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L’anti De Gaulle : Emmanuel Macron est-il devenu dangereux pour la démocratie française ?

Emmanuel Macron ne fait-il pas peser un certain danger sur la démocratie française sans essayer de comprendre ou de convaincre ?

© VINCENT KESSLER / POOL / AFP

Renaissance

Il existe plus d’une seule manière de mettre en danger notre système politique. Si d’autres mouvements ou partis le déstabilisent incontestablement, à commencer par l’extrême gauche, cela n’exonère pas le chef de l’État, de ses responsabilités en propre.

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico : Lors d’un déplacement à Savines-le-Lac pour présenter un "plan eau" dans un contexte toujours aussi explosif. Selon lui des milliers de gens “étaient simplement venus pour faire la guerre” à Sainte Soline. Emmanuel Macron joue toujours plus la carte du parti de l’ordre, comme plusieurs de ses prédécesseurs avant lui, à commencer par De Gaulle. Quelle est la stratégie du gouvernement dans le contexte actuel ?

Arnaud Lachaize : La stratégie du gouvernement, comme cela a été déclaré par plusieurs ministres, est de se présenter en parti de l’ordre contre les émeutes et les violences insurrectionnelles. Le pouvoir s’en prend à la France insoumise désormais aussi diabolisée par lui que le RN. Il tente d’incarner la répression des violences. Son but est de récupérer par ce biais l’opinion publique en la détournant de la question des retraites. Si 90% des travailleurs sont hostiles à la réforme, le pouvoir espère apparaître en rempart contre le chaos suscité par cette réforme. Olivier Véran, porte-parole, a bien exprimé cette stratégie : "Nous sommes et nous resterons le rempart à la violence illégitime et dangereuse". Le gouvernement avait fait de même pendant la crise des Gilets Jaunes, qui s’est achevée par le « grand débat ». Le paradoxe de toute cela c’est que le pouvoir se présente en protecteur des Français contre une crise qu’il a lui-même sciemment déclenchée. Alors jusqu’où cela peut-il marcher ? Il n’est pas du tout certain que les Français soient dupes de l’opération. Les dirigeants politiques tombent toujours dans le travers de sous-estimer l’intelligence populaire.

En considérant dans l’équation uniquement le formalisme de la règle, mais oubliant qu’il n’y a de règle que s’il y a adhésion à celle-ci, Emmanuel Macron n’est il pas en train d’incarner une forme d’anti de Gaulle ? Dans quelle mesure De Gaulle, par opposition à Macron, prenait l’avis du peuple en considération ?


Le président de la République avait annoncé la couleur en 2017 : je serai un président Jupiter… Il prétend incarner une autorité verticale, désirée par les Français pense-t-il. Il me semble qu’il se trompe sur deux points. Le premier : les Français attendent de la fermeté contre la délinquance, les trafics ou l’immigration clandestine, c’est-à-dire que l’Etat fasse respecter la loi. Mais cela n’a rien à voir avec la poigne dont le pouvoir se prévaut, c’est-à-dire faire marcher à la baguette la majorité silencieuse qui paye ses impôt, travaille et respecte les lois. Le second : la vision jupitérienne s’exprime aujourd’hui dans l’obstination du pouvoir à imposer une réforme au pays dont ce dernier ne veut à aucun prix, à 80 ou 90%. Et c’est là que le pouvoir commet me semble-t-il une seconde erreur sur la notion d’autorité. En effet il confond autorité et autoritarisme. L’autoritarisme est vertical, et fonctionne sur « la peur du gendarme ». L’autorité bien au contraire est une relation à deux sens. Elle ne se conçoit pas sans acceptation et donc sans la confiance populaire. Le pays dans sa quasi unanimité se braque contre cette réforme des retraites. Dans une démocratie, il est parfaitement incongru d’imposer une mesure à un peuple dans son immense majorité – quasi consensus – qui ne l’a pas comprise ni admise. Le général de Gaulle bien au contraire ne concevait pas de politique sans une adhésion populaire, par- delà la légitimité issue de l’élection initiale qu’il ne concevait pas comme un chèque en blanc.C’est pourquoi, sur les sujets fondamentaux, il recourait au référendum et quand la Nation s’est trouvée en désaccord avec sa politique, il a démissionné.

Emmanuel Macron ne fait-il pas peser un certain danger sur la démocratie française, en mettant dans une posture purement légaliste, sans essayer de comprendre ou de convaincre ?

La démocratie française est bien malade mais pas spécialement de son fait. Depuis une quarantaine d’années, la fracture démocratique se creuse entre la Nation et sa classe dirigeante. Que signifie la démocratie avec un taux d’abstention de 54% aux dernières législatives ? Une immense majorité de nos compatriotes sont désormais convaincus que voter ne sert à rien. Il faut y voir le résultat d’une vision dominante qui s’est enracinée dans les esprits de la classe dirigeante, fondée sur le mépris du peuple. Une caste au pouvoir formée d’élus et de techniciens, de la majorité comme de l’opposition, est absolument persuadée de détenir les lumières de la vérité face à un peuple irresponsable et obtus. Un président jupitérien incarne particulièrement cette vision, mais il est loin, bien loin, d’être le seul. Bref, les dirigeants du pays mais aussi une partie de l’opposition, s’enferment dans une logique de mépris envers le peuple, et s’obstinent à vouloir faire le bien du peuple malgré lui. A leurs yeux, il est inutile d’essayer de comprendre ni de convaincre puisqu’ils n’ont aucun doute sur la supériorité de leur intelligence. A leurs yeux, il ne peut pas y avoir de réforme utile sans violence et sans mépris. La réforme des retraites marque l’apothéose de cette vision qui depuis trop longtemps, conduit le pays à l’abîme.

Emmanuel Macron saisit-il l’ampleur du danger démocratique et social présent à vouloir faire le bien du peuple malgré lui et en oubliant une part importante de ce qu’est le contrat social ?

Comment savoir ce qu’il pense vraiment ? Mon impression est qu’il raisonne principalement en termes d’image personnelle. Son objectif n’est pas la réforme en soi (dont chacun sait qu’elle est parfaitement insignifiante et injuste dans ses rares effets). Il est de prouver qu’il tient son engagement de campagne des 65 ans et de camper sur l’image jupitérienne du réformiste et du transformateur de la France. Pourtant, ce jeu d’image est perdu d’avance vis-à-vis de l’opinion. La posture qu’il a prise n’est pas vécue par le pays, dans son ensemble, comme de la fermeté mais comme de l’obstination et de la déconnexion. Certes, un certain public apprécie cette posture jupitérienne, une frange de la bourgeoisie urbaine fortunée, conservatrice et le plus souvent retraitée toujours en quête d’un « protecteur » qui n’a jamais variée dans son mépris de la « vile multitude », d’une France populaire qu’elle accuse de fainéantise mais qui travaille bien plus qu’elle.Mais cette bourgeoisie-là, est infiniment minoritaire et en décalage complet avec l’ADN idéologique du macronisme qui se prétend « progressiste ». Les commentateurs de la vie politique affirment : s’il recule son quinquennat est fini, il ne pourra plus rien faire. Un raisonnement contestable : ce sera un million de fois pire s’il laisse la situation continuer de se dégrader et se transformer en violences sporadiques. Il apparaîtra alors comme le président qui a provoqué le chaos dans son pays. Et son image sera tellement dégradée pour les quatre ans à venir que plus aucune initiative ne sera possible.

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