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L’art dans la crise climatique : quatre messages pour dans cinquante ans

Le centre Pompidou a organisé la semaine dernière trois jours de débats pour s’interroger sur les liens entre transition écologique et transition culturelle. Retrouvez tribunes, interviews et enquêtes dans le dossier thématique dédié à l’événement. Ainsi que les articles des étudiants journalistes de l’IPJ Dauphine, venus couvrir le forum pour Libération.

Et si l’art sauvait la planète ? C’est la question sur laquelle se sont penchés la semaine dernière le centre Pompidou et l’Agence pour la transition écologique (Ademe) lors du forum «Climat : quelle culture pour quel futur ?» Durant trois jours, scientifiques, intellectuels, activistes et artistes se sont retrouvés pour échanger autour de l’écologie et des solutions à adopter pour limiter le réchauffement climatique. S’appuyant sur le travail prospectif «Transitions 20502 050 l’Ademe, les débats du forum, (auquel s’étaient associés Libération et l’Institut pratique du Journalisme Dauphine-PSL) partaient de ce constat sans appel : pour atteindre la neutralité carbone, il faut révolutionner nos modes de vie. Un changement radical qui devra passer par une révolution culturelle.

«La transition écologique met à l’épreuve un certain nombre de nos représentations et de nos convictions à un niveau très profond. Notre représentation de la liberté, par exemple, c’est un imaginaire de la circulation sans frontières, de la conquête, analyse Mathieu Potte-Bonneville, directeur du département culture et création du centre Pompidou. On continue à vouloir aller plus vite, plus loin, plus fort, et ce n’est pas facile de renoncer à cette définition de la liberté. C’est une transformation des mentalités énormes et ça, c’est une matière pour les artistes».

Propos que complète le directeur de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, Emmanuel Tibloux : «Il y a tout un travail à mener sur les imaginaires. Comment construire des imaginaires heureux du “ne pas faire” ou du “faire moins” ? Comment rendre attractive l’expérience de la contrainte et de la limite ? Quels sont les nouveaux horizons qui se dessinent ? Ce sont là des questions passionnantes, qui touchent le cœur de nos représentations et mobilisent à ce titre aussi bien les artistes et les penseurs que les politiques et les prescripteurs.»

L’événement a ainsi interrogé chaque sphère de la société. Architecture innovante fondée sur le réemploi de matériaux ; cuisine locale, consciente, végétale et humaine ; art proche de la campagne dissocié de l’urbanisme étouffant, etc. Avec, face au public : Claire Vallée, cheffe étoilée vegan ; Victor Meesters, membre du collectif d’architectes Rotor ; Fernando García-Dory, artiste et fondateur du projet Inland ; Frédérique Aït-Touati, historienne des sciences ; Jean Jouzel, climatologue ; Guillaume Désanges, président du Palais de Tokyo ; Philippe Descola, anthropologue ; Camille Etienne, militante écologiste ; Esther Duflo, prix Nobel d’économie, etc. A portée pédagogique, le forum ne s’est pas contenté de donner la voix aux experts. Ateliers, conférences participatives et débats interactifs ont permis à chacun de se saisir des quatre scénarios imaginés par l’Ademe.

«Les grandes lignes ont été tracées»

L’Ademe (partenaire de l’événement) est un établissement chargé, sous l’égide des ministères de la Transition écologique, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, d’établir les prévisions qui permettront de développer d’écologie dans le futur. Ses champs de travail sont l’énergie, la lutte contre la pollution ou encore la gestion des déchets. L’objectif : donner une ligne directrice pour les politiques publiques. Des travaux destinés aux décideurs, hommes d’affaires et politiques, mais aussi du grand public.

C’est à ce titre que l’agence a établi l’année dernière des prévisions sur la neutralité carbone dans les prochaines décennies. Ce travail prospectif, à la croisée de plusieurs disciplines, a été enrichi par des experts du think tank «The Shift Project», du Réseau de transport de l’électricité ou de l’association NegaWatt. «Malgré toutes ces recherches, certaines zones restent floues. Impossible en effet de prendre en compte tous les paramètres et de prévoir avec certitude ce que seront nos vies dans les cinquante prochaines années, reconnaît Jean-Louis Bergey, coordinateur prospectif de l’agence. Restent que les grandes lignes ont été tracées !» Et de poursuivre : «Nous avons réfléchi à cinq problématiques : jusqu’où doit aller la sobriété, qu’est ce qu’un régime alimentaire durable, quelles sont les limites des puits naturels [ces espaces permettant d’absorber le CO2 comme les forêts et les océans, ndlr], quels bâtiments seront ceux de demain et enfin, quel modèle économique peut être durable.» Au finale, quatre grands scénarios ont été dressés (le 1 et le 4 ayant particulièrement retenu notre attention), permettant de dessiner le futur en fonction des choix faits aujourd’hui.

Maya Mihindou, illustratrice, dessine pendant les échanges et conférences «Controverses» organisées par le Centre Pompidou le samedi 3 décembre 2022 dans le cadre de l'évènement «Climat : quelle culture pour quel futur ?» ( Mélanie Ravier/IPJ Dauphine)

Sobriété, coopération et technologie

Le premier, «Génération frugale», propose une véritable refonte de la société. Le mot d’ordre : la sobriété. L’objectif : diminuer le plus rapidement possible notre consommation énergétique. Ces changements importants de comportements doivent être volontaires : la sobriété n’est pas la pauvreté, car il est question de choix, pas de moyens. Dans ce scénario, le Français mange trois fois moins de viande qu’aujourd’hui, ce qui implique la disparition de 85 % de l’élevage de viande porcines et bovines. L’agriculture émet deux fois moins de gaz à effets de serre : on utilise moins d’engrais chimique, on fait la part belle au bio, et on limite l’importation de produits exotiques. Cela conduit à une amélioration de la fonction de «puits» de carbone des sols et des forêts. Pour l’habitat, on s’applique à rénover plutôt qu’à construire du neuf.

Du côté de la mobilité, tout est également repensé : la primauté est donnée aux mobilités douces, aux déplacements à pied et aux transports en commun. Les kilomètres parcourus en voiture ont diminué d’un tiers par personne. Pour que cela soit possible, l’accent est mis sur le localisme, et les territoires sont aménagés en ce sens. Localisme ne voulant pas dire autarcie : les zones rurales sont réinvesties, pour que la voiture ne soit plus un besoin vital. Plus facile de se déplacer à pied ou à vélo quand des commerces ou des espaces de coworking sont à proximité.

Dans le deuxième scénario, intitulé «Coopérations territoriales», la société devient une gouvernance partagée, et l’accent est mis sur la coopération. On mise sur une évolution progressive du système économique vers une voie durable alliant sobriété et efficacité. La consommation de biens devient mesurée et responsable, le partage se généralise. «Technologies vertes», le troisième synopsis, promet un développement technologique qui permet de répondre aux défis environnementaux plutôt que des changements de comportements.

«Embarquer la société»

Tout au bout du spectre, on trouve le scénario 4, le «Pari réparateur». Ici, plus question de sobriété : on poursuit dans nos modes de consommation actuels, mais les nouvelles technologies permettent d’absorber l’excédent de gaz à effet de serre pour arriver à la neutralité carbone. Pas de réduction de la consommation de viande mais une agriculture et des industries agroalimentaires spécialisées et compétitives. L’alimentation est transformée et optimisé avec l’avènement des protéines de synthèse. Si elle n’est pas douce, la mobilité est tout de même décarbonée, avec l’utilisation de véhicules électriques. Le CO2, évidemment toujours très présent, est capté par des moyens technologiques et non naturels. Alors que le premier scénario est dans l’optique de limiter, l’intention est ici de réparer : un pari risqué, «de la science-fiction», juge même l’économiste Timothée Parrique, invité du forum, puisque tous les espoirs reposent entre les mains de technologies qui n’existent pas encore…

Jets de soupes, blocage des routes… les récentes actions des militants écologistes, jugées radicales, interrogent notre rapport à l’art et à la temporalité. «De la peinture sur un tableau a suscité plus de réactions que le rapport du Giec», s’est insurgé Elen, une jeune militante du mouvement Dernière Rénovation, qui participaient aux débats, rappelant que «la radicalité est du côté du gouvernement», condamné deux fois pour inaction climatique. Face à elle, Emmanuel Tibloux, directeur de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, préférait «embarquer la société sans la brusquer. Il faut porter la transformation partout, il n’y a aucun endroit que nous devons exclure…» Si le consensus de l’urgence climatique est évident, les modes d’actions sont différents. Alors, faut-il détruire pour reconstruire ? Aurons-nous le courage d’oser scénario 1 ou laisserons-nous s’imposer sans réagir le 4 ?