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La transformation écologique des entreprises viendra-t-elle des actionnaires ?

Les organisations non gouvernementales s’emparent désormais des assemblées générales des entreprises pour interpeller les actionnaires sur les questions environnementales. La technique peut-elle être efficace ? Va-t-elle réorienter les choix des investisseurs et donc, par l’argent, obliger les grands groupes à accélérer leur transition ?

Greenpeace France qui investit dans TotalEnergies. Cela a tout de l’oxymore. Et pourtant, l’organisation non gouvernementale environnementale possède bien une action du groupe pétrolier. Elle a également acheté une action EDF, alors que « sortir du nucléaire » de façon progressive est au cœur de ses engagements historiques. Bien sûr, pour Greenpeace, les enjeux sont très différents, entre une entreprise dont une part majeure de l’activité pose des questions de sécurité et de gestion des déchets mais relève d’une énergie décarbonée. Et une autre dont l’activité est, directement et indirectement (extraction et usage par les consommateurs), l’une des principales émettrices de gaz à effet de serre au niveau mondial. Mais dans les deux cas, cela peut surprendre.

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Obtenir des réponses noir sur blanc

Pour quelle raison donner de l’argent à un géant des énergies fossiles ? Pas pour investir bien évidemment, mais pour pouvoir mettre un pied dans les assemblées générales d’actionnaires, avoir accès à un certain nombre d’informations et demander des explications.

Car détenir ne serait-ce qu’une seule action permet de poser des questions. « En général, nous les posons par écrit, car l’entreprise est obligée d’y répondre. Quand le temps le permet, la réponse est donnée au moment de l’assemblée générale (AG). C’est assez intéressant parce qu’elle peut être entendue par tous les participants », souligne Florence de Bonnafos, chargée de campagne finances chez Greenpeace France. Elle relève toutefois que cette reprise en assemblée générale est assez rare.

« Total le fait quand ils ont le temps. De mémoire, je crois qu’EDF ne l’a jamais fait. Sans doute ne veulent-ils pas prendre du temps pour répondre à des questions qui peuvent paraître désobligeantes. Que ce soit le hasard ou pas, il se trouve qu’ils n’y répondent pas en direct. »

L’ONG interroge bien souvent l’entreprise sur des éléments qui ne figurent pas dans ses documents publics. « Et en règle générale, ils répondent que l’entreprise ne communique pas sur ce sujet ou bien ils répondent à côté de la plaque. Mais parfois on arrive quand même à avoir des informations, à décrypter ou avoir des confirmations… »

En mai 2022, l’assemblée générale de TotalEnergies avait été bloquée par des militants écologistes. (Photo : Bertrand Guay / AFP)

Poser des questions… Même sous les huées

Avoir une action permet aussi d’être présent à l’assemblée générale. Cela signifie qu’il est théoriquement possible de s’emparer du micro pour poser des questions directement à l’oral. Mais dans les faits, c’est souvent compliqué pour une organisation non gouvernementale. « Si vous arrivez à poser votre question au nom de Greenpeace à l’assemblée générale d’EDF ou de Total, bravo ! En général, nous sommes couverts par des huées. La liberté de parole n’est pas franchement de mise. Même si Total joue à nouveau plutôt le jeu. Cela n’en fait pas pour autant une entreprise vertueuse, mais il est arrivé plusieurs fois qu’ils fassent taire la salle pour qu’on puisse poser la question. Chez EDF cela ne se passe pas comme ça. »

Lire aussi : L’empreinte carbone de TotalEnergies est quatre fois plus élevée qu’annoncé, accuse Greenpeace

« Ce n’est pas ce qui fait avancer le schmilblick »

Pour les organisations environnementales, l’objectif premier est d’interpeller l’entreprise sur des sujets qui lui semblent importants. Et d’en garder une trace. « La plus grande utilité, c’est quand même d’avoir noir sur blanc des réponses écrites. Les questions posées à l’assemblée générale sont enregistrées et diffusées sur le site de l’entreprise. On peut ensuite s’y référer et prouver que le sujet avait été soulevé. »

Le deuxième objectif est de porter ces sujets à la connaissance des actionnaires. « Je pense qu’il y a plus d’écoute aujourd’hui sur les questions environnementales, poursuit Florence de Bonnafos. Pour Total, les actionnaires eux-mêmes posent des questions, ce qui n’était pas le cas avant. » De là à dire que ce mode d’action est véritablement efficace ? Greenpeace en est très loin : « Clairement, ce n’est pas ce qui fait avancer le schmilblick. Je pense que la prise de conscience actuelle des actionnaires n’est pas due aux questions posées par les ONG en AG ! ».

Patrick Raison, secrétaire général de l’Association nationale des actionnaires de France, est vent debout contre les opérations qui visent à perturber ou bloquer les assemblées. En revanche, il reconnaît que les questions posées à l’occasion d’AG ont déjà soulevé des points dont il n’avait pas connaissance. Mais pour lui aussi, l’effet reste limité.

Impossible de déposer des résolutions

Les règles françaises de démocratie actionnariale brident les possibilités pour les ONG et tous les petits actionnaires. C’est d’ailleurs ce qui explique que celles d’autres pays se sont emparées plus tôt de ce mode d’action. «  Les actionnaires anglo-saxons ou des pays du nord de l’Europe ont un pouvoir qui est beaucoup plus important, explique Florence de Bonnafos. En France, pour les grandes entreprises – car c’est un pourcentage dégressif – il faut avoir 0,5 % des actions pour pouvoir déposer une résolution. Pour Total, cela représente environ un demi-milliard d’euros… » On est donc bien loin de ce que permettent les finances d’ONG comme Greenpeace. « On a les moyens d’aller voir les actionnaires de Total, de pousser leur porte, de les réunir pour leur dire qu’il faut qu’ils déposent une résolution. On l’a déjà fait. Mais en notre nom, on ne peut pas. »

Un problème régulièrement soulevé mais qui tarde à être corrigé par l’Autorité des marchés financiers.

Le changement dans les mains des grands investisseurs

Pour Patrick Raison, les changements viendront donc des sociétés de gestion. « Les épargnants qui leur confient leur argent sont de plus en plus attentifs, assure-t-il. Quand vous avez des gestionnaires d’actifs de premier plan qui commencent à regarder les sujets environnementaux et qui éliminent certaines sociétés sur ces critères, cela fait vraiment avancer les choses. » Pour étayer ses dires, Patrick Raison donne aussi l’exemple du proxy français Proxinvest, une agence qui conseille les fonds pour le vote sur les différents sujets proposés lors des assemblées générales. « Il a intégré la question climatique dans sa politique de vote depuis 2022. C’est un signe. »

Mais la donne bougera-t-elle assez vite face à l’urgence climatique ? Pour Patrick Raison, « on ne peut pas dire du jour au lendemain à Total de sortir des énergies fossiles. Il faut que ce soit étalé dans le temps, sinon ce serait une catastrophe… » Une transition rapide ne servirait-elle pas pourtant les intérêts à moyens et longs termes des investisseurs ? « Les actionnaires de Total ne viennent pas pour le long terme mais parce que Total est une entreprise de rendement, rétorque Florence de Bonnafos. Ils ont des dividendes assez importants chaque année. Et c’est à peu près tout ce qu’ils voient… »