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L’art de boursicoter derrière les barreaux

C’est lundi soir et Nick arrive avec le dernier numéro de [l’hebdomadaire financier américain] Barron’s sous le bras – c’est notre petit rituel pour démarrer notre semaine de placements. Avec un grand sourire, il l’ouvre devant moi, et nous nous y plongeons à l’affût d’achats potentiels. Autour de nous, des gars rebattent les cartes entre deux parties de pinochle sur des tables rondes en acier, roulent des burritos aux nouilles de ramen devant le micro-ondes ou discutent de ce que sera leur vie, un jour.

C’est à peine si nous prêtons attention au brouhaha en épluchant le magazine à la recherche des chiffres en gras indiquant les sociétés dont le cours de l’action a atteint un nouveau plus bas sur cinquante-deux semaines. Petit à petit, des gens s’agglutinent autour de nous en donnant leur avis sur l’évolution du marché et les prévisions des analystes.

Jeu de riches

Quand nous avons terminé, le magazine change de mains et circule jusqu’à ce que les pages soient cornées et maculées de traces de gras. En fin de soirée, il finit sur la pile des périodiques que Nick garde à côté de son lit – lequel est boulonné au mur d’une cellule de 7 m2, dans une prison américaine près de Seattle.

Depuis le krach boursier de mars 2020, au début de la pandémie de Covid-19, la spéculation va bon train ici. À cela deux raisons. D’abord, le krach nous a permis de profiter de la baisse. Ce qui était un jeu de riches devenait à notre portée. Ensuite, l’État est intervenu avec un plan de relance dont, curieusement, les détenus ont bénéficié (le Congrès ne nous a pas empêchés de toucher ces chèques, même si l’administration fiscale a essayé).

Cette manne en a surpris plus d’un. Quand Nick a entendu dire que les détenus y seraient éligibles, il a éclaté de rire, incrédule. “Après vingt ans de prison à voir passer toutes sortes de rumeurs, s’il y a bien une chose que je sais, c’est que les bonnes nouvelles ne sont jamais vraies. Cette fois, j’avais tort”, reconnaît-il. (Nick a été condamné pour meurtre en 2002 et conteste le jugement depuis vingt ans. Quant à moi, j’ai été condamné en 2010 pour agression à main armée, et détention d’une arme à feu et de véhicules volés.)

Grâce à ces chèques, des gens habitués aux privations se sont retrouvés tout à coup avec 1 200 dollars en poche [environ 1 200 euros actuellement], puis 2 000 dollars de plus quand l’État a débloqué deux aides supplémentaires. Plutôt que de tout claquer dans des bricoles dont on se passe en temps normal – des petits pains au miel (1,10 dollar pièce), des barres chocolatées XXL (2,40 dollars), du dentifrice haut de gamme (5,28 dollars) – nombre d’entre nous ont fait le choix de placer cet argent.

La plupart d’entre nous n’ont jamais eu le luxe de penser à l’avenir. Les détenus sont des gens court-termistes : survivre, c’est penser à la journée qui commence, et ce pendant des années, des décennies. Certains auront 60 ans quand ils sortiront. C’