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L’espoir fané de la Grande muraille verte

« Il n'y a rien qui fasse autant de mal que les bonnes intentions », disait l'économiste américain Milton Friedman. Sans être aussi radical, on peut considérer que le projet de la Grande muraille verte s'apparente aux illusions perdues. Histoire d'une fausse bonne idée…

Comment ne pas s’enthousiasmer ? Lorsque, durant les années 1980, le président du Burkina Faso invite à planter des arbres de Dakar à Djibouti, soit sur 7 600 km de long et 15 km de large de terres désertiques, les 11 pays concernés souscrivent avec empressement. Dans la foulée, la Banque Mondiale, la FAO, l’ONU, l’UICN et bien d’autres nations, s’engouffrent dans cet élan écologique. Lors du « One Planet Summit », initié en 2017 par la France, Emmanuel Macron propose même la création du « Great Green Wall Accelerate » visant à mobiliser 14 milliards de financement en faveur de la Grande muraille verte.

Bon nombre d’experts se joignent au concert d’espoir. « On va enfin faire reculer la désertification qui ronge douloureusement le sud du Sahara », prétendent les uns, tandis que d’autres calculent déjà que le gigantesque reboisement permettrait de capter 250 millions de tonnes de CO2. Sur le plan économique et social l’exaltation est également au rendez-vous. « 10 millions d’emplois pourraient être créés ou consolidés sur le continent d’ici 2030 », rapporte le blog Demain la ville. Sur le terrain, le Sénégal fait preuve d’un dynamisme exemplaire en restaurant plus de 50 000 hectares de terres. Belle performance, avant d’atteindre les 150 000 hectares en 2030. Ailleurs, les résultats sont moins exaltants. La fameuse Grande muraille verte ne s’est enracinée que sur 4 % des territoires envisagés alors qu’il faudrait restaurer 8 millions d’hectares chaque année pour être conforme aux ambitions. L’état des lieux paraît même désespérant. En treize ans, il n’y aurait que 4 millions d’hectares restaurés sur les 100 millions prévus. Comment expliquer un tel naufrage ? Dans une publication de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) Hélène Soubelet, directrice de l’établissement, rapporte les résultats d’une étude sans concession : « Tout d’abord, le désert du Sahara ne s’étend pas, comme on l’avait craint lors des sécheresses des années 1960 et 1970. Ensuite, planter des arbres n’est pas une solution, en partie parce que les résultats des projets de plantations d’arbres sont mauvais. » Les études menées au Kenya et au Sénégal confirment que 80 % des arbres plantés sont morts par manque d’arrosage et de soins appropriés. À ce constat, il faut ajouter les coupes réalisées pour le bois de chauffage ou l’inadaptation des espèces aux conditions locales. Droite dans ses bottes, l’Éthiopie s’est pourtant fait l’avocate de la Grande Muraille en affirmant sans rougir qu’elle avait planté 353 millions d’arbres en une journée !

Faut-il conclure à l’échec d’une idée pleine de promesses ? L’article transcrit par Hélène Soubelet tempère : « Il existe d’autres pistes dont celle du missionnaire Australien Tony Rinaudo qui fut précurseur en début des années 1980. » Voulant améliorer la condition de vie des plus pauvres, l’homme d’Église avait commencé par planter des arbres. Peine perdue, ils mourraient ou étaient arrachés. En revanche, des buissons résistaient, ici et là, il s’agissait d’espèces indigènes. Ce sont elles qu’il fallait valoriser. Ainsi naissait la « régénération naturelle » qui fit ses preuves au Niger, avec quelque 200 millions d’arbres locaux plantés sur plus de 7 millions d’hectares. Le professeur Luc Abbadie, chercheur à la Sorbonne, plaide depuis longtemps pour cette démarche : « Au Sénégal, j’ai constaté la restauration d’un potentiel biologique qui marche bien à condition que la densité des herbivores domestiques soit raisonnable. »

Une autre technique jugée innovante bien que très ancienne, est le zaï. Elle consiste à creuser des fosses et à les remplir de fumier. Le dispositif attire les termites qui, en creusant leur réseau, contribuent à retenir l’eau. Très vite les porte-greffes ou les graines se régénèrent ou germent naturellement. Si la perspective d’une écologie durable s’est dessinée, elle fut freinée par les vieilles habitudes économiques. Le géographe Chris Reij du World Resources Institut ne cache pas sa colère : « Les grandes banques de développement ont toujours été attirées par les projets couteux qui rapportent… sur le papier. En réalité, le coût de plantation d’arbres atteint 500 à 1 000 $ par hectare, soit des milliards gaspillés au regard des 20 $ l’acre pour les arbres naturellement régénérés et très bon marché. » Quant à Rinaudo, il abonde sans réserve : « Il y a quelque chose de « glorieux » à aller là-bas planter des arbres mais j’incite à la régénération naturelle gérée par les agriculteurs avec dix fois plus d’enthousiasme. » À l’évidence, l’ambitieux défi de la Grande Barrière Verte devra revisiter sa stratégie pour générer un nouveau souffle d’oxygène de Dakar à Djibouti. D’autant que huit pays sur onze connaissent des conflits. Pas évident ! •