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La trottinette électrique mérite d'être défendue

Temps de lecture: 3 min

Du lundi 27 mars au dimanche 2 avril, les citoyens parisiens devront trancher: faut-il mettre fin aux services de location de trottinettes électriques –on appelle ça le free floating, si vous voulez briller en soirée– dans la capitale?

Organisatrice de cette consultation, Anne Hidalgo a déjà indiqué sa position: pour l'interdiction. À dire vrai, l'épilogue fait peu de doute. Qui se battra pour préserver l'existence des ces deux-roues électriques qui, trop souvent, jonchent les trottoirs, quand ils ne slaloment pas entre les passants?

Même l'impopularité de la maire de Paris ne suffira pas à déclencher, par esprit de contradiction, l'enthousiasme en faveur du «trottinetiste». Juché sur son engin, hautain depuis sa hauteur, celui-ci dégage de la suffisance. Et agace d'autant plus qu'il se faufile prestement vers sa direction, alors que vous êtes coincé au carrefour dans votre auto.

Plus surplombant que le vélo, plus effilé que la moto, plus rapide que le piéton, l'usager de la trottinette est le bouc-émissaire parfait. La tête à claques de la mobilité douce.

En quelques d'années, il –ou «elle», mais quand même souvent «il»– s'est hissé dans le hit-parade des figures les plus détestées de la capitale –et des autres grandes villes françaises bénéficiant elles-aussi de free floating. Dans l'inconscient collectif, l'utilisateur de la «trott'» est associé au start-upper ou au «jeune de cité» –ce qui, dans les deux cas, condamne sociologiquement à la réprobation silencieuse.

Des avantages, envers et contre tout

Et ce, sous les feux croisés de la droite et de la gauche. «Pour les conservateurs, les usagers de trottinettes sont perçus comme des jeunes cons, des gauchistes décadents et irrespectueux. Mais pour les écolos radicaux, ils sont les complices du gaspillage de terres rares et de batteries. D'ailleurs, au début, certains groupes cisaillaient les câbles des engins», souligne le romancier Aurélien Bellanger, auteur du Vingtième siècle, qui m'a tout enseigné du plaisir de rattraper quelques minutes de retard grâce audit véhicule (puis ça nous est passé).

Bien sûr, le chaos actuel plaide pour l'interdiction. La rue parisienne, à force d'individualisme généralisé, ressemble désormais à un vaste système de prédation, façon chaîne alimentaire: les piétons sont effrayés par les trottinettes, qui sont elles-mêmes frôlées par les scooters, lesquels sont à la merci d'une automobile qui déboîte… Et ainsi de suite. Qui n'a jamais bisqué en croisant une trottinette chevauchée par un duo à contresens sur une piste cyclable?

Pour autant, n'y a-t-il pas d'autre issue que le bannissement pur et simple? Tentons de prendre le contre-pied, de réhabiliter ce destrier aux couleurs criardes.

Électrique, il ne fait pas de bruit. Léger, il ne dégrade pas le bitume (qui n'a d'ailleurs pas besoin de cela). Il consomme peu d'énergie –et une énergie sans émission directe de CO2.

Sur la route, il occupe un minimum d'espace: celui d'une carrure humaine. On ne peut pas faire moins. «Pendant ce temps, on accepte que soient stockés dans nos rues des amas de métal de deux tonnes, les automobiles», remarque Aurélien Bellanger.

Un aveu d'impuissance politique

Certes, au panthéon des modes de déplacement vertueux, rien ne dépassera jamais la Sainte-Trinité vélo-métro-marche. Mais au moment où les transports en commun parisiens sont aléatoires (restons polis, faisons dans l'euphémisme), où les vélibs se montrent indignes de confiance (celui-ci a le pneu dégonflé, celui-là n'a plus de chaîne…), faut-il alourdir la peine de ceux qui ne possèdent pas de voiture, en supprimant un mode de déplacement alternatif?

Plus grave: l'interdiction sonne comme un aveu d'impuissance politique. Cette industrie existe, elle répond à un besoin, trouve ses clients, comme dans toutes les grandes villes du monde… Mais parce que les autorités ne parviennent pas à réguler ce nouvel usage, il faudrait l'éradiquer? Imaginons la tête des touristes venus pour les Jeux olympiques de Paris 2024 depuis Pékin, Los Angeles, Madrid ou Budapest. Les voici s'interrogeant face à l'autochtone:
«Tiens, vous n'avez pas de service de free floating ici?
– Si mais ça a été interdit!
– Pourquoi?
– C'est comme ça.»

D'ailleurs, jusqu'ici, Anne Hidalgo avait opté pour le durcissement des règles, à juste raison: amendes pour les engins laissés sur la chaussée, places de parcage obligatoire sous peine de retenue financière, enregistrement des utilisateurs… Ce qui a atténué le Far West concurrentiel: douze opérateurs proposaient leurs machines aux couleurs flashy sur les trottoirs de la capitale française, contre trois autorisés aujourd'hui.

Par définition, l'apparition d'un nouveau moyen de transport perturbe les usages, crée des nuisances, génère du désordre… avant que les usagers s'assagissent, contraints s'il le faut par la sévérité des pouvoirs publics.

Il en fut ainsi de l'automobile. En France, plus de trente ans se sont écoulés entre l'apparition de la première voiture produite en série (la Panhard & Levassor en 1890) et la publication du code de la route (1921). La circulaire qui en découle, toujours en 1921, vise à «sauvegarder l'universelle renommée du réseau routier de la France, mis en péril par la nature et l'intensité de la circulation moderne».

Autrement dit, le défi n'est pas neuf. Et la régulation demeure une piste préférable à l'interdiction. Une piste prise à contresens par cette votation citoyenne.