Pour la première fois à Angoulême, les deux camps se sont croisés, observés sans jamais vraiment dialoguer. Irréconciliables. Signe de la tension du moment, le forum sur le sujet organisé vendredi à L’Espace Franquin a eu la plus grande des peines à faire venir des débatteurs, « trop de coups à prendre », selon certains d’entre eux. À quelques heures du colloque, l’un des invités, Benoît Peeters, auteur BD et écrivain, a annulé par mail sa présence en arguant du manque de contradicteurs.
« Il y a quelque chose d’irréel chez Vivès »
Riposte ou hasard, une conférence animée par le collectif et MeTooBD dans le cadre du festival off s’est tenue aux ateliers Magelis le même jour. Le premier s’est constitué lors de l’écriture d’une tribune publiée le 17 décembre sur Mediapart et intitulée Les raisons de la colère. « La carte blanche à Bastien Vivès […] est symptomatique de la culture du viol qui imprègne encore le monde de la BD », dénonce le texte. Le mouvement MeTooBD est lui à l’origine d’une campagne d’affichage féministe qui a essaimé en ville. « Pédopornographie : éditeurs complices, diffuseurs coupables », peut-on voir sur les murs décrépits des Chais Magelis.
Photo Renaud Joubert
Apo, Lelia et Margot, 22 ans, sont en 4e année à l’École européenne supérieure de l’image. C’est de cet établissement qu’émane l’une des deux pétitions anti-Vivès lancée en décembre et signée par près de 3 000 personnes dont les trois étudiantes. L’art au service de la provocation et du politiquement incorrect, elles ne le voient pas dans l’œuvre de Vivès. « Il faut questionner ce qu’on fait surtout quand on légitime la pédocriminalité, fulmine Apo. On est fatiguées que ce soit toujours les mêmes types qui soient mis en avant et du boys band qui le soutient. » « La BD pourrait être un super médium pour d’autres représentations comme des sexualités lesbiennes, le sexe Queer ou le rapport au consentement », listent-elles à l’unisson.
Coco, dessinatrice à Libération et Charlie Hebdo - sous protection policière depuis les attentats -, est l’une des rares à s’exprimer publiquement sur l’affaire : « Il y a une absurdité et quelque chose d’irréel chez Vivès. » Principal argument de la tribune de soutien à l’auteur de Polina à venir (voir encadré). Un gamin d’un sexe de 80 cm, c’est grotesque, ça n’existe pas », poursuit-elle en référence à Petit Paul, l’un des trois ouvrages visés.
“Nous sommes amenés à traiter de sujets graves comme l’inceste, la mort, la pédophilie, les attentats, relate l’artiste. On ne doit pas se laisser enfermer dans cette politique du ressenti ou des réactions emotionnelles. Sinon on ne pourrait rien faire.”