France
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« L’écriture inclusive est un levier d’égalité entre hommes et femmes »

La Croix : Pourquoi les débats autour de la langue et de l’orthographe sont-ils toujours aussi passionnés ?

Raphaël Haddad : Ce vif intérêt est, à mon avis, une bonne chose comme le dit à sa manière Cioran qui « rêve d’un monde où l’on mourrait pour une virgule »… En France tout particulièrement, le politique a fait de la langue un puissant instrument de l’organisation sociale, se dotant en outre d’une académie gardienne du temple et d’une école publique fondée sur le socle de la lecture et de l’écriture.

La manière dont vous parlez vous définit géographiquement (les accents régionaux), socialement et culturellement. Toucher à la langue signifie toucher à quelque chose de très ancré.

L’écriture inclusive n’échappe donc pas à ces débats enflammés ?

R. H. : Tout d’abord, visant plus d’égalité entre hommes et femmes, elle signifie davantage de pouvoir pour les unes et moins pour les autres. Ce qui ne « passe » pas si facilement auprès des hommes dans notre société où les inégalités sont encore massives.

Voyez l’écart salarial moyen qui de 2015 à aujourd’hui ne s’est réduit que d’un point selon l’Insee, de 18 % à 17 %. Voyez aussi les trois seules femmes à la tête d’une entreprise du CAC 40 ! Et pourtant, en France, les pouvoirs publics sont très actifs en matière de lois, directives, dispositifs visant à réduire ces inégalités. C’est ce paradoxe entre principes et réalité qui doit nourrir la réflexion autour de la langue.

Mais en quoi la langue y joue-t-elle un rôle ?

R. H. : La langue est vecteur privilégié pour véhiculer les représentations mentales, en l’occurrence les représentations inégalitaires. Au même titre que les images, les symboles, les fictions, la publicité… Cet impact se vérifie tous les jours, comme l’explique dans le livre l’historienne de la littérature Éliane Viennot.

Si l’on demande à un panel de personnes de citer deux écrivains français célèbres, seuls 5 % citeront au moins une femme. Si on leur demande de citer deux écrivains ou écrivaines célèbres, le taux monte à 20 %.

La défense de l’écriture inclusive est donc militante ?

R. H. : Sans doute, mais ceux qui la portent ne partagent pas les mêmes objectifs. Pour simplifier, cohabitent, voire s’opposent, une vision identitaire et revendicative que je respecte, mais qui n’est pas la mienne, et une vision universaliste de l’écriture inclusive comme levier d’égalité, celle que je prône. Je pense que les frictions ressenties dans l’opinion publique sur la question sont plutôt une réaction à la revendication identitaire.

Ces débats sont-ils propres à notre époque ?

R. H. : Certes, ils sont animés aujourd’hui, mais l’histoire nous montre maints exemples d’inclusion dans la langue. Dès le Moyen Âge, comme l’explique la spécialiste en langue médiévale Amandine Mussou, on assiste à une féminisation des noms de métiers. Celle-là même qui fit l’objet du combat de féministes il y a plus de soixante ans, ou de circulaires gouvernementales depuis les années 1980.

Rappelons aussi que, après y avoir été opposée, l’Académie française a reconnu – mais en 2019 seulement ! – qu’elle ne voyait « aucun obstacle de principe » à cette féminisation. Au sein de l’écriture inclusive, certains éléments sont désormais communément admis, d’autres beaucoup moins.

Faites-vous allusion au point médian ?

R. H. : Oui, ainsi qu’aux néologismes non binaires comme le pronom iel ou ille pour la troisième personne du singulier. L’un et les autres sont majoritairement rejetés dans l’opinion publique, alors que la féminisation des noms de métiers ou la remise en cause du masculin générique pour désigner un groupe mixte recueillent l’approbation, respectivement des deux tiers et de 56 % des Français (1). L’usage du point médian pose en effet question et peut entraver la lecture et la compréhension d’un texte, notamment si on en abuse dans une même phrase. Il nécessite un usage raisonnable, l’élaboration réfléchie de chartes, des discussions et expérimentations sereines.

À quel lecteur s’adresse votre ouvrage qui est à la fois une défense et une méthode d’écriture inclusive ?

R. H. : À toutes celles et ceux que cela intéresse. Il tente de donner des arguments et des exemples pour conforter les pour, inciter les contre à en voir la visée universaliste et non identitaire et à aider les indécises et indécis à se faire leur opinion. Je remercie Le Robert d’avoir eu le courage d’éditer un ouvrage qui, je le vois avec tristesse sur les réseaux sociaux, suscite une violente réprobation de principe avant même que d’avoir été ouvert et, a fortiori, lu.