qui semble en dehors de la réalité mais le travail psychique en lien avec un corps trimballé, ça c'est votre lot. Je ne vais pas vous faire l'affront de parler de deuil. J'ai un peu de mal avec cette notion utilisée à toutes les sauces. Je préfère le terme de remaniement, si celui-ci est possible.

Parce que à quoi bon? Vous avez raison. Ce qui vous est arrivé est peut-être un point de butée. Comme vous dites, vous avez plutôt bien bossé et cette situation pénible entrave vos projets. Il y a alors plusieurs voies possibles: est-ce que ça vous mine à tel point que tout ne tourne plus qu'autour de ce handicap? Un peu comme «la rage de dent» freudienne? C'est-à-dire que vous êtes coincé dans une boucle de douleurs, il n'y a pas de brèche, pas d'horizon, et en fait ça vous protège, parce qu'espérer et désirer, vous l'avez déjà expérimenté et la frustration qui a suivi a été trop violente pour remettre le désir sur le tapis –pour le moment, du moins; ou pour toujours. Après tout, il est parfois plus doux de se mélancoliser, c'est-à-dire de faire mourir une part de nous-même, comme une perte sèche dont on n'attend plus rien.

Ou bien sur ce point, il y a un jeu possible. «Jeu» à entendre comme ce petit espace pas tout à fait comblé. Il ne s'agira pas de le remplir: si ça se remplit, c'est plutôt la situation que j'ai décrite au-dessus, ça tourne en boucle autour de l'insupportable. S'il y a encore du «jeu» ou s'il revient un jour, ce sera l'occasion d'en dire quelque chose, d'extraire un savoir de ce hasard, mais c'est à vous de voir. Je ne suis personne pour vous dire ce qui va se passer pour vous. Les pensées peuvent changer au gré (et vous ne le savez que trop bien) des surprises, bonnes ou mauvaises, de la vie.