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« L’Ombre des forêts » : la noirceur magnifique de Jean-Pierre Martinet

Réédition du dernier roman de l’écrivain mort en 1993 : une plongée désespérée et drôle – en enfer.

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« L’Ombre des forêts », de Jean-Pierre Martinet, L’Atteinte, 312 p., 22 €.

Jean-Pierre Martinet (1944-1993) ne fut pas un écrivain prolifique, la faute à la mort qui, sans doute effrayée par sa prose pétrie de spectres vicieux, préféra s’en faire un allié plutôt qu’un rival. Trois romans en douze ans, tous passés quasi inaperçus du pénible vivant de leur auteur, à se demander ce que tricotait alors l’éminente critique littéraire. Une poisse à la hauteur de son talent : immense, ardente. Qui a lu Jérôme (Le Sagittaire, 1978) sait combien l’univers – gravide de monstres, gorgé d’alcool et amèrement lyrique – de ce montreur d’ombres hante les ­mémoires.

L’Ombre des forêts, paru en 1987, six ans avant la mort de Martinet, est réédité : bienvenue en enfer. Ici, les vies sont rognées, les rêves ruinés, les plaies exaucées. Doit-on pour autant enfermer cet écrivain majeur dans l’évidente noirceur de ses ruminations narratives ? Faut-il ne voir en lui qu’un moite explorateur de la misère humaine, certes doué mais qu’au premier regard on pourrait croire englué de complaisance morbide ? Un seul relevé des ­épithètes utilisées ici pour qualifier sa Stimmung pourrait hélas le laisser penser. Disons juste que le désespoir n’est pas nécessairement un choix de vie et que si Martinet ne semble peindre que le grotesque du corps, la misère des affects et la chienlit des désirs, c’est qu’il incarne, à lui seul, l’impatiente douleur d’exister.

L’Ombre des forêts, son chant de cygne noir, met en scène des presque spectres, une certaine Rose Poussière qui cache et nie en elle « une suppliciée de Mauthausen, matricule 203878, ressuscitée par volonté mystérieuse, décret de royale folie et pourpre d’absurde majesté » ; une Céleste, sorte de Félicité flaubertienne réduite à l’état d’espionne-plumeau au service d’un « Monsieur » qui voue un culte contrarié à « Globe sale », le luminaire au plafond de sa chambre, dont il ­lèche l’aura emmoustiquée ; et le fumeux duc de Reschwig qui s’est crevé les yeux à coups de ciseaux, pour quelle raison à votre avis ? Pourquoi se crève-t-on les yeux, pourquoi chasse-t-on la poussière qui persiste, pourquoi enterre-t-on son gris passé ?

Flashs élégiaques

A toutes ces questions qui n’en font qu’une, Jean-Pierre Martinet répond comme un rhapsode ivre de scansions et d’inventivité verbale, mâtinant ses lugubres descriptions de flashs élégiaques et de saillies ténébreuses, sachant alterner phrase-lombric et notation sèche : « Ne reste rien. Pas une note. Clarinette que l’on ne voit plus. Tubas tout seuls, éteints. Dans l’ombre. Gorgés d’ombre. Violons cassés, carcasse rongée, cordes pourries. Même pas une ­vibration. L’atroce ciel bleu par la fenêtre ouverte, gavé de lumière. Mais qui se garde bien de partager, ne serait-ce qu’une infime parcelle. Pas le moindre rayon qui m’atteigne vraiment. Toute la lumière là-haut prisonnière. Toute. » Ne dirait-on pas que Martinet décrit là l’injuste réception que lui valurent ses écrits ? Qu’il parle et malmène nos yeux épris de mous sunlights ?

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