France
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L’histoire comme écho à la France contemporaine

La mort de Malik Oussekine a marqué les mémoires, celle d’Abdel Benyahia, tué le même soir par un policier ivre, est restée plus confidentielle. Dans son dernier film, Rachid Bouchareb les lie dans un récit mêlant le réel à la fiction.

Décembre 1986. La France se demande si elle ne vit pas les prémices d’un nouveau Mai 68. Les étudiants battent le pavé pour protester contre le projet de loi Devaquet sur les universités. Les grognards de la droite, Robert Pandraud, ministre délégué à la Sécurité, et Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, sortent les crocs. La répression policière s’accentue. Malik Oussekine observe le mouvement de loin. Ses préoccupations sont avant tout spirituelles puisqu’il envisage une conversion au catholicisme. Ce qui ne l’empêche pas de fréquenter les clubs de jazz. C’est d’ailleurs au sortir d’un concert que des agents du peloton voltigeur moto­cycliste le rouent de coups dans le hall d’un immeuble parisien. Cette même nuit du 5 au 6 décembre, Abdel Benyahia, 19 ans, est abattu à Pantin, en banlieue parisienne, par un policier ivre et armé alors qu’il n’est pas en service. Pendant 48 heures, la ­police cache la mort du jeune homme, de peur que l’émotion qui s’est ­emparée du pays ne se transforme en lame de fond.

Quête mémorielle

Rachid Bouchareb lie ces deux affaires en imaginant le personnage d’un enquêteur de la police des polices tout droit sorti d’un film de Melville en charge des deux bavures. Mais, en faisant dialoguer des images d’archives avec la part de fiction du récit, il crée l’illusion de rapporter fidèlement les faits. De ce point de vue, c’est une réussite, souvent sidérante, bien rythmée et intelligemment construite. Le cinéaste, qui a coécrit le scénario avec la romancière Kaouther Adimi, prend néanmoins ses distances avec la réalité. Au point que les frères d’Abdel Benyahia l’ont vertement critiqué dans une lettre ouverte, l’accusant de caricaturer la situation sociale de leur famille et l’atonie de leur père (lire page 6). Une remise en cause problématique pour un film qui poursuit la quête mémorielle du cinéaste. Déjà dans Little Senegal en 2001, il met en scène le grand comédien malien et burkinabé Sotigui Kouyaté en guide de la Maison des esclaves de Gorée, parti aux États-Unis à la recherche des descendants de ses ancêtres déportés par les Européens. Avec Indigènes, il rend hommage aux tirailleurs maghrébins et transforme le succès de cette œuvre en plaidoirie pour l’alignement de leurs pensions sur celles de leurs frères d’armes français. Dans Hors-la-loi, il rappelle les ravages de la guerre ­d’Algérie qui s’étendent aux sphères intimes et familiales. Aujourd’hui, le film Nos frangins fait écho aux violences policières et à la répression des manifestations. Bouchareb confirme que rien n’a changé, si ce n’est, hélas, le poids accru de l’extrême droite.