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L'hyperacousie, cette «migraine de l'oreille» due aux agressions sonores

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«J'ai travaillé dix ans dans le télémarketing avec des écouteurs sur les oreilles huit heures par jour. À chaque visite chez le médecin du travail, c'était “tout va bien monsieur, votre audiogramme est parfait”… Pourtant, j'étais déjà inquiet, je trouvais qu'il y avait des signes de fatigue bizarres.» Stéphane, 39 ans, est membre actif du groupe en ligne «Hyperacousie - réseau francophone». C'est en 2013 que s'est déclenchée son hyperacousie: «Lors d'une sortie en discothèque, j'ai eu des acouphènes atroces et je suis devenu hyperacousique profond en quelques jours», témoigne-t-il.

L'hyperacousie est une affection auditive qui se traduit par une hypersensibilité accrue ou douloureuse au son. Elle peut s'accompagner de surdité ou non. Les sons sont perçus comme amplifiés, cacophoniques, ils donnent des acouphènes, provoquent des inconforts et douleurs auditives neuropathiques qui peuvent être intolérables.

Ils s'accompagnent de troubles anxieux voire dépressifs, du fait de la perception négative de l'environnement sonore, du repli sur soi et de l'isolement social que cette pathologie induit. «J'ai dû rentrer habiter chez mes parents, poursuit Stéphane, et nous avons déménagé à la campagne. J'avais des envies suicidaires et j'ai failli les rendre fous. Aujourd'hui, je suis reconnu comme invalide après une longue bataille administrative.»

Musiciens, travailleurs du BTP, ingénieurs du son...

Il existe des hypersensibilités auditives de naissance, notamment chez les autistes. Mais pour beaucoup, l'hyperacousie survient ou devient invalidante à la suite d'un événement sonore (type sortie en discothèque), ou bien une succession de situations sonores dans la durée finissent par altérer le schéma auditif et l'oreille interne.

Les populations surreprésentées sont les suivantes: musiciens, travailleurs du BTP, ingénieurs du son, personnes sortant en discothèque, réceptionnistes dans les centres d'appels, mais aussi les professeurs des écoles qui doivent gérer des classes bruyantes. Le stress et l'anxiété sont des facteurs de risque supplémentaires importants et suffisent à eux seuls à déclencher des symptômes.

La prévalence de l'hyperacousie est complexe à calculer en raison de la variabilité des symptômes, mais il y aurait en France, selon une évaluation sommaire faite par une étude, 10 millions de personnes déclarant une intolérance au bruit, 600.000 qui seraient touchées par des formes modérées et 1.200 dans les formes les plus sévères.

Le réflexe «de sursaut»

Les chercheurs en neurosciences s'intéressent depuis quelques années au muscle tenseur du tympan –un muscle de quelques millimètres impliqué dans le réflexe d'atténuation acoustique. En effet, ce muscle interne du marteau vient tendre le tympan pour éviter la propagation d'une onde de grande intensité. C'est un réflexe naturel de l'oreille, qui cherche à se protéger en assourdissant les bruits intenses.

Lorsque ce réflexe est altéré par des bruits de trop grande intensité, on parle alors «de syndrome tonique du muscle tenseur du tympan». C'est sur ce réflexe dit «de sursaut» que travaille le chercheur Arnaud Norena, directeur de recherche sur l'audition au CNRS. Pour ce faire, il l'étudie à la fois chez l'humain et l'animal, car les oreilles sont selon lui le «système de vigilance de l'organisme», avec des seuils sonores qui, s'ils sont dépassés, peuvent déclencher des troubles auditifs dont l'hyperacousie.

Le Dr Alain Londero, spécialiste des acouphènes et de l'hyperacousie à l'AP-HP, parle de ces douleurs comme d'une «migraine de l'oreille». S'il existe quelques médicaments de type antidépresseurs et anxiolytiques prescrits dans le but de détendre les muscles de l'oreille, l'avis des hyperacousiques est unanime: aucun médicament n'est la panacée et gare aux effets secondaires.

Errance médicale

L'errance médicale pour les hyperacousies est terrible, d'autant que la plupart des ORL connaissent mal les pathologies liées aux traumatismes auditifs et pensent parfois que les patients affabulent ou exagèrent, alors que certaines personnes touchées ont leur vie ravagée et ne peuvent plus travailler. «En dix ans de maladie, je n'ai rencontré aucun médecin compétent pour m'aider à gérer mon hyperacousie. Seule l'aide d'un psychiatre m'a permis de garder la tête de hors de l'eau. J'ai dû moi-même faire des milliers d'heures de recherches sur internet pour m'informer sur cette maladie», déplore Stéphane, qui remonte très doucement la pente après avoir vécu une descente aux enfers.

«J'ai vu plusieurs ORL qui ne réagissaient même pas quand je leur expliquais mes symptômes, s'insurge Lucie, musicienne de 30 ans qui a subi un traumatisme auditif à un concert. Ils faisaient littéralement la sourde oreille. L'un d'entre eux m'a assuré que cela partirait en trois jours en mettant des gouttes dans l'oreille… Je savais que c'était faux. Ils n'ont aucune solution à proposer pour gérer la douleur, encore moins pour guérir

«En dix ans de maladie, je n'ai rencontré aucun médecin compétent pour m'aider à gérer mon hyperacousie.»
Stéphane, 39 ans

Il faut alors trouver sa ligne et se protéger du bruit sans se surprotéger non plus, afin de ne pas déshabituer le cerveau à écouter du son. Les hyperacousiques sévères sont réduits à porter des bouchons ou des casques Peltor (normalement utilisés dans le BTP) au quotidien. Ils adaptent leur environnement tant bien que mal et ne vont plus ni au concert ni au cinéma ni au restaurant, voient leurs proches en très petit comité, mettent des bouchons sous la douche voire utilisent de la vaisselle en bois pour éviter les chocs aigus et les bruits de jet d'eau vécus comme violents.

Pour essayer de récupérer des décibels de tolérance, la technique consiste à se réhabituer de façon très douce à des sons de faible puis de moyenne intensité. Les sons de la nature sont plébiscités, car ils sont beaucoup moins agressifs que les bruits synthétiques et compressés que nous subissons par le biais de nos téléphones portables.

Svéa, 40 ans, atteinte d'hyperacousie sévère, explique aussi qu'il faut faire une investigation large: avoir une hygiène de vie impeccable, déménager dans un endroit calme ou à la campagne, adopter une alimentation anti-inflammatoire, et gérer les déséquilibres de la mâchoire et des cervicales qui ont des connexions avec le système auditif, ainsi que tous les maux en apparence anodins ou sans rapport.

Le confinement, pile ou face

Pour certains, la pandémie de 2020 a été un événement heureux. C'est le cas de Pierre, 23 ans, alors étudiant en musique au conservatoire de Paris, qui avait des symptômes d'hyperacousie dans une période où il s'est senti perdu, tout en subissant la pression morale d'un directeur d'études. «Les symptômes ont commencé à disparaître lors du premier confinement. J'ai eu la chance de le passer à la campagne, chez mes parents, dans un village très calme, raconte-t-il. J'ai commencé un projet d'écriture de poèmes dans lequel j'ai versé toute mon attention, et qui a été une vraie réalisation personnelle.»

À l'inverse, la sortie du confinement a été fatale pour de nombreuses personnes qui se sont alors découvert une hypersensibilité auditive. Le cerveau, quand on reste chez soi et qu'on ne prend plus les transports en commun, se déshabitue aux stimuli sonores incessants et le retour est violent pour le corps. «Il faut comprendre que chaque coup de klaxon ou de sirène est comme un coup de bélier pour notre système auditif», décrit Arnaud Norena, qui estime que les grandes villes sont une véritable jungle sensorielle.

L'hyperacousie et d'innombrables problèmes auditifs sont donc amenés à monter en flèche dans notre monde trop bruyant, alors que contrairement aux yeux, les oreilles n'ont pas de paupières et ne peuvent se défendre des assauts répétés du bruit en excès. Un rapport de l'Ademe de 2021 abonde en ce sens et chiffre de façon alarmante le «coût social du bruit» à 147,1 milliards d'euros par an en France –c'est plus que l'estimation du coût total de la pollution de l'air, environ 100 milliards d'euros selon un rapport sénatorial de 2015. Pourtant, cette pollution reste négligée par les pouvoirs publics.