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L’incendiaire de la rue Erlanger devant la cour d’assises

C’est un procès tentaculaire qui s’ouvre ce lundi devant la cour d’assises de Paris. Essia Boulares, 44 ans, polytoxicomane et souffrant de troubles psychiatriques, est accusée d’avoir intentionnellement mis le feu à son immeuble de la rue Erlanger, dans le 16e arrondissement parisien, dans la nuit du 4 au 5 février 2019. Face à elle, 89 parties civiles et une trentaine d’avocats représentant les victimes de l’incendie le plus meurtrier de la capitale depuis quinze ans. Il a coûté la vie à dix personnes âgées de 16 à 92 ans, mortes asphyxiées ou défenestrées, et fait 96 blessés, dont huit pompiers. Jusqu’au 24 février, experts, témoins et victimes vont se succéder à la barre de l’immense salle construite pour le procès des attentats de janvier 2015. Un moment à la fois attendu et redouté par les survivants et les familles des victimes. « Ils souhaitent expliquer ce qu’ils ont vécu lors de cette nuit de cauchemar : des voisins qui sautent par la fenêtre, les cris des habitants pris au piège. Mais aussi raconter l’après, les galères matérielles, psychologiques… », explique Me Deborah Meier-Mimran, avocate de dix des parties civiles.

« une propagation très rapide et d’une violence extrême »

C’est un peu après minuit, le mardi 5 février 2019, que les pompiers arrivent au 17, bis rue Erlanger, où l’immeuble de huit étages, situé dans une cour intérieure et difficile d’accès, est en flammes. Au même moment, Essia Boulares est interpellée par la brigade anticriminalité (BAC) à l’angle de la rue d’Auteuil toute proche, en train de mettre le feu à une voiture. Moins d’une heure plus tôt, la jeune femme avait déjà eu affaire aux agents de la BAC, venus chez elle après qu’elle les avait contactés, via un appel aux pompiers, pour signaler, à tort, que son voisin, lui-même pompier de Paris, avait défoncé sa porte et l’avait cambriolée. « Bien qu’elle ait tenu des propos incohérents, elle ne paraissait ni menaçante ni suicidaire, nous avons donc décidé de la laisser chez elle et nous sommes partis », rapporte l’un des policiers dans l’ordonnance de mise en accusation que l’Humanité a pu consulter. Peu après, le couple voisin, se sentant menacé par cette femme avec laquelle il s’était accroché, a alors décidé d’aller dormir ailleurs. En bas, il croise la voisine quittant l’immeuble, qui lance à l’homme : « Toi qui aimes les flammes, ça va te faire tout drôle quand tout va exploser, moi je me casse. » C’est en remontant vers son appartement du deuxième étage que celui-ci a constaté le départ de feu. L’enquête a révélé qu’il avait été allumé à l’aide d’un briquet sur des textiles et des morceaux de bois placés devant plusieurs portes du deuxième étage.

Débute alors un incendie « d’une propagation très rapide et d’une violence extrême » avec des dizaines de personnes piégées dans leur appartement ou en équilibre sur les balcons et corniches. « Aucune façade n’est accessible aux échelles aériennes, a expliqué l’un des responsables des opérations durant l’instruction. Et dans ce type de bâtiment des années trente, il n’y a pas de dispositif permettant de faciliter l’action des pompiers et l’évacuation des personnes. En fait, il y avait une torchère à tous les étages. » Pascale G., dont la fille de 31 ans n’a pu être sauvée et qui a assisté au téléphone à l’agonie de son unique enfant, met aussi en cause « l’orga­nisation des secours et la pertinence des consignes données ce soir-là par les pompiers aux personnes coincées ».

Un discernement altéré  mais pas aboli

Mais, ce lundi, c’est d’abord la personnalité de l’accusée qui va être examinée par les jurés. Sa détention, depuis février 2019, est ponctuée de séjours psychiatriques. Après avoir longtemps nié, Essia Boulares a reconnu les faits en avril 2021. « J’étais en délire de persécution », a-t-elle expliqué. Alcoolique depuis l’âge de 15 ans, elle a connu une trentaine de séjours en instituts spécialisés. Le dernier, sous contrainte, avait pris fin quatre jours avant le drame. Le soir de l’incendie, elle était sous l’emprise de cannabis, d’alcool, de cocaïne et de médicaments. Si les experts la décrivent comme « intolérante à la frustration » et « instable », ils l’ont estimée éligible à une sanction pénale car son discernement était altéré mais pas aboli lors des faits. Si cette conclusion est retenue par la cour, l’accusée encourrait trente ans de réclusion au lieu de la perpétuité. Mise en cause antérieurement dans plusieurs affaires, Essia Boulares avait à chaque fois échappé aux poursuites en raison de son état mental. Ce procès pourrait donc reposer la question de la responsabilité pénale des malades mentaux. Voire de leur prise en charge par un système de santé particulièrement exsangue en ce qui concerne la psychiatrie.