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«Je ne peux pas penser à autre chose qu'à l'argent»: ces Français qui songent à quitter Londres

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Outre-Manche, les nouvelles sont inquiétantes. Comme le reste du continent, le Royaume-Uni est enlisé dans une crise économique importante. Mi-novembre, le couperet est tombé: l'inflation a dépassé les 11,1%, son plus haut taux depuis 1981. Mais les mauvaises nouvelles ne s'arrêtent pas là. Le prix du gaz s'est envolé de près de 130% au cours de l'année écoulée, quand celui de l'électricité a augmenté de 66%, selon le bureau britannique des statistiques. Les prix des aliments ont quant à eux gonflé de 14,6% en un an et les transports de 10,9%.

Pour couronner le tout, la Banque d'Angleterre a averti, en novembre, que le pays pourrait faire face à la plus longue récession depuis les années 1920, prévoyant un retour à la normale en 2024. Si le monde entier subit en ce moment une crise économique, la situation est donc particulièrement tendue dans le pays, en particulier à Londres, quatrième ville la plus chère au monde, après Hong Kong, New York et Genève, selon le cabinet ECA International.

«Sauf miracle, je vais rentrer
à Paris»

«Ça a vraiment empiré ces derniers mois, tout a augmenté en un temps record», constate d'ailleurs Sarah, une Nantaise de 28 ans qui s'est installée à Londres en 2019. À l'époque, elle avait quitté Paris et un CDI, parce qu'elle «commençait à saturer de la France». Arrivée en Angleterre, elle a intégré une école de mode réputée de la capitale britannique, puis a rejoint une agence de pub dans le domaine du luxe.

«Londres a toujours été une ville chère, mais au début ça allait. C'était compliqué, c'était rude, mais on gérait», se souvient-elle. Aujourd'hui, à la télévision, dans les journaux, sur les réseaux sociaux, partout, on parle de la «cost of living crisis», la «crise de la vie chère», qui étouffe surtout les classes les plus pauvres. «C'est un stress de tous les jours. Sauf miracle, je vais rentrer à Paris.»

Sarah n'est pas la seule dans cette situation. Dans cette ville qui héberge quelque 300.000 expatriés français, certains hésitent à traverser la Manche pour revenir dans l'Hexagone. C'est le cas d'Emma, 24 ans. «Ils nous saignent de partout!», s'exclame-t-elle. L'étudiante en sciences politiques du Moyen-Orient, qui a emménagé dans la capitale anglaise en septembre dernier, semble totalement désabusée. «Le rêve de vivre à Londres a tourné au cauchemar», souffle-t-elle.

La Parisienne connaît très bien la capitale britannique. En 2017, son baccalauréat en poche, elle y a emménagé une première fois pour suivre des études de mode. «J'ai l'impression que ce n'est plus la même ville, la même vie. Le Brexit venait d'être voté, mais sur le moment personne ne savait comme ça allait être retranscrit, se remémore-t-elle. La vie était plus chère qu'à Paris, mais c'était pré-inflation. En y repensant aujourd'hui, je me dis qu'on était plutôt bien.»

En colocation, Emma payait 500 livres (environ 568 euros en 2017) pour une chambre à Bethnal Green, «un quartier très recherché dans le nord-est» de Londres. «Ce qui n'est vraiment pas très cher», insiste-t-elle. Pour ses courses, son budget était de 30 livres par mois, 50 livres «si [elle] faisai[t] quelques folies». «Une fois le loyer et mes factures payés, je vivais avec 100 livres par mois. J'étais ric-rac, je ne faisais pas trop la fête, je me limitais parfois, mais c'était faisable.»

Le Brexit, un facteur aggravant

Cinq ans après, les loyers ont explosé et les coûts alimentaires ont doublé voire triplé. «Les courses, c'est devenu l'enfer. J'en ai pour minimum 25 livres pour cinq jours de bouffe, avec des produits de mauvaise qualité. Je me retrouve à m'affamer pour ne pas exploser mon budget.»

Vivre en colocation, sauter des repas, évitez d'allumer le chauffage: tous les moyens sont bons pour garder la tête hors de l'eau. «Je reste à l'école jusqu'à 20h pour payer mon ticket de métro en heures creuses, et donc moins cher, indique-t-elle. Mais j'en ai quand même pour minimum 10 euros chaque jour.» «Aujourd'hui, la vie à Londres est sombre, froide et compliquée. Cette ville ne me permet pas de penser à autre chose que l'argent. C'est invivable.»

«Les propriétaires reçoivent tellement de demandes que c'est à celui
qui paiera le plus.»
Sarah, 28 ans, installée à Londres depuis 2019

L'inflation record qui frappe de plein fouet l'île a augmenté en deux temps. La première phase a commencé à la fin des confinements, début 2021. «L'activité reprend, la demande est en nette hausse, mais l'offre ne suit pas, explique Clémence Fourton, maîtresse de conférences en études anglophones à Sciences Po Lille. Là-dessus, le Brexit joue un rôle décisif. Les difficultés d'approvisionnement et d'embauches, notamment de saisonniers, ont créé des pénuries alimentaires et donc une hausse des prix.»

Puis, en février dernier, la Russie a envahi l'Ukraine et le conflit s'est enlisé. L'inflation a alors cru de plus belle, cette fois-ci à cause de la hausse du prix des matières premières, comme les céréales ou les hydrocarbures. Ici aussi, le Brexit a constitué «un facteur aggravant».

«Les prix ont augmenté partout, on le voit en France par exemple. Cependant au Royaume-Uni, c'est un niveau supérieur, affirme l'autrice de l'ouvrage Le Royaume-Uni, un pays en crises?. La sortie de l'Union européenne n'aide pas à combattre cette situation, car le pays a moins de poids dans les négociations internationales. On a vu les Européens négocier ensemble, mettre en place des mécanismes de solidarité pour faire face à cette crise. Le Royaume-Uni n'est pas en mesure de faire ça.»

Trois Premiers ministres en un an

Le tout s'accompagne d'une dévaluation historique de la livre sterling. Le 26 septembre 2022, la devise est tombée à son plus bas niveau face au dollar, soit juste en dessous de 1,04 livre pour 1 dollar. Face à ces mauvaises nouvelles, le gouvernement britannique refuse toutefois de désigner le Brexit comme l'origine de tous ces maux. «Il l'impute à des facteurs qui ne sont pas de son ressort, notamment le conflit en Ukraine. C'est vrai que cela joue, mais ce n'est pas la seule raison», précise la maîtresse de conférences.

À la récession historique, se mêlent deux autres crises: celle du logement et celle qui touche les institutions politiques. L'absence d'encadrement des loyers, le manque de logements et l'envol des factures de gaz et d'électricité ont provoqué une augmentation sans précédent des loyers. Si bien que trouver un appartement à prix abordable à Londres est devenu presque impossible. «Les propriétaires reçoivent tellement de demandes que c'est à celui qui paiera le plus», déplore Sarah.

Sur le volet de la crise politique, les Britanniques ont enchaîné cinq Premiers ministres depuis 2016, dont trois rien qu'en 2022 (Boris Johnson, Liz Truss et désormais Rishi Sunak). Cette instabilité a eu des effets sur la situation économique du pays et les fluctuations de la livre sterling. Le passage éclair de Liz Truss à la tête du gouvernement a ainsi fait très mauvaise impression. «L'épisode Truss, qui reste le mandat le plus court de l'histoire britannique, a largement aggravé la crise, car elle n'a pas su mettre en œuvre des politiques pour alléger les dépenses des contribuables», analyse Clémence Fourton.

«Minimiser les coûts»

Coincés dans cette pénible situation, les Londoniens sont donc contraints de recourir au système D pour éviter les grosses dépenses. Sarah a notamment dû changer ses habitudes pour «minimiser les coûts»: le dimanche soir, elle prend par exemple quelques heures pour préparer ses plats pour la semaine suivante. Cette méthode porte un nom: le batch cooking.

«Ça me permet de ne pas manger dehors par flemme de cuisiner ou d'acheter des aliments en pleine semaine», explique-t-elle. Depuis peu, elle s'est aussi mise aux courses en ligne pour se «contrôler au maximum et ne pas faire de folies». Pour les produits alimentaires, la Nantaise prévoit un budget de 80 livres (92 euros) par mois. «Avant, je ne pensais pas à ça, je n'avais pas de stratagème. J'allais juste au supermarché et j'achetais.»

Rasha, 28 ans, a également dû imaginer des stratagèmes pour éviter l'hémorragie financière. «On essaie de gratter là où on peut», sourit celle qui est arrivée au Royaume-Uni en 2014. Il y a d'abord le choix du quartier dans lequel on vit. Pour cette journaliste freelance, c'est le sud de Londres, et plus précisément Streatham, près de Brixton, un quartier plutôt abordable. «Je voulais absolument un Lidl près de chez moi pour éviter de dépenser tout mon argent dans mes courses» , précise-t-elle.

Depuis peu, elle s'impose aussi un budget par semaine, à respecter à la lettre. C'est simple: sa carte bloque tout paiement s'il est dépassé: «C'est facile d'oublier à quel point on dépense. C'était le seul moyen de me cadrer.» Et puis, il y a le bus, la meilleure solution pour se déplacer à bas prix. «Les trajets sont à rallonge, c'est sûr, mais ce n'est que 1,65 livre l'aller, comparé au métro où tu peux monter facilement jusqu'à 6 livres.»

Les trois Françaises établissent le même constat: en dehors du loyer, c'est le transport qui est le plus coûteux. «C'est vraiment un coût à prendre en considération. Je ne sors vraiment que si j'en ai vraiment besoin, car il faut quand même une vie sociale pour garder le cap. Je favorise clairement le bus, explique Rasha. Uber? Ce n'est même pas une option envisageable.» La jeune femme s'interroge: «Ça a toujours été un sacrifice de vivre à Londres. Ça l'est encore plus aujourd'hui. L'instabilité et la précarité, je les ressens d'autant plus. Alors, on se serre la ceinture, on fait plus de concessions. Mais est-ce une vie de se priver autant?»

Peser le pour et le contre

Une solution demeure: rentrer en France. «Je pensais rester à Londres après mes études, m'y installer, confie Emma. À présent, c'est clair et net: je préfère galérer à Paris, plutôt que de vivre à Londres où chaque sortie me coûte minimum 30 livres. C'est une désillusion. Je n'ai pas apprécié une seconde depuis mon arrivée.»

Pourtant, la situation en France n'est pas optimale. Selon l'Insee, en novembre 2022, les prix à la consommation ont augmenté de 6,2% par rapport au même mois de l'année 2021, et les prix des produits frais se sont envolés de 12,5%. Les effets de la guerre en Ukraine se font aussi ressentir en Hexagone. «Certes la vie en France s'est détériorée, mais ça ne sera jamais pire qu'en Angleterre», maintient Sarah.

Pour Rasha, la situation est plus compliquée. «J'essaie de peser le pour et le contre. Il y a de bons côtés à la vie à Londres: l'ouverture culturelle, les opportunités professionnelles dans mon secteur, énumère la journaliste. Et puis, il y a toute la question raciale en France à prendre en compte.» Rasha est franco-algérienne. Elle explique que les polémiques à répétitions et le racisme quotidien l'empêchent de passer le pas. «Toutes les mini agressions que je peux rencontrer en France m'affectent beaucoup plus qu'en Angleterre car je suis française.» Avant d'ajouter: «Il faut que je réévalue mes priorités.»

S'il est encore trop tôt pour quantifier le retour des expatriés français de Londres, une chose est sûre: «Les atouts qui ont fait l'attraction du Royaume-Uni ont été sacrément mis à l'épreuve ces dernières années, notamment avec le Brexit, conclut Clémence Fourton. Ils ont perdu en attractivité.»