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Karine Deshayes, star mais pas diva

Karine Deshayes est une chanteuse heureuse. À l'aube de fêter ses vingt-cinq ans de carrière, ce sera ce dimanche 27 novembre à 18 heures dans l'Instant lyrique de l'Opéra-Comique, la mezzo-soprano rit beaucoup, s'amuse de son étiquette de « belcantiste » et rappelle son amour de la musique baroque… Forte de ses trois Victoires de la musique, elle déroule sa partition sur les plus belles scènes de France et d'ailleurs, pas rassasiée de musique et d'envies. Entretien pétillant.

Le Point : Au moment de fêter vos vingt-cinq ans de carrière, vous souvenez-vous de vos débuts ?

Karine Deshayes : Bien sûr ! Mon premier contrat en tant que professionnelle, c'était en 1997 au festival d'Ambronay avec Christophe Rousset dans La Didone de Cavalli. J'étais très heureuse de pouvoir mettre les pieds sur scène pour mon premier opéra. C'était ma dernière année de conservatoire, j'étais à la fois étudiante au CNSM et chanteuse professionnelle. En plus, on avait fait une petite tournée avec Christophe Rousset, donc ça nous a permis d'aller aussi à l'Opéra d'Avignon, à Besançon… Ça m'a mis le pied à l'étrier tout de suite.

Quel regard portez-vous sur les vingt-cinq ans écoulés ?

Je n'ai pas vu le temps passer, j'ai l'impression que c'est hier. Quand je commence à regarder en arrière et à compter le nombre de rôles, je me dis : « Waouh, quand même ! » Je suis très heureuse, évidemment, de ma carrière. J'ai joué des rôles magnifiques, mes rêves se sont réalisés, j'ai été dans des salles superbes. J'ai travaillé avec des gens qui m'ont énormément portée, soutenue. C'est pour ça que j'avais envie de fêter cette occasion !

À 50 ans l’envie est toujours là ! Le fait que la voix évolue, ça nous donne d’autres possibilités, je trouve ça extraordinaire.

Et cet anniversaire, vous le célébrez ce dimanche à 18 heures à l'Opéra-Comique, dans le cadre de l'Instant lyrique et en compagnie de plusieurs invités…

C'est une salle que j'aime beaucoup. J'y ai déjà fait plusieurs concerts et c'est une de mes acoustiques préférées. C'est assez mythique quand même ! Énormément d'opéras y ont été créés. Je suis très heureuse de pouvoir y chanter. Après, c'est un énorme challenge parce que c'est aussi une grande salle, 1 400 places.

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Pour les invités, on a regardé ceux, parmi les artistes, qui avaient participé à l'Instant lyrique. J'ai demandé à énormément de monde, je voulais que ce soit vraiment festif. Et il y en a beaucoup, malheureusement pour moi, mais heureusement pour eux, qui sont déjà en production ou à l'étranger à ce moment-là… Je me suis dit que c'était aussi intéressant de pouvoir réunir mes amis chanteurs et instrumentistes, parce que je fais également beaucoup de musique de chambre. J'ai toujours voulu continuer et les productions d'opéras et les concerts avec orchestre, mais aussi les concerts en récital, que ce soit avec un piano ou alors en formation musique de chambre. Ça ne sera d'ailleurs pas que lyrique. Il y aura aussi quelques morceaux instrumentaux.

Mais effectivement, sur scène, j'ai eu la chance que mes amis répondent présents, tels que Natalie Dessay, Philippe Jaroussky, Delphine Haidan, Cyrille Dubois, Paul Gay, Geneviève Laurenceau pour le violon, André Cazalet au cor, Pierre Génisson à la clarinette, Christian-Pierre La Marca pour le violoncelle, Arnaud Thorette et Johan Farjot de l'ensemble Contraste et également trois pianistes : Antoine Palloc, Mathieu Pordoy et Bruno Fontaine. C'est vrai que ça fait un petit peu de monde sur le plateau.

Est-ce que vous avez encore des envies, des choses qui vous font rêver, des défis que vous avez encore envie de relever ?

Oui, toujours, c'est ça qui est génial d'ailleurs. Déjà cette année, j'ai eu la chance de faire deux prises de rôles qui étaient Valentine dans Les Huguenots à Bruxelles et Norma à Aix. C'était des grands défis et je suis très heureuse que ce se soit bien passé. Et le prochain en date, ce sera le rôle de la Comtesse dans Les Noces de Figaro au Capitole de Toulouse au mois de janvier. Dans chacun de ces opéras d'ailleurs, j'ai chanté d'autres rôles, et maintenant j'en aborde un nouveau. Et ça, à chaque fois, c'est un défi qui m'intéresse. On connaît l'ouvrage, mais là ce sera avec une autre vision. Comme quoi, vous voyez, à 50 ans l'envie est toujours là ! Le fait que la voix évolue, ça nous donne d'autres possibilités, je trouve ça extraordinaire. On a de la chance que notre instrument évolue.

Il y a des questions qui vous travaillent aujourd'hui et qui ne vous préoccupaient pas du tout quand vous avez commencé. Est-ce que le fait d'avoir une telle carrière, d'être reconnue, ça vous donne aussi certaines responsabilités ?

C'est une question difficile. Peut-être effectivement qu'en avançant on peut donner des conseils à la jeune génération. D'ailleurs, on est de plus en plus sollicité par rapport à ça, pour faire des master class. Et puis, je suis très admirative de cette jeune génération parce que je trouve que la situation du moment est plus compliquée. Il y a moins de structures et moins de travail que lorsque j'ai commencé il y a vingt-cinq ans. Je trouve très courageux de s'accrocher comme ça.

Il y a même eu une époque où les stars du classique comme Maria Callas ou Régine Crespin faisaient la une de Paris Match

C'est vrai… Aujourd'hui, nous, on n'est plus du tout des stars. La télé nous a complètement mis out. Les stars du moment quand on regarde les unes de magazines, c'est facile. Ce sont les sportifs, les gens du cinéma et de la variété toujours, et même les gens de la télé. En fait, les présentateurs deviennent plus célèbres que les artistes eux-mêmes. Et les politiques font énormément la une des journaux, ce qui n'était pas le cas dans les années 1970. On ne voyait pas Pompidou, Mitterrand ou Giscard d'Estaing à la une des magazines. Et effectivement, la musique classique, la culture sont passées vraiment très très loin derrière. Malheureusement pour nous, c'est une autre époque.

Il n'y a plus de diva aujourd'hui ?

Quasiment plus, alors oui, il y a quand même Anna Netrebko… Mais il y en a très peu. Mais aussi dans le côté péjoratif de diva, on disait aussi se comporter comme une diva, avoir des caprices de diva. Autour de moi, je ne vois plus de chanteuse ou de chanteur faire des caprices, ça aussi, c'est quelque chose de révolu. On prend le métro, on répète en jogging, en tennis… C'est plus du tout l'image d'il y a quarante ou cinquante ans.

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Est-ce que ça peut permettre de réconcilier certaines personnes avec l'idée que finalement les artistes de musique classique ce sont « des gens comme nous » ?

On aimerait, parce que, malheureusement, quand on parle avec les gens, on se rend compte qu'on a encore cette étiquette élitiste qui me perturbe beaucoup. Moi, je trouve qu'on souffre beaucoup de ça. Je n'arrête pas de dire que, quand même, il y a des places à l'Opéra qui sont moins chères qu'un match de foot ou qu'un concert d'une star à Bercy. C'est peut-être aussi que quand on vieillit, on a des goûts différents. Peut-être que quand on est jeune, on va voir des concerts de rock, et puis qu'à 60 ans on n'a plus envie d'être debout et de hurler à un concert de rock et qu'on va s'asseoir plus calmement, voir un spectacle à l'Opéra, au théâtre ou au ballet, par exemple. Je pense que les goûts changent parce qu'en fait les têtes blanches dont on parle à l'Opéra, ce ne sont pas les mêmes qu'il y a cinquante ans, donc il se renouvelle forcément notre public. Mais c'est très important de faire découvrir cet univers aux gens. Après, on a chacun nos goûts. On ne peut pas forcer les gens. Les amateurs de Wagner ne seront peut-être pas ceux de bel canto. Il y en a pour tous les goûts, c'est ça qu'il faut dire aux gens, et qu'effectivement on est des gens « normaux » et que simplement on a une passion.

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Sur ces vingt-cinq ans de carrière, il y a des choses que vous regrettez ?

Pas du tout, je me suis dit que les choses arrivaient toujours au bon moment. Donc aucun regret. J'ai eu la chance de faire 23 productions à l'Opéra de Paris, j'ai fait tous les rôles dont je rêvais. Ça a toujours été du plaisir. C'est le secret, je pense.

Et qu'est-ce qu'on peut vous souhaiter pour les vingt-cinq prochaines années ?

Je ne sais pas si je chanterai encore pendant vingt-cinq ans. J'espère vingt quand même ! Parce de grandes chanteuses nous ont montré l'exemple et on a pu les admirer jusqu'au bout. D'être le plus longtemps possible en scène, que ma voix réponde le plus longtemps possible.

L’Instant lyrique présente Karine Deshayes & friends, dimanche 27 novembre à 18 heures à l'Opéra-Comique. À partir de 15 euros, 1 h 40 sans entracte.