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La mort du viticulteur Lucien Lurton

Issu d’une famille d’agriculteurs du Bordelais, il avait constitué un portefeuille unique de propriétés viticoles du Médoc, des Graves et de l’Entre-deux-Mers. Il est décédé le 25 mars, à l’âge de 97 ans.

L’un des acteurs majeurs du Médoc s’est éteint paisiblement à l’âge de 97 ans, samedi 25 mars, dans son lit du château Brane-Cantenac. Entouré des siens, Lucien Lurton achève une vie dense, dans laquelle le vin de Bordeaux a eu une place centrale. Qui sait, pourtant, que cet homme au regard bleu acier, qui se tenait toujours droit et dont l’allure en imposait, cachait un aventurier ? C’est qu’il était avant tout d’une discrétion exemplaire. S’il n’était pas un communicant, il était dans l’action.

Né en 1925 dans une famille d’agriculteurs de l’Entre-deux-Mers, en Gironde, Lucien Lurton perd sa mère alors qu’il a tout juste 8 ans. Son père, François Lurton, l’élève avec ses trois autres enfants. D’abord élève à Bordeaux chez les jésuites, puis pensionnaire à Bazas, où les études étaient moins onéreuses, Lucien Lurton se forge un caractère à toute épreuve. Chaque fin de semaine, il rentre chez lui à vélo au château Bonnet, à Grézillac. Cinquante kilomètres à pédaler pour retrouver son père, ses deux frères et sa sœur.

A 18 ans, il poursuit ses études à Toulouse, où il obtient un diplôme d’ingénieur agricole. Quand la seconde guerre mondiale éclate, ses frères, André et Dominique, sont mobilisés, tandis qu’il reste près de son père comme aide d’exploitation. Mais il n’a qu’une idée en tête : voyager. Il patiente. Après la guerre, il travaille quelques années avec André sur les terres familiales, jusqu’au jour où il décide de prendre son envol.

Voyage en Amérique du Sud

Les Etats-Unis le font rêver : il s’y rend, sans un sou en poche. Il s’arrête d’abord dans les Finger Lakes, dans l’Etat de New York, où il s’arrange pour produire du vin dans les premiers domaines viticoles de cette région. Puis il poursuit son voyage jusqu’en Californie, où il travaille au domaine Beaulieu Vineyard avec un des pionniers de la viticulture de la Napa Valley, André Tchelistcheff, qui restera toujours pour lui un ami, un visionnaire et un exemple.

Le Bordelais n’en reste pas là. Il repart sur les routes, qui le mènent jusqu’au Mexique. Pendant un an encore, il parcourt l’Amérique du Sud, vivant de petits boulots. « Mon père a toujours considéré que c’étaient là les meilleures années de sa vie », raconte son fils Gonzague, propriétaire de Château Durfort-Vivens, à Margaux. Personne n’imagine alors ce que Lucien Lurton bâtira, plus tard, sur la terre de ses ancêtres. De retour en Gironde en 1954, il tombe amoureux de celle qui devient aussitôt son épouse, Marie-Jeanne Duvoisin, issue d’une famille du Périgord. Dès lors, l’aventurier se range.

Cette même année, Lucien hérite de Château Brane-Cantenac, deuxième cru classé en 1855, à Margaux, acheté par son grand-père Léonce Récapet. Personne ne souhaite alors s’installer dans le Médoc, une zone tellement sinistrée que même André, le frère de Lucien, préfère rester dans l’Entre-deux-Mers, où la polyculture est possible. Dès lors, Lucien devient un vigneron acharné, malgré les aléas climatiques, comme le gel historique de 1956 qui anéantit la quasi-totalité de sa récolte. Loin de se décourager, le couple bâtit une famille de onze enfants, tout en cherchant à sauver leur environnement.

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L’argent l’intéresse moins que la construction : Lucien Lurton réinvestit sans cesse le peu d’argent qu’il gagne dans son outil de production. Les premières années sont difficiles. Le couple perd un de ses enfants, Bernard, âgé de 4 ans. Mais Lucien Lurton ne se laisse pas abattre. Porté notamment par un millésime 1961 gratifiant et devenu légendaire, le viticulteur, conseillé par le célèbre œnologue Emile Peynaud, emprunte, réintroduit des pratiques viticoles anciennes et ne cesse de replanter.

« Chacun est venu trouver son héritage »

Dans les années 1970, il voit le fruit de ses efforts récompensés. La place de Bordeaux s’intéresse à ses vins. Ancré dans son terroir, il achète successivement les châteaux Durfort-Vivens (1961), Climens (1971), de Villegeorge (1973), La Tour de Bessan, Haut Nouchet, de Camarsac (1974), Bouscaut (1979), et Château Desmirail à Margaux (1980). Il constitue ainsi un portefeuille unique de propriétés du Médoc, des Graves et de l’Entre-deux-Mers, notamment grâce aux conseils d’Henri Enjalbert, précurseur bordelais en géographie et géologie viticole. Puis, en 1992, il donne tout à ses enfants.

« A 67 ans, il avait décidé qu’il devait transmettre. Il a partagé ses biens entre ses dix enfants, se souvient l’un d’entre eux. Chacun est venu trouver son héritage, tandis qu’il est parti seul faire le tour du monde pendant un an ! » Au bout d’un an, Lucien était rentré auprès de sa femme, tout en vérifiant que chaque enfant s’en sortait. Il n’avait cessé ensuite, toujours avec discrétion, d’aider les uns et les autres.

Lucien Lurton en quelques dates

9 décembre 1925 Naissance à Grézillac (Gironde)

1961 Achète le Château Durfort-Vivens

1971 Achète le Château Climens

1992 Cède ses propriétés à ses enfants

25 mars 2023 Mort à Margaux (Gironde)

Laure Gasparotto

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