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« La blockchain va devenir une commodité »

LA TRIBUNE — Vous avez récemment annoncé l'introduction en Bourse de votre filiale Eniblock, plateforme SaaS dédiée à la blockchain, sur Euronext Growth. Dans quelle optique avez-vous conçu cette plateforme ?

XAVIER LATIL — L'objectif d'Eniblock est d'être le shopify des tokens : elle vise à rendre accessible au grand public un marché qui restait jusqu'à maintenant réservé aux utilisateurs avertis, du fait des barrières technologiques à l'entrée.

Nous proposons notamment trois grandes fonctionnalités. D'abord, une fonction d'émission et de gestion des jetons non fongibles (non fungible tokens, NFT). Si vous ne connaissez rien à la technologie et voulez lancer un token, nous vous fournissons une solution clef en main à travers cette plateforme, et vous pouvez ainsi vous préoccuper de votre marché sans penser à la technologie.

Ensuite, un outil de gestion des security tokens pour toute sorte d'applications financières : sécurisation d'actifs, tokenisation de dette, etc. Le principe est le même : les clients arrivent avec un dossier juridique entièrement ficelé, et nous nous occupons de générer les tokens, les liquidités, ainsi que la place de marché en ligne si besoin.

Enfin, nous avons également construit notre portefeuille de cryptomonnaies et de NFT. Nous avons fait ce choix plutôt que d'utiliser une technologie existante, comme MetaMask (NDLR : un célèbre portefeuille de cryptomonnaies qui permet d'interagir avec l'ensemble des blockchains Ethereum), afin de rendre l'expérience utilisateur la plus simple possible. On peut ainsi payer directement en euros ou en dollars avec sa carte de crédit, et lorsqu'on revend un NFT, on touche aussi des euros ou des dollars. En effet, nos clients qui souhaitent générer leurs NFT sont principalement des sportifs, des musiciens, des photographes, des influenceurs. Cela va des clubs de football qui vendent des clips exclusifs à leurs fans aux musiciens qui proposent des pistes musicales uniques, en passant par des chefs qui organisent des dîners privés et vendent à la fois les places et les recettes servies sous forme de NFT.

Les personnes qui peuvent acheter ces NFT sont donc des monsieur et madame tout le monde, on ne peut pas leur demander de télécharger MetaMask et de générer une clef privée, il leur faut une interface qui soit plus simple et intuitive.

Au-delà d'Eniblock, The Blockchain Group travaille également avec des grands groupes pour développer des applications de la blockchain dans la sphère industrielle...

En effet. En plus de cette activité autour des NFT, qui cible principalement le grand public, nous sommes également axés sur l'accompagnement des grandes entreprises dans le déploiement de cas d'usage spécifiques autour de la blockchain. Ces applications industrielles représentent à l'heure actuelle 90% de notre chiffre d'affaires. Nous travaillons par exemple avec EDF, pour qui nous avons conçu une plateforme qui permet d'échanger de l'électricité de pair à pair, d'une maison à l'autre, afin d'optimiser l'efficacité de la grille énergétique. Un dispositif qu'ils sont aujourd'hui en train de tester avant de le déployer à grande échelle.

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Nous avons également un contrat avec un consortium composé de Stellantis, Mobivia, COVEA (MAAF, MMA, GMF), Matmut, Crédit Agricole Pacifica et Inter Mutuel Assistance, afin de doter chaque véhicule d'un passeport numérique sur la blockchain. Celui-ci permet d'avoir accès à des informations non falsifiables sur l'ensemble du cycle de vie du véhicule, du kilométrage aux différentes révisions et changements de pièces qui ont été effectués. Cela constitue des données précieuses pour le marché de seconde main, mais aussi pour faire de l'analyse prédictive dans une optique assurantielle, par exemple, tout en ayant la certitude que les données sont de bonne qualité. Un dispositif similaire est également en cours de déploiement dans l'aviation, pour un consortium aérien mondial.

Nous travaillons aussi sur des projets de tokenisation dans l'immobilier : au lieu de vendre des immeubles entiers, par exemple, on émet un certain nombre de tokens pour chaque immeuble, ce qui permet d'introduire de la liquidité là où il n'y en a traditionnellement pas. On peut ainsi investir dans l'immobilier sans être obligé de mettre plusieurs millions sur la table, ce qui réduit la barrière à l'entrée pour les investisseurs potentiels et facilite la vente. Bref, il y a des applications de la blockchain dans toutes les industries.

Avec Eniblock, vous semblez faire le pari que la blockchain est amenée à devenir une technologie grand public, qui, sur le modèle qu'a suivi l'Internet, va progressivement devenir accessible au plus grand nombre via des interfaces simplifiées, plutôt que de rester une technologie professionnelle ou d'initiés. Est-ce exact ?

Je pense en effet que la blockchain va devenir une commodité. À mon sens, elle va même devenir tellement omniprésente qu'on finira par ne plus en parler. Si vous revenez aux débuts du commerce en ligne, à l'aube des années 2000, on parlait de clefs SSL, des différentes technologies de paiement sécurisé... Aujourd'hui, le paiement en ligne est tellement simplifié et ancré dans les mœurs qu'on ne parle plus de tout cela.

La blockchain va à mon sens suivre le même chemin. Il va bien sûr rester des portefeuilles cryptés et des clefs comme celle de Ledger pour les très grosses sommes : quelqu'un qui détient des millions d'euros en cryptomonnaies rechignera toujours à les envoyer dans le cloud, mais la majorité des transactions se fera via des applications classiques. Demain, les banques n'auront d'autre choix que d'intégrer la gestion des crypto-actifs dans leurs applications...

Quel est aujourd'hui le principal obstacle à la démocratisation de cette technologie, selon vous ?

À l'heure actuelle, notre problème principal n'est pas le manque de clients, mais le manque de ressources. Il est en effet très compliqué de trouver des développeurs spécialisés dans la blockchain. C'est pourquoi nous sommes actuellement en négociation pour acquérir le leader polonais de la blockchain.

C'est également la raison pour laquelle nous avons créé The Blockchain Camp en partenariat avec Pôle Emploi, une formation de trois mois destinée aux ingénieurs qui veulent se familiariser avec cette technologie. L'intégralité des 17 membres de la dernière promotion, qui ont achevé leur formation avant l'été, ont été intégrés chez nous en CDI.

Si ce manque de talents est un défi, qui nous contraint parfois à demander aux équipes commerciales de lever le pied par manque de temps pour traiter tous les dossiers que l'on nous soumet, c'est cependant aussi le signe que la blockchain intéresse les entreprises et a de belles années devant elles.

Pensez-vous que la fusion d'Ethereum puisse également donner un coup de pouce à cet écosystème ?

C'est incontestablement un événement important, dans la mesure où le protocole Ethereum compte aujourd'hui pour 85% du marché de l'usage des protocoles blockchain. Il va cependant falloir un petit peu de temps avant que les effets se manifestent, que la facture énergétique diminue, que l'usage et le cours d'Ethereum augmentent de manière significative.

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