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« La Ferme d’Orley » d’Anthony Trollope : Arguties judiciaires et intrigues amoureuses

La Ferme d’Orley

d’Anthony Trollope

Traduction anonyme (1865), révisée par Laurent Bury

Piranha, 760 p., 26,50 €

Les connaisseurs des lettres anglaises et les amateurs de romans victoriens nous pardonneront de rappeler ici qui était Anthony Trollope (1815-1882). Né à Londres, fils d’un avocat sans le sou et d’une mère écrivaine, ce contemporain de Charles Dickens publia ses premiers romans en Irlande, où l’avait entraîné une carrière de fonctionnaire des postes de Sa Majesté. On attribue d’ailleurs à Trollope la paternité de la fameuse pillar box, cette boîte à lettres typiquement « british » ronde et rouge… verte à l’époque.

Auteur fécond, il enchaîne les ouvrages, connaît un beau succès. « La Ferme d’Orley, son onzième roman, est l’un de ses meilleurs », prévient Laurent Bury qui en a révisé la traduction. La première édition bénéficiait, en outre, de planches dessinées par le peintre préraphaélite John Everett Millais dont on découvre un magnifique et énigmatique tableau en couverture du roman…

Lady Mason, innocente ou manipulatrice ?

La belle Lady Mason, veuve d’un propriétaire terrien et tendre mère d’un unique rejeton, est-elle la légitime occupante de la ferme d’Orley ? Ou a-t-elle spolié le fils né des premières noces de feu son mari ? Lequel héritier entend bien faire la lumière sur ce qu’il tient pour un délit, même si la ferme semble modeste au regard de sa superbe demeure du Yorkshire. Un premier procès ne lui ayant pas donné raison, il envisage une seconde action en justice. Cette histoire serait bien austère si reposait sur elle seule l’intrigue d’un volume de plus de 750 pages. Mais Trollope fait converger vers ce fleuve principal une quantité et une diversité d’affluents qui, sans cesse, relancent la narration et, plus encore, introduisent une cohorte de personnages succulents.

Voici le prétendant de la belle veuve, sir Peregrine Orme, et son petit-fils, davantage attiré par la chasse aux rats que par le sérieux qui sied aux gentlemen, même campagnards. Son alter ego, le jeune Lucius Mason, caresse de plus hautes ambitions intellectuelles et agricoles, sans crainte du ridicule. Voilà, un avocat que son parcours glorieux a éloigné d’une épouse dévouée qui n’en peut plus de ronger son frein et ses désillusions. Voilà encore de fraîches demoiselles, vraies oies blanches ou intelligences bien trempées. Sans oublier maints professionnels du droit ou autres représentants de commerce, donnant lieu aux scènes peut-être les plus délectables du roman. On avouera une faiblesse toute particulière pour Mr Kantwise dont la seule obsession est de fourguer un affreux mobilier métallique dernier cri à qui en veut – et n’en veut pas !

Une plume vive et ironique

L’humour se fraie un chemin sinueux dans l’entrecroisement des récits, sous-entendu ou affirmé. Au risque de laisser le lecteur plus amusé – et admiratif de tant de verve – que profondément touché par les aventures de ce petit monde, ses querelles d’argent et ses battements de cœur. C’est la limite du roman, si on le compare notamment à ceux de Dickens : il ne fait pas vibrer en nous toutes les cordes de l’émotion. S’il excelle à solliciter la plus joyeuse, il semble hésiter à « pincer » la plus sensible. Il n’empêche. De page en page, les aventures de Lady Mason et de ses amis confrontées aux stratégies de ses adversaires restent captivantes. Délectablement romanesques.