France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

La Croatie rejoint Schengen, feu rouge pour la Roumanie et la Bulgarie

La Croatie est entrée dans l'UE en 2013 et laisse sur place la Roumanie et la Bulgarie, tous deux adhérents depuis 2007. En quelques mois seulement, Zagreb obtient deux victoires diplomatiques : l'appartenance à la zone euro comme 20e État et l'entrée dans l'espace Schengen de libre circulation au 1er janvier 2023. Pour le Premier ministre, Andrej Plenkovic (chrétien-démocrate du PPE), c'est un grand chelem face à la déroute des régimes roumains et bulgares qui subissent une nouvelle défaite humiliante.

L'Autriche a, en effet, fait savoir aujourd'hui au Conseil JAI (Justice et Affaires intérieures), qu'elle refusait ces deux adhésions et demandait un report de vote. « Nous avons enregistré plus de 100 000 franchissements illégaux de la frontière en Autriche cette année. Parmi eux, 75 000 ne sont pas enregistrés, rappelait Gerhard Karner, le ministre de l'Intérieur autrichien en arrivant au Conseil, jeudi matin. C'est une indication ou un indice que le système Schengen ne fonctionne pas à ce stade. Dans de nombreux pays européens, nous avons actuellement des contrôles aux frontières intérieures, en Autriche, en Hongrie, de l'Allemagne vers l'Autriche, en République tchèque et en Slovaquie. C'est également une preuve supplémentaire que le système ne fonctionne pas. À l'heure actuelle, je pense que c'est une erreur de modifier le système pour des raisons de sécurité. »

Un jour de déception, pour la Commission

« C'est un jour de déception », a commenté la commissaire européenne Ylva Johansson. La Commission milite depuis onze années pour l'élargissement de l'espace Schengen à la Roumanie et à la Bulgarie, reconnaissant que ces deux pays remplissent depuis longtemps toutes les conditions requises.

À LIRE AUSSIAsile et migrations : pourquoi la réforme européenne est impossibleCe n'est pas tout à fait l'avis des Pays-Bas. Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, a choqué Sofia en laissant entendre, voici quelques jours, qu'on pouvait passer la frontière en Bulgarie « pour 50 euros ». La presse a aussi alimenté le doute en documentant le racket des camionneurs turcs par les douaniers bulgares. « Quand un douanier bulgare gagne 600 euros par mois, c'est facile pour un passeur de l'acheter pour 1 000 euros en lui demandant de fermer les yeux pour 10 clandestins qui passent », souffle-t-on dans les rangs du PPE, au Parlement européen.

La commissaire Johansson espère que l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie n'est que reportée pour peu de temps et rappelle que « 25 États membres soutiennent Bucarest et 24 la Bulgarie. » Selon la Commission, Sofia et Bucarest ont fourni la preuve qu'ils sont en mesure d'assumer la responsabilité du contrôle aux frontières extérieures de l'espace Schengen pour le compte des autres États Schengen et de la délivrance de visas uniformes de court séjour.

Selon elle, ils sont disposés à coopérer efficacement avec les autres États Schengen afin de maintenir un niveau élevé de sécurité, une fois les contrôles aux frontières intérieures supprimés. Ils sont prêts à appliquer l'ensemble des règles Schengen, telles que celles qui concernent les contrôles aux frontières terrestres, maritimes et aériennes, la délivrance des visas, la coopération policière et la protection des données à caractère personnel. Ils peuvent se connecter au système d'information Schengen (SIS) ainsi qu'au système d'information sur les visas (VIS) et les exploiter.

Un succès mitigé pour la présidence tchèque

Pour la présidence tchèque, qui avait fait de l'élargissement de l'Espace Schengen l'un de ses objectifs phares, c'est un succès mitigé. Certes, la Croatie peut être satisfaite mais la rancœur accumulée au fil des ans par les Roumains et les Bulgares ne va pas s'estomper par cette mise en lumière cruelle de leur situation. Petr Fiala, le Premier ministre tchèque, n'a peut-être pas rendu service à ces deux pays ni à l'Union européenne en voulant forcer le passage alors que les questions migratoires redeviennent épineuses…

À LIRE AUSSIMigrations en Europe : Frontex cherche un cap et un capitaineSelon Aija Kalnaja, la directrice exécutive par intérim de Frontex, la pression migratoire a augmenté de 73 % par rapport à 2021. La route des Balkans occidentaux a enregistré 130 000 franchissements illégaux de frontières, notamment sur les 150 kilomètres de frontière entre la Serbie et la Hongrie. Le Premier ministre Viktor Orban ne parvient plus à maîtriser les flux avec 70 000 franchissements illégaux sur ce passage.

C'est la raison pour laquelle Aija Kalnaja plaide pour « renforcer le contrôle des franchissements des frontières sans nous limiter aux frontières de la seule Union européenne ». En somme, il s'agirait d'inclure les Balkans occidentaux dans le système des frontières extérieures. C'est aussi cet argument que la Commission a mis en avant pour plaider en faveur de l'inclusion de la Roumanie et de la Bulgarie.

La France, fraîchement convertie à l'élargissement

Aux Pays-Bas, la chambre basse néerlandaise estime que ces deux pays peuvent « poser des risques pour la sécurité des Pays-Bas et de l'ensemble de l'espace Schengen ». Elle a invité le gouvernement Rutte à assurer « une enquête plus approfondie sur le contrôle des frontières par la Roumanie et la Bulgarie, sur la base du principe selon lequel les Pays-Bas examineront de manière stricte et équitable le fonctionnement de l'État de droit et la diminution de la corruption et du crime organisé dans les deux pays ». Dans l'espace Schengen, 3,5 millions de personnes traversent chaque jour les frontières sans contrôle pour aller travailler, étudier ou faire du tourisme. Et inévitablement, le crime organisé en profite aussi…

Le nombre de pays s'opposant à l'élargissement de Schengen a diminué ces dernières années. En 2011, la France, l'Allemagne, la Finlande, la Suède, les Pays-Bas et la Belgique s'étaient opposés à la candidature de la Roumanie et de la Bulgarie en raison de préoccupations liées à la corruption, au crime organisé et aux réformes judiciaires. La crise migratoire de 2015 a figé les choses. Et ce n'est que depuis le début de la guerre en Ukraine que, sous l'impulsion du président Macron, la France a évolué vers une option favorable, confirmée de son côté par le chancelier Olaf Scholz.

Zagreb, bon élève de l'UE, mais perturbateur en Bosnie

Au Parlement européen, plusieurs résolutions ont été votées ces dernières années pour soutenir les candidatures roumaines et bulgares ; la dernière en date remonte au 18 octobre. Ce jour-là, à une écrasante majorité (547 voix pour, 49 contre et 43 abstentions), les eurodéputés se sont dits « consternés qu'au cours des onze années qui se sont écoulées depuis, le Conseil n'ait pas réussi à prendre de décision sur l'application complète de l'acquis de Schengen à la Bulgarie et à la Roumanie malgré les appels répétés à cette fin de la Commission et du Parlement ».

À LIRE AUSSIContrôles aux frontières : la Commission se fait taper sur les doigtsLa Croatie, quant à elle, s'en tire à bon compte. On oublie trop souvent le rôle délétère que Zagreb joue dans l'histoire de la Bosnie voisine en soutenant les ethno-nationalistes croates qui rendent impossible toute avancée de ce pays. En se privant de ce levier, le Conseil rate une occasion de favoriser la normalisation et la pacification des Balkans occidentaux sur la route de l'adhésion à l'UE. Deux jours après le sommet de Tirana, il est frappant de voir que l'UE n'a aucune cohérence dans le pilotage stratégique de son voisinage. Pas facile de tenir un cap quand la main droite ignore ce que fait la main gauche.