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La vie en vert: quand l'écologie devient un critère pour bâtir un couple

Temps de lecture: 6 min

Peut-on encore être en couple avec une personne qui n'a aucun intérêt pour les questions environnementales lorsque l'on est soi-même écolo? Désormais, pour certaines personnes, la réponse est non, à l'image d'Amandine, 31 ans. «C'est tout simplement inenvisageable. L'écologie est ancrée dans mon quotidien, je ne pourrais pas imaginer entamer une relation avec quelqu'un qui ne s'y intéresse pas, voire pire, qui multiplie les gestes anti-écologiques.»

Le phénomène atteint même les sites de rencontres. En témoigne une étude de mars 2023 menée auprès des utilisateurs français de l'application de dating Bumble. Sur la question de l'importance de la sensibilité environnementale dans le choix d'un partenaire, 59% des participants disent vouloir rencontrer des personnes qui partagent les mêmes opinions qu'eux en matière de développement durable et de responsabilité environnementale. Le couple serait-il donc devenu une caisse de résonance pour la cause écologique?

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Vers une politisation des relations affectives

Compte tenu de l'urgence écologique et de l'augmentation de l'éco-anxiété au sein de la population, vouloir partager le quotidien de personnes conscientes de la nécessité de lutter contre le changement climatique peut paraître couler de source.

Mais pour Vincent Citot, philosophe et enseignant à Sorbonne Université, cela s'inscrit dans un processus plus global de politisation des consciences. «L'opposition croissante entre deux visions de l'histoire, progressiste et décliniste, amoindrit la tolérance des individus envers les opinions différentes des leurs, chaque “camp” accusant l'autre d'être responsable des maux de notre société. Conséquence: on n'a pas envie de se mettre en ménage avec quelqu'un qu'on voit comme un coupable. Cela vaut évidemment aussi pour les questions écologiques: on ne veut pas construire un couple avec une personne qui nous paraît être complice de la destruction de l'environnement et des ressources naturelles.»

«Quelqu'un qui nie le changement climatique me fait le même effet qu'une personne qui se fiche de l'égalité femmes-hommes.»
Rose, 23 ans

En parallèle, les réseaux sociaux ont amplifié la polarisation des opinions sur des questions brûlantes de société: l'environnement, mais aussi l'économie, l'égalité femmes-hommes, les frontières, la religion, la laïcité, etc. «Les algorithmes nous présentent des contenus qui nous satisfont et consolident nos opinions, indique Vincent Citot. Ainsi confortés dans nos propres idées, celles des autres paraissent choquantes. Bien sûr, le couple n'est pas épargné par cette dynamique. Aujourd'hui plus que jamais, on éprouve le besoin de partager les mêmes valeurs et la même éthique de vie que notre entourage et notre partenaire amoureux.»

Avant de rencontrer son actuel compagnon, Amandine a passé plusieurs mois sur les applications de rencontre. Elle se souvient que la politique s'invitait rapidement dans ses conversations. Le sujet de l'écologie était alors souvent abordé: «Je suis tombée sur des personnes ouvertement climatosceptiques. Quand c'était le cas, ça me refroidissait immédiatement et je coupais court aux discussions.»

Pour Rose, 23 ans, la sensibilité environnementale est un principe politique sur lequel elle ne peut transiger. «Quelqu'un qui nie le dérèglement climatique ou qui revendique de vivre sans se préoccuper de ces questions, ça me fait le même effet qu'une personne qui vote à l'extrême droite ou se fiche des enjeux liés à l'égalité femmes-hommes. C'est impossible pour moi de faire abstraction de ce genre d'informations.»

Les femmes, plus exigeantes à cet égard que les hommes

D'après l'étude publiée par Bumble, 70% des femmes âgées de 18 à 24 ans trouvent plus désirable une personne qui prend activement des mesures pour réduire son empreinte écologique. Déjà en 2018, une étude menée par Mintel, société d'études de marché britannique, révélait l'existence d'un eco gender gap, c'est-à-dire un fossé entre hommes et femmes en termes d'écoresponsabilité. Les résultats laissaient apparaître que 71% des sondées britanniques essayaient de vivre de manière plus éthique, contre 59% des hommes.

Une tendance qui peut s'expliquer par une socialisation différenciée entre les genres. Un procédé qui conduit plus facilement les femmes à se soucier des autres, à faire preuve d'empathie et d'altruisme; là où la socialisation des hommes mène leurs pairs masculins vers une recherche de performance et un goût pour la compétition.

Cette inclination socialement construite des femmes à «prendre soin» –qui a donné naissance au concept de care–, s'étend au domaine de l'environnement au sens large. Elle se traduit par un intérêt plus marqué pour la préservation des ressources naturelles ou la prise en compte des vulnérabilités humaines et animales.

Corollaire de ce phénomène, les femmes préfèreraient donc se mettre en couple avec des personnes qui se soucient de l'écologie, qu'elles perçoivent, d'après une étude américaine de 2020, comme plus altruistes et plus fiables. Alors que les inégalités de genre continuent d'affecter la vie des femmes, la recherche d'un ou une partenaire témoignant d'une sensibilité particulière à l'environnement laisse entrevoir la possibilité de trouver en l'autre une écoute et une compréhension des différents mécanismes de domination qui structurent nos sociétés.

Entre théorie et pratique: à la recherche de l'équilibre

Ana, 25 ans, étudiante spécialisée sur les enjeux de RSE (responsabilité sociétale des entreprises) compte bien faire des questions environnementales son cœur de métier. Ironie du sort, son compagnon ne semble pas s'en soucier outre mesure. «Lui vient d'une famille plutôt aisée qui ne s'est jamais souciée de tout cela et pour l'instant, il suit ce modèle. Je ne vais pas cacher que ça provoque des conflits assez souvent entre nous.»

Malgré tout, cette différence de valeurs n'est pas rédhibitoire pour la jeune femme: «Il me donne l'impression de vouloir progresser petit à petit, et c'est déjà une victoire pour moi. Et puis, en dehors de l'écologie, c'est quelqu'un de très humain, à l'écoute des autres, altruiste. Finalement, c'est ce qui compte le plus pour moi. Je suis convaincue qu'il va faire son chemin et petit à petit s'approprier les enjeux environnementaux.»

«On partage les mêmes idées en faveur de la justice sociale ou d'une société plus inclusive.»
Adel, 32 ans, au sujet de son couple avec sa compagne, écolo convaincue

Le plus important pour les individus particulièrement soucieux de la cause écologique serait-il donc surtout de pouvoir ouvrir le dialogue sur ces sujets, avec l'espoir d'aller ensemble vers des modes de vie plus durables?

Lisa, 27 ans, engagée pour l'environnement et l'égalité femmes-hommes depuis des années, ne veut pas s'enfermer dans une posture rigide sur ces enjeux. «Je trouve que c'est élitiste de chercher chez l'autre le même niveau de sensibilisation écologique que moi. Je réalise qu'en fonction de sa réalité sociale, de son entourage, de son milieu de vie, tout le monde n'a pas l'espace mental d'endosser le combat écologique et de conceptualiser ces enjeux.»

Le monde est peuplé d'écolos qui s'ignorent

Adel, 32 ans, est l'exemple type de l'écolo malgré lui. «L'écologie n'a jamais fait partie de ma culture familiale, raconte-t-il. Chez moi, on ne recyclait pas et on ne parlait jamais d'environnement. Pour autant, j'ai été élevé dans une sobriété forcée en raison de notre situation économique. Cela m'a inculqué des habitudes que j'ai conservées et qui font qu'encore aujourd'hui, mon empreinte carbone est relativement faible. Au quotidien, j'achète très peu de choses, j'utilise mes affaires jusqu'à ce qu'elles soient complètement hors d'usage. Je vis en ville donc je n'ai pas de voiture et je voyage assez peu.»

Avec sa compagne, écolo convaincue, ils se retrouvent sur des valeurs fondamentales, qui, même s'il ne les qualifie pas d'écologistes, s'en rapprochent fortement. «C'est vrai que je mange encore de la viande, alors qu'elle a arrêté depuis longtemps et que je ne suis pas encore un expert du recyclage… Mais on partage les mêmes idées en faveur de la justice sociale, de la nécessité de construire des sociétés plus inclusives. Même si on ne met pas les mêmes concepts dessus, ça nous rassemble.»

Lisa se retrouve dans l'importance de se mettre en couple avec une personne qui partage une vision globale de ce qu'est une société désirable. «Sans parler d'écologie au sens pur, ce qui compte pour moi aujourd'hui, c'est d'être avec quelqu'un qui est capable d'articuler les différentes formes d'oppression présentes dans notre société: raciste, sexiste, économique, etc.»

Depuis qu'elle vit à l'étranger au plus près de la nature, elle a nuancé ses attentes vis-à-vis des autres par rapport à l'écologie. «Aujourd'hui, je rencontre des personnes qui, sans avoir intellectualisé les enjeux écologiques ou en faire un combat politique, sont plus en contact avec le vivant que beaucoup de personnes que je connais qui se déclarent écolos. En fait, tant que les personnes rêvent à un monde plus égalitaire pour tous, on peut s'entendre.»