France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Jon Krakauer : «On a oublié la nature, on a vécu loin d’elle»

Jon Krakauer est un mythe. L’auteur du best-seller Into the Wild publiait il y a tout juste vingt-cinq ans Tragédie à l’Everest (Into Thin Air), récit de son expédition dramatique sur les pentes de l’Everest l’année précédente. Une saison durant laquelle disparurent quinze personnes.

Jon Krakauer, 68 ans, s’invite il y a quelques mois, un soir de printemps, dans notre salon, via Zoom. D’emblée, on évoque avec lui un sujet qui le préoccupe : les conséquences du réchauffement climatique dans ces montagnes qu’il aime tant. «Cela va changer beaucoup de choses, répond-il. Les grimpeurs doivent s’adapter. C’est très effrayant pour la pratique de l’alpinisme, de plus en plus dangereuse, avec ces pierres qui tombent.»

«Il y a eu des morts au Diamond Peak… Je n’y vais plus désormais. Ma sécurité est plus importante. Je fais attention. C’est devenu un élément important de ma vie.»

On lui demande s’il a des solutions ou des idées quand sa voix, tout d’un coup, s’enraye. «Quelles solutions ? Je ne pense pas qu’il y ait des solutions… Il est trop tard. On n’a pas fait assez, cela s’accélère. C’est tellement évident on a eu d’énormes tempêtes, des feux, des milliers de maisons ont été détruites, je voyais le feu depuis chez moi [début janvier, des incendies ont ravagé les environs de Boulder, dans le Colorado, où il habite, ndlr]. Dans ces cas, on ne peut rien faire.»

«Etre vieux a des avantages»

Reprenant son calme, il raconte, encore et encore, son quotidien d’escalade. Sa passion. «Quel que soit l’âge, vous expérimentez et vous apprenez toujours. J’habite près des Rocheuses, je peux monter à 4 000 mètres sur les plus hauts pics, mais une des plus belles excursions reste le Diamond Peak [2 946 mètres d’altitude]. Comme les Drus, magnifique, une cheminée très dangereuse. Il y a eu des morts… Je n’y vais plus désormais. Ma sécurité est plus importante. Je fais attention. C’est devenu un élément important de ma vie.»

Son quotidien d’homme des bois est fait de cocasseries qui paraissent incroyables aux franchouillards urbains que nous sommes. Ainsi cette anecdote : «Une fois, j’ai entendu un bruit au milieu de la nuit, j’ai vu une forme habillée en noir, assise devant le frigo. C’était un ours ! Il est parti, finalement.»

Son dernier souhait, il l’énonce ainsi : «Vivre plus et travailler moins, passer du temps avec ma femme. Quand j’écris, je suis compulsif. Je passe six ans à écrire un livre dans ma cave.» Il n’a pas pris d’avion depuis des années. Au demeurant, il se contente de peu. «Juste être dehors et profiter. Je cherche ce qui est important pour moi. Etre vieux a des avantages. Je vois la vie clairement, on s’accélère moins, toute cette vitesse me fait peur.» Et d’évoquer ses sorties qui se transforment en expérience spirituelle. «Je me réveille très tôt pour regarder le soleil se lever, c’est une des plus belles choses qui soit. J’apprécie chaque moment, je ne veux rien gâcher.»

«Personne ne me connaissait J’ai failli ne pas être publié, les éditeurs ne voulaient pas de [Into the Wild]. Ensuite, c’est devenu un classique. Aujourd’hui, des ados qui ont été forcés de lire le roman à l’école m’ont dit “je déteste ton livre stupide”»

La maturité et la sagesse à 68 ans ? «Vous n’avez plus à faire le tour du monde pour apprécier la nature et le monde sauvage, juste explorer des lieux proches de chez vous, voir d’autres cultures. A Boulder, tu peux trouver des endroits secrets où personne ne va. Et méditer. Chaque sommet se dévoile petit à petit. C’est comme dans une relation amicale ou amoureuse. Lorsque l’on a l’impression de connaître l’autre de mieux en mieux, de voir des choses que vous n’aviez pas vues avant… L’ego devient moins important, je suis heureux d’être en vie et de ce que j’ai.» Simple.

Jon Krakauer se remémore toujours les moments les plus intenses de sa vie. Comme en 1977, lors de ce mois passé dans l’Arctique en Alaska, «pas très haut, à 1 000 mètres, avec du granit, de la toundra et des grizzlys. J’avais 20 ans, c’était sauvage. Cela a changé ma vie».

«On a oublié la nature»

Il s‘étonne encore du succès, en 1996, de Into the Wild (récit biographique de Christopher McCandless, ce jeune homme qui avait abandonné la civilisation pour un retour à la vie sauvage et y avait trouvé la mort). «Personne ne me connaissait J’ai failli ne pas être publié, les éditeurs n’en voulaient pas. Ensuite, c’est devenu un classique. Aujourd’hui, des ados qui ont été forcés de lire le roman à l’école m’ont dit “je déteste ton livre stupide”.» (Rire).

«L’Everest, on le grimpe “parce qu’il est là”. Mais ces conquêtes de l’inutile, ont-elles un sens ?»

L’ouvrage lui a permis ensuite de choisir ses sujets. «J’ai des amis bien meilleurs écrivains que moi. J’ai écrit le livre au bon endroit au bon moment. Beaucoup de gens n’aiment pas leur vie quotidienne et rêvent de s’évader. C’est ce qui a plu dans le livre : le besoin de redécouvrir la nature. On a oublié la nature, on a vécu loin d’elle. Ce n’est pas sain de vivre en ville… On s’est détaché de notre environnement. On ne sait plus citer les noms des fleurs, des arbres ou des plantes. Les anciens savaient mieux que nous.»

Evoquant finalement Tragédie à l’Everest, il parle d’une expérience «terrible», de la culpabilité du survivant. «L’Everest, on le grimpe “parce qu’il est là”. Mais ces conquêtes de l’inutile ont-elles un sens? Je n’avais jamais vu de corps morts abandonnés sur la montagne avant 1996. J’ai vraiment été choqué.» Dans cette tempête qui a balayé durant deux jours, les 10 et 11 mai, la face ouest du plus haut sommet du monde, huit alpinistes sont morts.