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Judo : « Je suis aussi reconnu comme le judoka qui a battu Teddy Riner », confie Joseph Terhec

Initialement, Joseph Terhec devait « simplement » disputer la compétition par équipes des championnats du monde de Tachkent, en Ouzbékistan, du 6 au 13 octobre. Finalement, le Normand licencié à Saint-Raphaël (Var) disputera aussi l’épreuve individuelle chez les plus de 100 kg, après le forfait de Teddy Riner, officialisé le 19 septembre.

Le double champion olympique, par ailleurs dix fois champion du monde, reste la figure tutélaire du judo français. Mais Terhec, six ans plus jeune que le Guadeloupéen, espère bien ne pas rester trop longtemps dans l’ombre du géant. Le futur kiné, parmi les plus petits gabarits de la catégorie (1,83 m et 123 kg quand même), compte sur sa mobilité pour ramener une breloque d’Asie centrale. On peut penser que cet « épicurien », tel qu’il se définit, la fêterait comme il se doit avant de repartir vers d’autres quêtes, notamment olympiques.

Avec quelles ambitions abordez-vous vos premiers Mondiaux seniors ?

Je vais tout faire pour rentrer avec une médaille autour du cou. J’ai 27 ans maintenant, j’ai déjà battu des mecs du Top 10, des médaillés mondiaux. Je suis dans le Top 20 mondial (19e) et je sais que j’ai mes chances.

Comment vit-on avec l’imposante silhouette de Teddy Riner au-dessus de soi ?

Je suis monté en plus de 100 kg fin 2019, en sachant très bien que Teddy était encore là. Je me suis dit qu’il y avait des tournois et des championnats à aller chercher car je sais qu’il ne les fait pas tous. Une chose est sûre : je ne pouvais plus rester en moins de 100 kg. Ça nuisait à ma santé puisque je me blessais un peu trop à force d’enchaîner les régimes, en perdant 8 à 10 kg à chaque fois. Je garde aussi dans un coin de ma tête les Jeux olympiques. L’idéal, ce serait Paris 2024, même si aujourd’hui, ça semble très compliqué. Mais pourquoi pas en 2028 (à Los Angeles) ?

Paris 2024, c’est un rêve ?

Oui totalement. Aujourd’hui, ce n’est pas moi qui suis pressenti, ce qui est normal puisqu’il y a tout de même Teddy Riner devant moi. Il va falloir que je grimpe dans les classements, que je montre que je peux être présent dans les grands rendez-vous comme les championnats du monde, en ramenant une médaille voire un titre. Il reste deux ans. Peut-être que je vais vraiment exploser. Peut-être que Teddy va commencer un peu à fatiguer. Je ne sais pas, on verra. J’ai plein de choses à faire avant ces JO. Il y a déjà les championnats d’Europe par équipes mixtes après les Mondiaux (le 12 novembre à Mulhouse).

Les derniers championnats d'Europe à Sofia restent un mauvais souvenir pour Joseph Terhec, éliminé dès le premier tour par le futur finaliste allemand Johannes Frey, le 1er mai 2022.
Les derniers championnats d'Europe à Sofia restent un mauvais souvenir pour Joseph Terhec, éliminé dès le premier tour par le futur finaliste allemand Johannes Frey, le 1er mai 2022. - Nikolay Doychinov / AFP

Avant le dernier Euro, le 1er mai dernier à Sofia, vous aviez affiché de grandes ambitions et ça ne s’était pas bien passé. Est-ce que la déception est digérée et qu’avez-vous retiré de cette expérience ?

Oui, c’est digéré. C’était un gros échec. Ce rendez-vous était à ma portée puisque j’ai battu cette saison celui qui est devenu champion d’Europe (le Néerlandais Jur Spijkers). Et le finaliste, c’est celui qui me bat (l’Allemand Johannes Frey, dès le premier tour) mais que j’avais déjà dominé quelque temps auparavant. Ce jour-là, je suis passé complètement à côté. J’étais en dedans, avec une grosse pression sur les épaules, que je me suis mise un peu tout seul. Il faut que j’arrive à me libérer. Ce sont des choses sur lesquelles je suis en train de travailler et que je ne veux surtout pas réitérer pendant les championnats du monde.

Faites-vous de la préparation mentale ?

Oui. Un peu d’hypnose et des choses de ce genre. Mon principal adversaire, on me le répète souvent, c’est moi-même. Je sais que si j’arrive à être totalement libéré et à me faire plaisir, tout en restant concentré, je suis capable de faire de belles choses.

Vous avez déjà montré que vous étiez capables de battre Teddy Riner, comme en octobre 2020 à Brest, lors des championnats de France par équipes…

Ça reste l’une des victoires les plus importantes de ma carrière, même si ce n’était pas le combat le plus joli. Il avait été très tactique. Avec Teddy, on se connaît presque par cœur. Cela m’a montré que j’étais capable de tenir face au meilleur judoka du monde et ça m’a libéré dans cette catégorie des plus de 100 kg. Derrière, j’ai fait ma plus belle saison, même si elle aurait pu être plus belle, avec plus de médailles.

Joseph Terhec, ici face au Brésilien Juscelino Nascimento, s'est classé cinquième du Grand Slam de Paris, le 6 février 2022.
Joseph Terhec, ici face au Brésilien Juscelino Nascimento, s'est classé cinquième du Grand Slam de Paris, le 6 février 2022. - Sameer Al-Doumy / AFP

Quel est le discours de l’encadrement de l’équipe de France, qui souhaite apporter de l’émulation dans toutes les catégories ?

Pendant quelques années, les plus de 100 kg n’ont pas trop été mis à l’honneur, puisque Teddy était là et remplissait totalement son contrat. Ça a aussi été l’une des raisons de mon choix de monter dans cette catégorie. Il y avait Teddy mais derrière, personne d’autre n’était installé. Je suis champion de France des plus de 100 kg en 2019. Maintenant, je suis dans le Top 20 mondial où nous ne sommes que deux Français, Teddy qui est un peu devant (11e), et moi (19e). Le nouvel encadrement a décidé de préparer ses arrières, au cas où. Je ne le souhaite pas, mais on n’est pas à l’abri d’un Teddy qui arrête parce qu’il en a marre, ou d’une potentielle blessure. Le nouveau staff essaie de donner pas mal de chance à la jeunesse, pour les Jeux 2024 mais aussi pour préparer 2028. Je trouve que ça va plutôt dans le bon sens.

N’y a-t-il pas eu une forme d’« autocensure » chez certains sportifs dans cette catégorie, tellement Riner a pris de la place ?

Oui, des athlètes ont abandonné en se disant : « de toute façon, ça ne sert à rien, il y a Teddy »… Mais ils n’étaient pas non plus alignés sur des tournois où Teddy n’était pourtant pas engagé. Il y a eu énormément de championnats qu’il n’a pas faits et où personne d’autre n’a eu sa chance. Je trouve que ça a changé, déjà vis-à-vis de moi. Finalement, cette saison, je suis classé sur tous les tournois.

Et vous, ça ne vous a jamais traversé l’esprit d’abandonner, en vous disant que Riner bouchait l’horizon ?

Ça m’a traversé l’esprit une fois ou deux lorsqu’on ne m’avait pas accordé des sélections qui, je pense, étaient légitimes. Après, je suis encore jeune et je relativise. Je sais que Teddy ne fera pas tous les tournois, tous les championnats. Je vais me battre pour ramener des médailles.

On a encore beaucoup parlé de Riner dans cet entretien. Est-ce que ça ne vous énerve pas que son nom revienne à chacune de vos interviews ?

Ça ne m’énerve pas. C’est vrai que je suis souvent comparé à lui. Je combats dans sa catégorie, il a une énorme notoriété, c’est aussi le plus grand judoka de tous les temps. Je pense que c’était un peu la même rengaine à l’époque de David Douillet. Et puis quelque part, je suis aussi reconnu comme le judoka qui a battu Teddy Riner. Cela fait aussi parler de moi.

Vous entraînez-vous souvent ensemble, et quels sont vos rapports ?

Teddy a un dispositif un peu différent. Il fait des stages à l’étranger, il a tout un staff à sa disposition, avec entraîneur, encadrement médical, etc. Donc il est un peu à part de nous. Il revient de temps en temps s’entraîner à l’Insep. Quant à nos rapports, ils sont simplement cordiaux. Il n’y a pas d’affinité. C’est peut-être lié au fait que l’on soit dans la même catégorie ou qu’on ne se voit pas si régulièrement que ça. On se dit bonjour et ça en reste là.

Revenons à votre situation. Arrivez-vous à allier sport de haut niveau et études ?

Péniblement. Je finis mes études de kiné normalement fin novembre. Bien que l’école, située à Saint-Maurice (Val-de-Marne) juste à côté de l’Insep, soit arrangeante, ce n’est pas toujours évident de suivre les cours, de rattraper le retard et d’être à jour pour les examens. Heureusement, quand on est sportif de haut niveau, on peut étaler son cursus – sept ans au lieu de quatre – sinon, j’aurais dû faire un choix.

Vivez-vous de votre sport ?

Oui, le judo est vraiment en train de se développer, même si on n’a pas des salaires à cinq chiffres ! Ce que l’on touche permet de vivre sur Paris. Mais pour les numéros 3 et 4 français, c’est un peu plus compliqué. Notre sport, on le pratique plus par passion que pour l’argent, même si de très grands judokas vivent bien et le méritent.