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Jeudi polar : Colson Whitehead et le fourgue de Harlem

Colson Whitehead est un des rares auteurs à avoir gagné deux prix Pulitzer, comme William Faulkner. Avec Harlem Shuffle, il se fait plaisir et écrit son premier roman de braquage. Entre 1959 et 1964, on y suit un commerçant de quartier qui se trouve embarqué dans des histoires avec la pègre : mise à sac d’un hôtel, vengeance après une arnaque, et cambriolage de la famille la plus riche de la ville. L’autre grand personnage du roman, c’est Harlem qui lutte contre le racisme et les injustices au milieu des petits caïds et des junkies.

Dans le New York des années 60, la couleur de peau consigne à des zones, et celle de Ray Carney, c’est Harlem. Il y tient un magasin de neuf et occasion, c’est juste «un marchand de tapis» pour son beau-père. En neuf, il ne propose que le top du top avec des meubles de marques Silver ou Collins-Hathaway. Pour ce qui est des occasions, il se tient au courant des décès et «rend service aux familles» en les délestant de ce qui se vend bien en boutique. Il a l’œil pour repérer les belles pièces. Parfois, il propose aussi des radios ou des télés tombées du camion. Ce qu’il veut plus que tout, c’est s’occuper de sa famille et déménager dans un appartement de standing. Et pour ça, il est prêt à faire quelques compromissions. Mais il n’est pas un voyou comme l’était son père, il est juste un peu filou.

Succession de trois nouvelles

Son plus grand défaut, c’est l’amour qu’il porte à son cousin Freddie, un petit diable qui vient lui chuchoter de mauvaises idées à l’oreille et à qui il ne sait jamais dire non. A cause de ça, il se fait entraîner par «Miami Joe» (qui vient de Floride) dans le braquage de l’hôtel Theresa, le plus bel établissement du quartier où passent tous les noirs aisés qui visitent Upton : boxeurs, chanteuses et hommes d’affaires en vue.

Malheureusement pour Carney, ce n’est que le début de son histoire avec la pègre. Il devient vite un «fourgue de référence» et va être forcé de vendre de plus en plus de matériels volés. Mais c’est aussi une opportunité pour s’enrichir, agrandir le magasin en rachetant la boulangerie d’à côté, et enfin emménager avec sa famille dans un appartement digne de ses ambitions.

Harlem Shuffle fait souvent sourire, mais il est exigeant, parce que très documenté. C’est aussi un roman plein de digressions, parfois perturbantes, tellement Whitehead tient à raconter son Harlem en détail. Autre particularité : il est rempli d’ellipses. Il y en a dans la narration, mais aussi dans la construction non linéaire du livre, qui est en réalité une succession de trois nouvelles, espacées dans le temps.

Pots-de-vin et arnaques

Le deuxième grand héros, c’est le lieu. Un peu comme dans la fameuse série The Wire, où Baltimore prend une grande partie de la lumière. Ici, c’est Harlem qui est au cœur de tout. Chaleur, corruption… et révolte après le meurtre d’un adolescent noir par un policier blanc en 1964. On aurait pu imaginer que l’auteur insiste sur ces émeutes, mais il est finalement assez discret sur le sujet. Il passe plus de temps à présenter le Dumas Club, Rotary de quartier qui rassemble les notables de couleur, et n’échappe pas aux pots-de-vin et aux arnaques ; comme il raconte l’activité du Black Star Travel, une agence qui organise des voyages sûrs aux Etats-Unis pour les personnes noires.

Quand on ferme le livre, on peut se rassurer, il y aura une suite. Colson Whitehead l’a déclaré plusieurs fois, Harlem Shuffle est le premier tome d’une trilogie. Après les années 60, Ray Carney reviendra dans les années 70 et 80, où il continuera de ricocher entre les crimes.

Harlem Shuffle, Colson Whitehead (traduit par Charles Recoursé), Albin Michel, 432 pp., 22,90 € (ebook : 14,99 €).

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