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La méditation de pleine conscience a-t-elle sa place à l'école?

Temps de lecture: 8 min

«Vous allez mettre votre attention sur votre respiration. Soyez attentifs à ce que vous ressentez. S'il y a des idées qui viennent, des pensées, vous les laissez passer, vous ne les suivez pas et vous les ramenez à la présence de votre corps.» À l'écran, des visages d'enfants, les yeux clos. Ils doivent avoir quelque chose comme 7-8 ans et participent, au sein de leur école, à une séance de méditation proposée par Frédéric Lenoir, philosophe-conférencier et président de l'association SEVE, qui promeut diffusion d'ateliers de philosophie et pratique de l'attention à l'école.

Les réactions des petits méditants sont variées. L'un confie: «Moi, j'ai ressenti que je ne savais rien.» Un autre raconte: «J'ai senti partout que c'était chaud et après dans mon imagination j'ai vu des carrés qui passaient devant moi et à la fin j'ai vu une omelette.»

Ce court extrait du film documentaire Le cercle des petits philosophes donne une image de la méditation à l'école –méditation qui, en elle-même, n'a pas de définition uniforme et relève d'une grande diversité de pratiques consistant à porter son attention sur un objet dans le but d'apaiser son esprit.

Une pratique pas si innocente

Depuis plusieurs années, ce sujet de la méditation en milieu scolaire clive et oppose les pro et les anti dans des débats souvent sans nuance, dans lesquels le bien-être de l'enfant n'est pas toujours au centre.

Ainsi, en juin 2021, la Ligue des droits de l'homme a très vertement réagi à la proposition faite au ministre de l'Éducation par le député LREM d'Ille-et-Vilaine Gaël Le Bohec d'expérimenter dans près de 250 classes, du CM1 à la 5e, la méditation de pleine conscience (ou mindfulness). C'est une forme de méditation développée dans les années 1970 par le médecin américain Jon Kabat-Zinn et déclinée sous la forme de programmes destinés à réduire le stress.

Il s'agit en quelque sorte d'une méditation qui se serait débarrassée de ses racines spirituelles tout en développant un ancrage médico-scientifique. En classe, ces programmes permettraient d'améliorer l'attention et la concentration des élèves, de les aider à réguler leur stress et leurs émotions et de développer leurs capacité pro-sociales.

Interrogé par nos soins, Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l'homme, ne mâche pas ses mots: «Le lobbying mené par le Mind & Life Institute, et par les associations promotrices de la méditation pleine conscience à l'école, était sur le point de porter ses fruits en rentrant ainsi dans l'Éducation nationale par ce cheval de Troie qu'est la méditation. Si certains sont dupés par l'apparence bon enfant de ces pratiques et par les solutions miracles qu'elles prétendent apporter, il ne faut pas se laisser berner sur l'entrisme qui serait ainsi mené.»

Si Malik Salemkour dénonce en outre le caractère non laïque de la méditation de pleine conscience (inspirée par le bouddhisme), il avance aussi l'existence de liens entre le Mind & Life Institute et par association, tous les promoteurs de la méditation à l'école en France avec l'anthroposophie –mouvement ésotérique pointé du doigt par les organismes de vigilance des sectes.

Des accusations que réfutent Candice Marro, présidente de l'association A.M.E. (Association pour la méditation dans l'enseignement) et Jérôme Vausselle, président de Initiative Mindfulness France et dont nous n'avons pas trouvé de fondements tangibles de notre côté –ce qui n'exclut pas la présence de personnes en lien avec l'anthroposophie parmi les partisans de la méditation.

«Je crains que ces pratiques n'ouvrent les vannes vers des états ou des questionnements chez les enfants que l'école n'est pas en mesure de gérer.»
Stéphanie de Vanssay, conseillère nationale au syndicat des enseignants de l'UNSA

Concédant qu'il n'y a jamais eu de signalement ayant trait à la pratique de la méditation au sein de l'Éducation nationale, Malik Salemkour explique se baser sur le rapport 2018-2020 de la Miviludes, qui marque une vigilance quant aux risques sectaires entourant certaines pratiques méditatives chez des adultes, hors de toute institution.

Faute d'avoir sous la main des liens sectaires à afficher, une critique davantage fondée serait celle portant sur l'incursion d'associations et d'entreprises privées au sein de l'Éducation nationale pour promouvoir un concept marketé, tel que la médiation de pleine conscience.

C'est ce que signale Axel Hasenhöller, psychologue et fondateur de Psybay (centre romand de formation et d'information sur les pratiques non conventionnelles): «Avec la mindfulness, j'ai surtout l'impression d'un vieux parfum mis dans un nouveau flacon. Il s'agit de méthodes psycho-corporelles pas vraiment nouvelles glissées dans un package de respectabilité se légitimant par le biais des neurosciences. La question est de savoir s'il faut institutionnaliser ces pratiques ainsi marketées à l'école.»

Cadre de sécurité et formation adaptée

Un autre point générateur de débats concernant la méditation à l'école porte sur ses bénéfices avérés pour les enfants et sur ses éventuels dangers en matière de santé psychologique. Sur cet aspect, la littérature scientifique pointe du doigt, notamment lors de pratiques isolées, non encadrées et longues, le risque de développer ou d'aggraver certains troubles psychiques comme des troubles dissociatifs, de la dépression ou des troubles anxieux. Il existe d'ailleurs des contre-indications comme la dépression en phase aiguë, le trouble bipolaire ou la schizophrénie.

Stéphanie de Vanssay, conseillère nationale à l'UNSA, un syndicat d'enseignants, s'interroge: «Est-ce bien raisonnable de jouer avec le feu? Ces pratiques ne sont pas aussi anodines qu'elles en ont l'air. Je crains qu'elles n'ouvrent les vannes vers des états ou des questionnements chez les enfants que l'école n'est pas en mesure de gérer. Je ne suis pas sûre que des enseignants, même bien formés, aient les moyens de faire face aux risques.»

À cette prudence, Candice Marro, qui a créé le programme P.E.A.C.E., explique que les risques sont connus et intégrés dans les programmes de méditation de pleine conscience à l'école. «Nous ne connaissons évidemment pas l'histoire de chaque enfant ni ses fragilités et c'est la raison pour laquelle ce programme instaure un cadre de sécurité.»

Elle détaille: «Il s'agit de sessions courtes de quinze minutes maximum qui suivent un programme adapté au développement de l'enfant et à sa capacité attentionnelle, le tout avec une montée en compétence et différentes thématiques et modalités –respiration, mouvements, posture, auto-massage… En outre, les enfants ne sont jamais obligés de garder les yeux clos. L'idée n'est pas d'en faire des méditants mais de leur donner des outils.»

Le stress en question

Jonathan Larrieu est enseignant dans le secondaire où il travaille avec des adolescents en difficulté et applique le programme P.E.A.C.E. Il raconte combien ce qu'il propose à ses élèves s'éloigne de l'image d'Épinal de la méditation: «Ce sont des moments ludiques lors desquels il nous arrive de rire. On est bien loin des “ohm”, des “namasté” et des histoires de chakras! L'idée, pragmatique, est d'apprendre aux jeunes à mieux se connaître, à débrancher, à prendre du temps pour eux et à développer leur attention. Pour moi, c'est une sorte de pré-requis à l'enseignement.»

Jonathan Larrieu nous amène ici à penser les objectifs de la méditation à l'école, objectifs souvent pensés uniquement sous l'angle de la réduction du stress, notamment dans les édits scientifiques qui évaluent l'efficacité de ces pratiques. «On s'en fout du stress! Il n'est pas mauvais en soi et il en faut!» avance l'enseignant.

Peut-être conviendrait-il de ne pas faire de la méditation à l'école une panacée capable de résoudre tous les problèmes des élèves et de l'institution.

Jérémy Naudé, chercheur en neurobiologie au CNRS, partage ce point de vue: «Lorsque l'on évalue la méditation de pleine conscience ayant pour but recherché la réduction du stress, il me semble que l'on prend cette question du stress à rebours de la manière dont il est envisagé en neurobiologie, c'est-à-dire comme une réponse, un état préparatoire de l'organisme à trouver une solution à la source externe du stress, pas seulement un état émotionnel négatif qu'il faudrait apprendre à “gérer” parce qu'il est désagréable ou délétère à long terme.»

Dans une perspective éducative, il ajoute: «Apprendre aux ados que le stress doit se gérer par la méditation plutôt que de les traiter comme des citoyens en devenir qui peuvent/pourront agir sur la source externe du stress est, à mon avis, le contraire d'une émancipation

En somme, à vouloir enseigner aux enfants et aux adolescents à gérer leur stress et toute émotion négative pertinente en matière de préparation à l'action, le risque serait de nuire à leur autonomie, à leurs capacités à agir sur eux-mêmes et sur le monde, et à les laisser en proie à leurs ruminations.

Des résultats disparates

Parmi les autres objectifs de la méditation à l'école, certains sont motivés par l'atteinte d'une certaine productivité: par exemple, favoriser l'attention et la concentration des élèves, notamment en vue d'améliorer leurs résultats scolaires. D'autres s'orientent davantage vers le bien-être de l'enfant non pas vu comme élève, mais comme personne, en visant le renforcement de la confiance en soi et de l'estime de soi ainsi que le développement des capacités pro-sociales.

Si des études scientifiques existent, elles ne sont pas toujours concluantes et sont marquées par des difficultés et des biais méthodologiques: dans ce contexte et face à des résultats disparates, il est difficile de poser des conclusions franches. Cela invite sans doute à faire un pas de côté et envisager non pas l'efficacité au sens strict de la méditation, mais son efficience somme toute moins palpable et davantage dans le registre du bien-être que du soin. L'idée n'est pas, bien sûr, de balayer d'un revers de la main toute évaluation, mais de s'orienter davantage vers des études qualitatives que quantitatives.

Ce pas de côté suppose de désinvestir, que l'on soit pour ou contre, la méditation, c'est-à-dire de la dédramatiser et ne plus en faire un bloc massif, mais de penser les petits bénéfices qu'elle peut apporter et de quelles manières. Peut-être conviendrait-il d'abord de ne pas faire de la méditation à l'école une panacée capable de résoudre tous les problèmes des élèves et de l'institution.

«On nous vend la méditation de pleine conscience comme une solution, sinon LA solution, face aux problèmes de l'Éducation nationale et ceux liés à la crise sanitaire… alors que c'est au mieux quelque chose de cosmétique qui ne saurait combler les manques et les besoins du système éducatif, déplore Stéphanie de Vanssay. Il y a des dysfonctionnements énormes. On a besoin d'effectifs, on a besoin de psychologues… Ce n'est évidemment pas la méditation qui peut pallier ces manques.»

L'autre mouvement pourrait consister à intégrer à l'enseignement scolaire les éléments de la méditation de pleine conscience qui apportent des bénéfices en matière de confiance en soi, d'attention, d'amélioration de la vie en classe… Le package marketé qu'évoque Axel Hasenhöller n'est vraisemblablement pas nécessaire et sans lui, les critiques portant sur d'éventuelles accointances ésotériques ou commerciales seraient rendues caduques. Le psychologue explique comment il verrait les choses: «Dans la mesure où cette pratique emprunte à des disciplines psycho-corporelles existantes, je proposerais des exercices développés par des psychomotriciens et permettant aux enfants et aux adolescents de se recentrer sur leur corps.»

Les pro et les anti seront-ils capables de sortir de leur dogmatisme pour contribuer à la création de tels outils visant de manière éthique une amélioration du bien-être à l'école? À méditer.