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La justice dit avoir les preuves d’un «complot» politique à Toulouse

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Longtemps engagée aux côtés de Nicolas Sarkozy, Laurence Arribagé a toujours soutenu son mentor dans ses épreuves judiciaires. « Il mérite le respect et l’application des principes du droit », déclarait par exemple l’ancienne députée de Haute-Garonne, le 3 mars 2021, au soir de la condamnation en première instance de l’ex-président de la République dans l’affaire Bismuth. Un dossier que les sarkozystes ont toujours dénoncé, comme tant d’autres, comme étant le fruit d’un improbable « complot ».

Ironie du sort : un complot, un vrai celui-là, rattrape aujourd’hui Les Républicains (LR) et Laurence Arribagé. L’élue toulousaine, adjointe au maire Jean-Luc Moudenc, sera jugée par le tribunal correctionnel, ainsi que l’a révélé Mediacités, avec deux autres personnes – dont l’ancien numéro 2 du fisc dans la région – pour avoir essayé de torpiller, lors des législatives 2017, une candidature concurrente en déclenchant contre elle un contrôle fiscal, puis l’ouverture d’une enquête judiciaire.

Au terme de son enquête, le juge d’instruction Vincent Lemonier a estimé, le 12 septembre 2022, que les investigations ont permis d’établir « l’existence d’un complot visant à permettre à Laurence Arribagé de conserver son siège », selon les termes de son ordonnance de renvoi, un document de 17 pages consulté par Mediapart.

Les différents protagonistes sont en effet suspectés d’avoir, main dans la main, orchestré une fausse dénonciation de « fraude fiscale » et « travail dissimulé » contre Corinne Vignon, la candidate investie par La République en marche (LREM) dans la circonscription de Laurence Arribagé, pour la décrédibiliser dans les médias à quelques jours du second tour des élections législatives.

Auteur de cette dénonciation fallacieuse, l’ancien numéro 2 de la direction régionale des finances publiques d’Occitanie, Marc Menvielle, qui a fait valoir ses droits à la retraite à la révélation de l’affaire, est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour des faits présumés de « dénonciation calomnieuse », « violation du secret professionnel » et « prise illégale d’intérêts ». Laurence Arribagé l’est, elle, pour le « recel » de ces délits.

Sollicités, les avocats de Marc Menvielle et Laurence Arribagé, tous deux présumés innocents, n’ont pas répondu à Mediapart.

Dans un SMS daté du 14 juin, la députée LR Laurence Arribagé se félicite des déboires à venir de sa concurrente. © Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart

La manipulation électorale au cœur de l’enquête a pris forme dans l’entre-deux-tours de ce scrutin tendu, alors que la députée LR était en ballotage défavorable contre son adversaire marcheuse. À la surprise générale, Corinne Vignon, inconnue du grand public, était arrivée en tête au premier tour, devançant même de 17 points la sortante Laurence Arribagé.

Le mardi 13 juin 2017, deux jours après ce premier tour calamiteux pour les LR, Marc Menvielle déclenche une enquête fiscale pour des soupçons de travail dissimulé contre Corinne Vignon, à laquelle il reproche de ne pas avoir déclaré ses activités d’astrologue plusieurs années plus tôt.

Le lendemain, il transmet aussi un signalement judiciaire, adressé au parquet de Toulouse, qui ouvrira une enquête pénale avec le même empressement. Quasiment en temps réel, l’information de l’ouverture d’une enquête judiciaire est transmise à la presse locale.

Or, d’après les investigations judiciaires réalisées depuis, « Marc Menvielle a déposé le signalement en court-circuitant sa hiérarchie et pour complaire à Laurence Arribagé, avec laquelle il entretenait une relation amicale ». Les deux amis partageaient en outre une « proximité politique », précise le juge Vincent Lemonier dans son ordonnance, en rappelant qu’une photographie de l’ancien président Nicolas Sarkozy a été retrouvée, en perquisition, dans le bureau de Marc Menvielle.

Je réaffirme à Laurence Arribagé mon soutien et ma confiance.

Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse

Au cours de l’enquête, les fonctionnaires de la direction régionale des finances publiques auditionnés, qu’il s’agisse de supérieurs ou de subordonnés de Marc Menveille, « ont tous fait état de leur étonnement quant à la précipitation avec laquelle celui-ci avait agi, exigeant le dépôt le jour même du signalement », rappelle l’ordonnance.

Ces agents du fisc ont également « relevé le peu d’investigations auxquelles Marc Menvielle avait procédé avant de saisir le parquet ». Et pour cause : les faits dénoncés « étaient inexacts, puisqu’ils ne caractérisaient aucunement et à l’évidence les infractions de travail dissimulé ou fraude fiscale », insiste le magistrat Vincent Lemonier.

Saisi de l’enquête ouverte contre Corinne Vignon, le SRPJ (service régional de la police judiciaire) de Toulouse s’en est d’ailleurs rapidement rendu compte. Puisque la responsable de la brigade de contrôle et de recherche s’était aperçue le jour même du signalement que l’activité dénoncée et prétendument dissimulée de la candidate LREM était en réalité « quasi inexistante ». L’enquête ouverte contre elle sera classée sans suite en septembre 2017 pour « absence d’infraction ».

Mais l’objectif était sans doute ailleurs. « Marc Menvielle savait parfaitement que dans l’entre-deux-tours les informations qu’il communiquait allaient être immédiatement utilisées par la candidate LR pour rattraper son retard », relève le juge d’instruction au terme de son enquête. In fine, Corinne Vignon l’a toutefois emporté (53 % des voix) ; elle a aussi été réélue en 2022.

Lorsqu’il a été auditionné par le magistrat, Marc Menvielle a contesté toute intention malveillante ou politique, prétendant avoir agi avec tant de zèle dans la « seule intention de protéger son administration », en cas d’élection de Corinne Vignon et de contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sur sa situation fiscale. « Une inaction sur ce dossier aurait alors pu lui être reproché », a-t-il considéré.

Le procureur adjoint est mis hors de cause

Tout au long de la procédure, Laurence Arribagé est informée en temps réel, comme le montre des échanges de SMS révélés par Mediapart en décembre 2021. La candidate LR dialogue aussi sur le contenu de l’affaire avec un troisième acteur, Frédéric Sartorelli, un ancien proche de Corinne Vignon qui, après s’être fâché avec elle, avait décidé de transmettre les informations sur ses activités passées d’astrologue à Laurence Arribagé.

« J’espère que ça va faire mal », lui écrit ce chef d’entreprise dans un message. « C’est qu’un début mais c’est top », répond l’élue LR. Le 14 juin, jour du dépôt du signalement auprès du parquet par Marc Menvielle, elle le prévient : « Le procureur sera saisi avant midi d’une plainte de l’administration fiscale à l’encontre de Vignon. » Ce qui permet à Frédéric Sartorelli de rencarder immédiatement des journalistes.

Le coup est parti. Le parquet confirmera ensuite rapidement l’information en diffusant un communiqué de presse pour « éviter au secrétariat de répondre individuellement à chaque journaliste », comme l’a expliqué en audition le procureur alors en fonction, Pierre-Yves Couilleau.

Initialement cité dans le dossier, l’ancien procureur adjoint Patrice Michel, qui avait conseillé Marc Menvielle pour son signalement, a été mis hors de cause. « La procédure a démontré que Monsieur Michel et Monsieur Menvielle avaient des liens d’amitié. Toutefois, elle a aussi montré que Monsieur Michel avait simplement reçu le message de Monsieur Menvielle évoquant le projet de signalement et invité Monsieur Menvielle à formaliser son signalement », justifie le juge d’instruction dans son ordonnance.

Un curieux échange de SMS avant la visite de Gérald Darmanin

Renvoyé devant le tribunal correctionnel pour « dénonciation calomnieuse », Frédéric Sartorelli conteste les faits qui lui sont reprochés, expliquant avoir agi sans intérêt personnel ni contrepartie, mais parce qu’il estimait que Corinne Vignon n’était pas digne d’occuper des fonctions de députée. « Il ne comprend toujours pas les raisons pour lesquelles il peut être poursuivi alors que les faits dénoncés [les prestations d’astrologie – ndlr] sont bien réels », explique à Mediapart son avocat Me Louis Thevenot.

Interrogée par les enquêteurs, l’ancienne députée Laurence Arribagé a expliqué à plusieurs reprises, au sujet des SMS suspects, qu’elle n’avait pas toujours elle-même son téléphone de campagne en sa possession. « Faisant preuve de peu d’élégance », selon les mots du juge d’instruction, l’élue a même insinué « que son équipe pouvait également en avoir fait usage », allant jusqu’à « regretter d’avoir eu confiance en elle ». Mais son ancien directeur de campagne a démenti cette version en audition : il n’avait pas accès au téléphone de Laurence Arribagé pour la simple et bonne raison qu’elle ne s’en séparait jamais.

Au terme des investigations, initiées en 2020 à la suite de la saisie du téléphone portable de Marc Menvielle dans une autre affaire avant qu’elle ne soit dépaysée à Paris en janvier 2021, une question demeure autour d’une curieuse conversation à l’occasion d’un déplacement ministériel, en novembre 2017, de Gérald Darmanin, alors ministre des comptes publics, au service des impôts des particuliers de Toulouse.

À la veille de ce déplacement de Gérald Darmanin, ancien porte-parole de Nicolas Sarkozy et soutien de Laurence Arribagé chez LR, Marc Menvielle a envoyé le SMS suivant à l’élue toulousaine : « Coucou Laurence, surtout ceux à qui tu donnes les papiers doivent savoir que c’est moi qui ai signé l’article 40. […] On se voit demain à l’aube trop drôle. Merci et à demain. » « Promis Marc. Ne tkt [t’inquiète] pas. À demain », lui a répondu l’ex-députée.

Les enquêteurs ont envisagé l’hypothèse selon laquelle Laurence Arribagé était chargée par Marc Menvielle d’intercéder auprès de son ministre de tutelle en vue d’obtenir une promotion qui lui avait été refusée par sa hiérarchie directe, ce qui aurait pu constituer une contrepartie à son signalement contre Corinne Vignon pendant les législatives. Une théorie que l’agent du fisc a fermement contesté, expliquant que les documents évoqués dans son message n’étaient qu’un CV « dans la perspective de devenir expert judiciaire dans le domaine financier ».

Faute d’éléments probants, la justice n’a pas pu aller plus loin sur ce point. « Les investigations n’ont pas permis de savoir quel était l’objet de cet échange », écrit ainsi à regret le juge dans son ordonnance. Et de conclure : « Dès lors, bien que les interrogations sur cet échange demeurent, il ne peut constituer à lui seul la preuve que Laurence Arribagé ou Marc Menvielle ont commis des faits de corruption. »

Malgré le renvoi de son adjointe devant le tribunal, le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc a tenu à lui « réaffirmer [son] soutien et [sa] confiance ».