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La France, cet ennemi à remplacer par la Russie ? Ce que les Burkinabés et les Maliens ne semblent pas comprendre à leur situation

Des manifestants brandissent le drapeau russe dans les rues de Ouagadougou

© AFP

Sentiment anti-France

Après un deuxième coup d'État militaire en moins d'un an au Burkina Faso, les rues de Ouagadougou ont vu fleurir des drapeaux russes. Des slogans contre la présence française ont également été entendus.

Michael Shurkin est directeur de Global Programs à 14 North Strategies et fondateur et Président du Shurbros Global Strategies. Il travaille sur la sécurité en Afrique de l’Ouest (Sahel), mais aussi sur les stratégies de défense européenne et américaine, sur les structures de force, l’assistance en matière de sécurité et les institutions. Auparavant, il a travaillé pour la RAND, où il a été analyste politique senior, et pour la CIA, où il a été analyste politique. Il est diplômé d’un doctorat en histoire de l’université Yale et a fait des études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS).

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Atlantico : Huit mois seulement après le putsch du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, l'armée burkinabé a de nouveau renversé le gouvernement. Que s'est-il passé ces derniers jours au Burkina Faso ?

Michael Shurkin : Le peuple burkinabè est, à juste titre, frustré par la dégradation de la situation sécuritaire et l'apparente impuissance du gouvernement de Damiba à l'améliorer. Certains le croient sans doute incapable de sauver le pays et peut-être pire : de le mener dans la mauvaise direction. 

De nombreux manifestants se sont rassemblés devant l'ambassade de France, mettant le feu aux barrières de protection et jetant des pierres à l'intérieur. Est-ce un nouveau signe que la France est perçue comme un ennemi par la population ? Comment expliquer cette situation ?

Oui, la France est perçue comme un ennemi par une partie de la population, mais il n'y a pas de bon moyen de savoir quelle est cette partie.

Les Burkinabè, comme les Maliens, souffrent d'une sorte de dissonance cognitive liée à leur incapacité à comprendre pourquoi les choses vont si mal malgré les efforts de leurs propres services de sécurité et des partenaires internationaux de leur pays, au premier rang desquels la France. Certains, dans leur effort de compréhension, se tournent vers l'idéologie panafricaniste selon laquelle le vrai problème est l'ingérence étrangère (française), et la menace djihadiste est considérée comme un produit de l'ingérence française et cessera donc d'être un vrai problème une fois que les Français seront partis. Nombreux sont ceux qui adhèrent à des théories du complot selon lesquelles les Français arment en fait les djihadistes. Ces théories simplifient une réalité très complexe et évitent aux habitants d'avoir à comprendre leur propre responsabilité et à trouver leurs propres solutions.

Il convient de noter que ces manifestants brandissant des drapeaux russes partent du principe que le coup d'État est un coup porté à la France et qu'il est donc positif. En réalité, rien ne prouve que les putchistes sont motivés par une vision particulière de la France. Ils ne semblent pas non plus comprendre si la nouvelle junte a vraiment de meilleures idées pour sauver le pays.

Ce sentiment anti-français est-il compréhensible ? Quelles pourraient être les conséquences de ce phénomène dans la région ?

Il est compréhensible étant donné le rôle historique de la France dans la région (rappelons que de nombreux Burkinabés tiennent la France pour responsable de la mort de Thomas Sankara et du soutien à Blaise Compaoré). La conséquence, cependant, est négative, car le sentiment anti-français détourne grandement les Sahéliens d'une analyse plus précise et rationnelle de la crise que traverse leur pays. C'est aussi un moyen pour les autocrates de détourner l'attention de leurs partisans de leurs propres échecs. 

Il y a des arguments légitimes à avancer sur les contributions historiques de la France aux faiblesses structurelles de ses anciennes colonies. Colonialisme suivi d'un néo-colonialisme intéressé. Mais tout cela est discutable face au danger immédiat. Et franchement dépassé.

Alors que la région est en proie à des attaques djihadistes, la situation pourrait-elle empirer après ce coup d'État ?

Absolument. Elle s'aggrave. Le Burkina Faso est un État défaillant. Les putschistes ont-ils de bonnes idées ? Peut-être. À certains égards, la junte malienne a fait mieux que le régime précédent, qui gérait mal la situation sécuritaire. Damiba avait quelques bonnes idées et était assez compétent. Peut-être que Traoré a vraiment un plan.

De toute façon, le Burkina n'a plus de temps à perdre. Cette situation est une distraction et une perturbation géantes. Et si Traoré met fin à la coopération avec la France, qui se bat aux côtés du Burkina, le pays en pâtira. 

Et la Russie ? Est-elle satisfaite de la situation ? Pourrait-elle profiter du coup d'Etat ?

La Russie cherche à discréditer la France et, indirectement, l'Union européenne. Et si l'insécurité incite davantage de migrants à rejoindre l'Europe, tant mieux. Certains pourraient se consoler avec l'idée que la Russie va aider : ce serait tragique. Le point fort du groupe Wagner est l'exécution sommaire de toute personne qui semble suspecte. La Russie n'a aucun intérêt à réparer quoi que ce soit. Les preuves en sont accablantes.

Mots-Clés

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