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« La Fugue Thérémine », d’Emmanuel Villin : le mystérieux savant soviétique et son drôle d’instrument de musique

L’écrivain plonge dans l’entre-deux-guerres, entre Moscou et New York, dans les pas du génial inventeur Léon Thérémine.

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« La Fugue Thérémine », d’Emmanuel Villin, Asphalte, 192 p., 18 €, numérique 10 €.

Magique, un instrument de musique dont on peut jouer sans jamais le toucher ? Non, bel et bien scientifique ! Inventé il y a plus d’un siècle, le thérémine, composé d’un boîtier électrifié muni de deux antennes, émet des sons quand un corps entre dans son champ électromagnétique. En caressant l’air, les mains du musicien commandent la hauteur et le volume du son ­produit, au timbre étrange. Non moins extraordinaire est la vie de son concepteur, Léon Thérémine. Né à Saint-Pétersbourg en 1896, ce physicien connut un destin rocambolesque qui le mena de sa Russie natale au Manhattan frénétique des années 1920 ; il y fit fortune puis faillite avant de se volatiliser. Rien d’étonnant à ce que ce personnage tumultueux inspire les romanciers. Après le Canadien Sean Michaels (Corps conducteurs, Rivages, 2016), voici le livre d’Emmanuel ­Villin, dont les deux premiers romans, Sporting Club et Microfilm (Asphalte, 2016 et 2018), révélaient un goût certain pour la fantaisie et l’étrangeté. Dans La Fugue Thérémine, il ressuscite la figure de l’inventeur avec une économie de moyens et un sens de la nuance saisissants.

Protégé par Lénine, qui l’envoie aux Etats-Unis pour faire la promotion de la science soviétique, le jeune surdoué est accueilli triomphalement et devient la coqueluche des célébrités de l’époque. Tout en menant quelques missions d’information pour le Kremlin, il présente son invention devant des auditoires époustouflés. Surtout, il tombe amoureux. Elle s’appelle Clara Rockmore, a quinze ans de moins que lui, est ravissante et musicienne. Thérémine en fait la plus grande théréministe du monde. Ensemble, ils dansent le fox-trot dans les clubs de Harlem et ne perdent pas une miette de l’euphorie du moment. Ce qui donne lieu à de fabuleux tableaux de « ces années folles rugissant à pleins tubes, qu’ils soient cathodiques, lumineux ou reliés au carter des automobiles qui sortent à la chaîne des usines Ford ».

Jeu de distance

Mais la parenthèse enchantée prend fin, et le récit vire au drame. Enlevé par deux hommes armés, l’enfant chéri du pouvoir soviétique est ramené manu militari dans sa patrie. Déclaré mort aux Etats-Unis, il connaît le goulag puis la prison, où il est forcé par Beria, le bras droit de Staline, à concevoir des systèmes d’espionnage. Il reverra Clara deux fois – il serait criminel d’en dire trop et de déflorer la scène finale, poignante.

Cette « exofiction » n’est pas seulement passionnante par la vie extraordinaire qu’il évoque tout en faisant défiler plusieurs épisodes de l’histoire du XXe siècle, le capitalisme triomphant des roaring twenties, les tensions américano­-soviétiques, la terreur stalinienne. Elle est aussi originale dans le subtil jeu de distance instauré entre le narrateur et son sujet. Commentant le récit, une voix off s’amuse par moments des contradictions de Thérémine, se laisse emporter par un souffle épique à d’autres, se fait plus touchante enfin, mais respecte toujours le mystère de son héros. Timide et entreprenant, rêveur et pragmatique, soutien indéfectible de Lénine et adepte de l’american way of life, emblème puis victime du ­régime soviétique, Léon Thérémine fut tout cela à la fois. Et, toujours, il étonne et émeut. Ce roman dense et trépidant mêle avec brio science, amour et politique internationale.

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