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“La Colombie a la légitimité morale pour en finir avec la guerre mondiale contre la drogue”

L’invasion russe de l’Ukraine et le retour des talibans en Afghanistan préoccupent considérablement les grandes capitales, tant leurs effets sont dévastateurs. En revanche, le monde reste imperturbable face à la pire guerre qui ait été livrée dans l’histoire récente, après plus de cinquante ans d’un échec retentissant. Cette guerre, c’est celle lancée le 17 juin 1971 par le président Richard Nixon contre le trafic et la consommation de drogue, “ennemi public numéro un de l’Amérique”.

L’insuccès de la guerre contre la drogue est un sujet rebattu, qui fait l’unanimité parmi des milliers de politiques, de scientifiques, d’écologistes, de chefs d’entreprise, de sociologues et autres experts. On nous l’a expliqué jusqu’à plus soif : les Américains, les Européens et bien sûr plus les plus éclairés en Amérique latine le savent.

Fléaux planétaires

Or l’appel lancé par Nixon depuis Washington a retenti partout dans le monde, si bien que les stratégies pour mettre fin à cette guerre doivent être mondialisées, la production et la consommation de drogue étant des fléaux planétaires. Même si cette guerre a été préparée dans un seul pays, le désarmement ne pourra devenir réalité que par une intervention du concert des nations, sans quoi il restera une chimère.

Mais il y a certains pays qui ont une plus grande légitimité morale pour exiger un changement de stratégie radical. La Colombie est le pays qui a été le plus pénalisé par la lutte contre le trafic de drogue, quel que soit le critère retenu. C’est elle qui présente le plus lourd bilan. L’argent sale des narcos a financé les conflits armés [notamment les Forces armées révolutionnaires de Colombie, Farc] et favorisé des décennies de violations des droits humains, commises en toute impunité.

Prohibition dommageable

Quelle souveraine injustice qu’un seul État ou région doive payer pour les cocaïnomanes du monde développé ! Le président Gustavo Petro a donc eu raison de dire, dans son allocution d’investiture, le 7 août dernier :

“Ils disent qu’ils veulent nous soutenir sur [le plan de] la paix. Eh bien ! Qu’ils changent leur politique de lutte contre la drogue. Il est temps que les responsables politiques internationaux admettent que la guerre contre les drogues est un fiasco.”

C’est ce qu’a dit également [l’ex-président de droite, 2010-2018] Juan Manuel Santos dans son discours de réception du prix Nobel [pour la paix signée avec les Farc, en 2016], quand il a déclaré que la vision prohibitionniste [était] aussi dommageable, si ce n’est plus, que toutes les guerres qui se livrent aujourd’hui dans le monde”.

Il est grand temps que les pays condamnés aux plus lourdes peines exigent une révision du procès. Car la violence de cette guerre nous a laissé KO, presque depuis le moment où elle a commencé.

Fabuleux bénéfices

Elle est un affrontement inutile contre un monstre invisible, dont le coup de griffe détruit tout ce qui l’approche : les victimes du conflit alimenté par les narcos, les responsables politiques qu’ils achètent, les institutions qu’ils infectent, le secteur privé qui lave l’argent sale, chacun des maillons de la chaîne, depuis les avocats jusqu’aux chefs mafieux en passant par les paysans et les écosystèmes sur lesquels il pleut du glyphosate [utilisé pour détruire les plantations de coca]. Tous en décomposition.

Bizarrement, même si tout ce que touche cette guerre pourrit, le système de la prohibition reste inchangé, comme s’il vivait sa vie propre. Il faut croire que la lutte contre la drogue est devenue un secteur économique à part entière, tant pour ceux qui livrent cette guerre aveuglément que pour les capos et les cartels, qui savent que leurs fabuleux bénéfices dépendent de l’illégalité du trafic.

Stratégie myope et inefficace

Cette prohibition absurde possède sa propre armée, suréquipée, prête à tirer. On investit toujours plus d’argent et de forces dans une stratégie myope et inefficace, mais la drogue est toujours là, au même titre que ceux qui la produisent, ceux qui la vendent et ceux qui la consomment.

Comme il fallait s’y attendre, les déclarations de Petro ont pris de court les diplomates et les journalistes. Certaines sources assurent qu’elles ont mis les gringos mal à l’aise. Le ministre de la Justice, Néstor Osuna, est donc monté au créneau pour limiter les dégâts. “Ce gouvernement n’a pas l’intention de légaliser la cocaïne”, a-t-il assuré, ajoutant que le président avait fait seulement allusion à une nouvelle orientation concernant la poursuite des capos et les mesures de santé publique.

Il semblerait que Petro ait lancé une fléchette pour voir où elle allait se planter sur la cible. En effet, des sources gouvernementales confirment que la dépénalisation ne sera pas envisagée en cas de résistance des Américains ou faute d’un soutien international important.

Gigantesque galimatias

Quant à l’administration américaine, elle a salué timidement la décision d’arrêter l’épandage de glyphosate. Pour l’instant, l’attentisme est de rigueur. Résultat, nous nous condamnons à entendre encore les discours et les déclarations à l’ONU, ainsi que dans les différents organismes qui, depuis des décennies, lancent des avertissements sans que rien ne change jamais. Tout cela n’est qu’un gigantesque galimatias.

Le discours désormais emblématique de Nixon a donné lieu à de nombreuses interprétations. Ses motivations racistes étaient évidentes : il avait dans le collimateur les Noirs et les hippies qui ne cessaient de protester contre son absurde intervention au Vietnam [lancée par Kennedy et poursuivie par Lyndon B. Johnson].

Du même coup, il créait un écran de fumée dont beaucoup de présidents sous d’autres latitudes allaient se servir. Ce discours relevait aussi pour une part de l’improvisation, de la grandiloquence, voire du saut dans le vide.

Nous avons peut-être besoin d’un autre politique délirant qui, avec la même fougue que Nixon, mette fin à toutes ces absurdités. Et même si la prudence dont fait preuve Petro pour l’instant est compréhensible, espérons qu’il aura de nouveaux coups de folie…