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Jean-Louis Lechêne, les Pyrénées du haut d’une vie

C’est un guide charismatique, qui exerce son métier sur un site magnifique qui incite à la contemplation. Le pont d’Espagne et ses fameuses cascades, le lac de Gaube, le cirque de Gavarnie… Voici, entre autres, ce qui émerveille chaque jour Jean-Louis Lechêne, guide à Cauterets dans les Hautes-Pyrénées. Il a plus de 75 ans. «Si je me sens en forme je ne vois pas pourquoi m’arrêter. Mon frère [à la retraite, ndlr] me demande pourquoi je continue, je lui réponds : “Je travaille pour les mecs comme toi qui ne font rien.”»

Sa station, ville thermale, accueille de nombreux touristes et amateurs de randonnée. Elle n’est accessible que depuis 1766, date à laquelle une route enjambant le torrent a été construite. Auparavant, on ne pouvait y accéder qu’à pied ou à dos de mulet… Marguerite de Navarre, la sœur de François Ier, tout comme Victor Hugo, Charles Baudelaire ou François-René de Chateaubriand en ont été les plus fervents ambassadeurs, tout comme de nombreuses têtes couronnées. Son architecture avec ses hôtels imposants et ses villas grand siècle constitue un autre de ses attraits.

«Quand tu es jeune, tu es un peu zinzin»

Jean-Louis Lechêne aime évoquer ce décor. Il se sent toujours en forme. Son modèle reste le guide Etienne Florence (véritable légende des pratiques montagnardes, disparu à 90 ans en 2012) qui le «requinquait» quand il n’avait pas le moral. Lechêne, lui, n’est pas du coin. Il est originaire de Haumont, près de Maubeuge (Nord), et garde, malgré tous les sommets atteints (dont plusieurs grandes premières dans les années 60), la modestie des grands. «Un guide n’est pas plus grand parce qu’il a gravi l’Everest. Quand tu t’attaques à un sommet, tu prends du recul. Florence, pour moi, était vraiment dans ce rapport à la nature, il avait un regard amoureux, contemplatif. Il faut savoir s’arrêter, ne pas être dans la vitesse.»

En montagne, il se retrouve dans l’espace, les étoiles. C’est, selon lui, une philosophie qui pousse à l’humilité, même s’il faut aussi forcer la chance… Quand il avait 25 ans, on lui disait régulièrement qu’il allait y «passer», comme les autres, Lionel Terray ou Pierre Lachenal. «Si tu arrives à 75 ans, c’est que tu as su renoncer quand il le fallait. Renoncer, c’est un truc difficile. Les clients te foutent la pression. Ils ne veulent pas reporter leurs courses. Les guides connaissent bien les histoires, ils ont un tableau noir de ceux qui passent à la casserole. Quand tu es jeune, tu es un peu zinzin.» Lui-même a descendu la face nord du sommet du Vignemale avec des sabots en caoutchouc. «Tu veux vivre intensément les choses et pour cela tu prends parfois des risques inconsidérés. En vieillissant, tu apprends mieux à voir, entendre et exister.»

Maîtriser sa vitesse

Il trouve que les films de montagne montrent des «choses infaisables, des images idylliques. Il y a un danger de faire croire que tout est possible». En alpinisme bien sûr, mais aussi sur les pistes. Pour Jean-Louis Lechêne, il faut maîtriser sa vitesse. «Maintenant, on est face à des skieurs qui lâchent les freins, vont comme des avions, détaille-t-il. Résultat : des traumatismes qu’on n’a jamais vus avant, comme des fractures de fémur. Tu fais une paroi parce que tu t’entraînes. La performance n’est pas donnée à tout le monde. Aujourd’hui, l’hélicoptère ne sort que pour aller chercher les gars sur les pistes. On les dame trop bien, ces pistes. Le matériel a évolué. On n’apprend plus les techniques de ski… Et quand tu te prends quelqu’un à 80 kilomètres à l’heure… Avec le ski parabolique, tu tournes les oreilles et cela tourne tout seul.»

Idem l’été. «On a construit des modules pour effectuer des figures en VTT, sans analyser l’engagement que les usagers vont prendre en sautant une bosse.» Le guide voudrait «faire passer des messages pour expliquer aux grimpeurs que la montagne se pratique d’abord en effectuant des randonnées, et qu’en montagne, tu ne te balances pas comme cela, n’importe où et comment, même si les coinceurs d’aujourd’hui permettent de grimper en libre».

Aujourd’hui, Lechêne se sent un peu orphelin des professionnels raisonnables et sereins, de son époque, et trouve aussi, que vis-à-vis des dirigeants des stations actuelles, «on est moins convaincants». Il fait pourtant partie du conseil de sécurité de la station, mais regrette d’avoir ce sentiment qu’il n’y ait «plus d’utilité à donner notre avis», par exemple, lorsqu’il s’agit d’installer une remontée à un endroit où les anciens savaient qu’une avalanche était partie, il y a bien longtemps…