France
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« L’autre nom du bonheur était français », de Shumona Sinha : : le feuilleton littéraire de Tiphaine Samoyault

Tiphaine Samoyault

Ecrivaine et essayiste

Notre feuilletoniste a lu le nouveau livre de l’écrivaine d’origine indienne : elle habite Paris, a choisi de vivre dans le français, mais l’Inde reste en elle et dans ses livres.

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« L’autre nom du bonheur était français », de Shumona Sinha, Gallimard, 208 p., 19 €, numérique 14 €.

EXAMEN D’IDENTITÉ

Le mot « roman » n’apparaît pas en couverture du sixième livre de Shumona Sinha. S’il commence comme une autobiographie assez conventionnelle – papa, maman, la langue et moi –, il devient vite une tierce forme, à mi-chemin entre récit et essai, où se côtoient narration et ­réflexion, description et manifeste. Shumona Sinha raconte son arrivée à Paris il y a vingt ans, lorsqu’elle a choisi de vivre dans le français, puis d’écrire dans cette langue qu’elle a d’abord apprise en Inde, à Calcutta et à Hyderabad. Mais l’Inde reste en elle et dans ses livres, son pays natal ne constitue pas un ailleurs. Car si, à un moment, la trajectoire qui la conduit d’un lieu à un autre se grippe, c’est que partout les ­extrémismes s’étendent, les identités se replient sur elles-mêmes et rendent la terre inhospitalière : l’Inde du premier ministre Narendra Modi, la France d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen montrent que nous sommes aujourd’hui dans un monde en danger. Et ce danger est plus imminent que lorsque, autrefois, l’étudiante en langues étrangères pouvait écrire, en bengali et au présent, « l’autre nom du bonheur est français ».

A l’époque, Shumona Sinha lisait ­Michaux en bengali, dans la traduction de Lokenath Bhattacharya (1927-2001), « qui était ­bengali mais pas tout à fait », dont elle aimait aussi les poèmes. C’est tout naturellement que, à son arrivée à Paris, elle rencontre le milieu de la poésie et qu’elle prépare des anthologies de poètes traduits en bengali. Elle se marie avec l’un d’eux, Lionel Ray ; c’est une époque très douce qu’elle évoque avec des mots doux, eux aussi. Les poèmes français lui semblaient avoir été écrits directement en bengali : « Je ne saurais expliquer la raison de cette conversion fusionnelle. Les poèmes, comme les dauphins qui jaillissent de l’eau, font des pirouettes dans l’air et se jettent à nouveau dans le bassin. »

Un jour, la magie n’opère plus. Shumona Sinha étouffe lorsqu’elle parle sa langue maternelle, elle n’a plus envie de traduire, elle se met à écrire. En français. En trouvant autonomie et liberté dans cette francophonie choisie, elle éprouve aussi le monde plus durement. Sa violence la scandalise et la terrifie. Elle a été une traductrice douce, mais elle ne pourra pas être une romancière douce. Lorsque, en 2011, elle rencontre le succès avec Assommons les pauvres ! (L’Olivier), son deuxième roman, elle surprend par sa vision impitoyable, qui n’épargne ni les personnages opprimés qu’elle met en scène ni elle-même. Les livres doivent être « comme la peau retournée des bêtes sauvages ». Elle revient ici sur ­l’écriture de ce roman écrit lorsqu’elle était traductrice à l’Ofpra auprès des demandeurs d’asile bangladais, sur leur détresse et leurs mensonges, leur misère et leur dépendance. « J’ai pensé que, s’ils ne pouvaient être vrais dans la vie réelle, la fiction leur en donnerait le droit. »

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