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« La transmission et l’héritage au cœur »

Sandra Neuveut, directrice de la Briqueterie (Centre de développement chorégraphique national) depuis deux ans, officie pour la première fois à la tête de la Biennale de danse du Val-de-Marne (22 bougies cette année), qui fait son grand retour après une édition 2021 contrariée par l’épisode de la pandémie (1).

Pour cette 22e édition, la plupart des pièces sont dues à des artistes femmes…

Dans la majorité des manifestations, on a aujourd’hui le souci de la parité et de la diversité. Pour autant, le dynamisme des propositions portées par les femmes permet d’imaginer une programmation, sans avoir à respecter des objectifs et des quotas ! Je suis attentive au fait que ces propositions ne soient pas uniquement destinées à de petits plateaux. La multiplicité des plateaux du Val-de-Marne permet d’ailleurs d’offrir de très bonnes conditions à chaque projet, en fonction de son format et de son esthétique.

Quelles sont les grandes lignes de cette biennale ?

Un des fils de la programmation est géographique, avec le regard tourné vers le Portugal, l’Afrique ou le Brésil, « les Sud ». L’idée de transmission et d’héritage est au cœur de la programmation. Un geste n’est jamais de nulle part et les chorégraphes interrogent cela souvent. Enfin, j’ai voulu que ce soit aussi une célébration, en conviant des œuvres joyeuses, dans lesquelles l’énergie du geste émerveille et emporte.

Il y a 20 projets au total, dont certains incontournables comme Dance, repris par Lucinda Childs, ou le Necesito, de Dominique Bagouet, chorégraphe majeur mort il y a tout juste trente ans. Quel a été, selon vous, l’apport de ce dernier à la danse contemporaine, alors en plein essor dans les années 1990 ?

Dominique Bagouet, c’est d’abord une écriture, la pluralité des corps associée à un sens du détail, à une parfaite précision. Sa technique s’allie à une incarnation qui fait vibrer. On pourrait dire de lui qu’il avait « le sens du détail touchant ». J’ai découvert son œuvre à Montpellier, lorsque j’étais encore étudiante. C’est un grand souvenir, un élément fondateur de mon engagement dans le monde de la danse. Necesito, c’est son dernier spectacle. Sa disparition est liée aux années sida, une période qui marque certainement une rupture esthétique. Après lui, nombre de ses danseurs ont créé des spectacles, d’une autre manière. Dans Necesito, on pouvait voir Olivia Grandville, Sylvain Prunenec ou encore Matthieu Doze.

Anne Nguyen va présenter Matière(s) première(s), création définie comme « ballet pour six danseurs afro ». Il y sera fait référence, explicitement, à la colonisation et à l’esclavage…

Anne Nguyen présentera sa création cette semaine. Je ne sais pas ce qu’elle donnera à voir. J’en découvrirai la forme finale avec le public. Ce qui est sûr, c’est que de nombreux et nombreuses chorégraphes interrogent les mémoires collectives, les rapports de domination et la façon dont ils marquent les corps. Les stratégies d’émancipation sont aussi explorées sur les plateaux.

« Transmettre des gestes et questionner des héritages », c’est l’un des moteurs de cette édition. On songe aux gestes des femmes dans Legacy, de Nadia Beugré (artiste associée à la Briqueterie), née et grandie en Côte d’Ivoire. Créée en 2015, cette pièce s’inspire de ce qui a eu lieu à Bassam en 1949, durant une marche des femmes.

Nadia Beugré est une immense artiste, qu’on ne voit pas suffisamment sur les plateaux. Je programme Legacy car j’estime qu’une telle œuvre doit être davantage vue et partagée. C’est une pièce qui a une dimension participative. Les trois interprètes intègrent un groupe d’une dizaine de femmes amateures, qui sont formées à une grande course chorégraphique, course incarnant les femmes en lutte pour les droits humains. Les amateures du Val-de-Marne se voient transmettre l’histoire de cette révolte de femmes ivoiriennes, comme une écriture chorégraphique. C’est passionnant !

Maud Le Pladec, dans Silent Legacy (2022), fait se croiser la Canadienne Adeline Kerry Cruz, artiste surdouée de krump, âgée de 8 ans, et la Française Audrey Merilus…

En apparence, elles n’ont rien de commun. Une enfant pratiquant le krump et une interprète professionnelle de danse contemporaine occupent successivement la scène. Maud Le Pladec réussit à nous faire sentir ce fil mystérieux où le geste de danse de l’une répond à celui de l’autre, malgré les différences d’âge, de corps, de culture, d’esthétique. L’affirmation d’une sororité du geste.

Il est question d’insectes avec la création de Silvia Gribaudi et Tereza Ondrova.

Le travail entre ces deux artistes est né pendant un confinement. Cest une pièce drôle et tragique. Se mettre à la place d’un insecte permet de questionner leur rôle et leur extinction de masse, dont nous sommes responsables. Et puis l’insecte, c’est peut-être notre principale nourriture à venir !

La Biennale, c’est 49 représentations, et la participation de 25 théâtres et villes partenaires, c’est énorme !

C’est là le pari, faire vivre la danse à travers un territoire, en exploitant le maillage des villes qui constituent le Val-de-Marne, qui a la chance de posséder des équipements magnifiques. J’entreprends un travail en commun passionnant, avec tous les directeurs des théâtres participants. Cette Biennale a une très riche histoire (là aussi, on peut parler de transmission et d’héritage). L’un de mes souhaits, pour le futur, c’est d’aller aussi vers les villes où il n’y a pas de théâtre. Que tout le territoire entre dans la danse !