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La démocratie, Emmanuel Macron l’aura reniée trois fois

Face à la contestation, il n’y a rien qui ressemble plus au discours d’un dirigeant politique en difficulté que le discours d’un autre dirigeant politique en difficulté. Qu’il ait été élu ou qu’il ait pris le pouvoir de force, tout gouvernant dans cette situation dit à peu près la même chose : moi seul suis légitime, moi seul défends l’intérêt général, moi seul représente le vrai peuple. Des millions de personnes sont dans la rue ? C’est simplement «la foule» et «l’émeute» pour reprendre les termes d’Emmanuel Macron le 21 mars 2023, «des factieux et des factions», comme il le dit le lendemain durant le JT de 13 heures. Ils ne peuvent vouloir que «le chaos, le désordre», comme le disait quelques jours auparavant Elisabeth Borne, après avoir décidé de faire passer sa réforme des retraites sans vote parlementaire.

C’est parler le langage de l’incarnation

Rien de neuf dans ce discours, qui commet l’erreur de résumer la démocratie, le pouvoir du peuple, aux seules décisions des élus. Face au soulèvement populaire de juin 1848 pour le droit au travail, le président de l’Assemblée nationale Jules Senard, un bon républicain, déclarait déjà des «insurgés» qu’ils voulaient «l’anarchie, l’incendie, le pillage». Le même jour, il faisait voter les pleins pouvoirs au général Cavaignac, conquérant sanglant de l’Algérie dont la répression allait faire des milliers de morts dans les rues parisiennes. C’étaient les chefs légitimes d’une assemblée républicaine, élue au suffrage dit universel – en fait masculin.

Quand Emmanuel Macron dit le 21 mars que «la foule, quelle qu’elle soit, n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus», il renie trois fois la démocratie. D’abord, il nie a priori tout caractère populaire aux mobilisations, quelles qu’elles soient ; car si la foule n’a pas de légitimité quand elle est appuyée sur les syndicats unanimes, sur l’une des plus grandes manifestations d’opposition de l’histoire de la Ve République et sur un soutien très largement majoritaire dans la société, et encore plus parmi les actifs… c’est donc qu’il n’y a aucun moyen pour un mouvement social d’être reconnu comme l’expression du peuple.

Cela veut dire symétriquement, deuxième manière de nier la démocratie, que quelle que soit l’action du gouvernement, même si elle est violemment opposée aux intérêts et à la volonté de la majorité, elle est a priori démocratiquement légitime. Les décisions de Macron seraient quoi qu’il arrive l’expression du peuple souverain ? C’est là parler le langage de l’incarnation, pas de la représentation démocratique. C’est transformer le vote d’avril 2022 en réponse à une sorte de plébiscite tel que celui proposé par Louis-Napoléon Bonaparte après le coup d’Etat du 2 décembre 1851 : «Le Peuple français veut le maintien de l’autorité de Louis Napoléon Bonaparte.» Or quand un gouvernement agit contre la volonté et l’intérêt du peuple, même s’il a été élu, il gouverne contre la démocratie.

Le peuple s’exprime aussi par les syndicats

Enfin, et de manière plus insidieuse, cette opposition entre «la foule» et «le peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus» nie un pan entier de la démocratie, ce qu’on appelle la démocratie sociale, qui organise l’expression du peuple comme ensemble des travailleurs. Car Macron et les députés qui le suivent ne sont pas les seuls à tenir leur légitimité de l’élection, c’est aussi le cas des syndicats. En effet, ce qui rend un syndicat représentatif, en France, c’est d’obtenir une partie significative des voix aux élections professionnelles. Des millions de voix se sont portées sur les élus syndicaux, et ces voix les légitiment autant, dans le monde du travail, que les députés dans la sphère parlementaire.

Si le peuple s’exprime, ce n’est donc pas seulement par les députés, mais bien aussi par les syndicats. Certes, Emmanuel Macron a bien consenti, le 22 mars, à reconnaître la légitimité des syndicats à «défendre leur point de vue» ; mais ceux-ci n’expriment pas un point de vue parmi d’autres – ils sont bien des représentants du peuple. Et en l’occurrence, alors que la loi de réforme des retraites n’a même pas obtenu de majorité à l’Assemblée nationale, elle fait, en revanche, l’unanimité contre elle du côté des élus des travailleurs.

En se montrant incapable de comprendre qu’il a face à lui une contestation démocratique, c’est-à-dire l’expression de la volonté et de l’intérêt du peuple, et en particulier des travailleurs, Macron renie la démocratie qu’il est censé servir. Il reproduit en cela l’erreur qu’il avait faite face aux gilets jaunes : se présenter en dirigeant qui daigne tout au plus écouter la rue, mais qui ne lui doit aucun compte. Le 22 mars, il s’est à nouveau posé en seul interprète autorisé de l’intérêt général, qui, certes, reconnaît qu’«une démocratie doit entendre la colère légitime qui s’exprime dans un cadre républicain», mais qui au lieu d’y répondre par le retrait de sa loi ne fait que dérouler, comme si de rien n’était, un programme qu’il entend faire passer «à marche forcée». Cette posture banale de dirigeant autoritaire semble en tel décalage avec la puissance et la détermination du mouvement populaire qu’elle ne peut que contribuer à en renforcer encore la légitimité démocratique.