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«Le care rappelle que nous sommes tous interdépendants»

Comment bien se soigner, bien vivre, bien vieillir ? Rendez-vous à Caen, les 9 et 10 décembre au MoHo avec le LibéCare pour débattre avec médecins, intellectuels et experts. En attendant l’événement, réalisé en partenariat avec la région Normandie, la MGEN et l’ADMD, Libération publiera dans un dossier dédié articles, tribunes et témoignages.

Cynthia Fleury est professeure titulaire de la chaire Humanités et Santé du CNAM, et titulaire de la chaire de philosophie au GHU Paris psychiatrie et neurosciences.

Le terme de «care» est désormais bien installé dans le débat d’idées en France. D’où nous vient-il exactement ?

On trouve la première occurrence clinique à partir des années 50 et les travaux de Donald Winnicott. Le «care», nous explique alors ce pédiatre et psychanalyste britannique, c’est ce qui se différencie du «cure», le traitement médical purement technique. Complémentaire, donc, mais pas secondaire : Winnicott clame que ce care est absolument déterminant dans l’accompagnement de la psychologie humaine.

Comment ce concept va-t-il ensuite s’enrichir au fil des décennies ?

A la fin des années 80, portée par la philosophe et psychologue américaine Carol Gilligan, se développe une vision du care plus typique des «women’s and gender studies» (études des femmes et de genre). Le care y prend la forme d’une morale genrée, et d’une manière plus altruiste de concevoir sa propre autonomie : en prenant très fortement en considération la place des autres.

Les années 90 vont, elles, politiser grandement le concept. Elles le déféminisent, le dénaturalisent. Le care devient une façon de «maintenir, perpétuer et réparer notre monde», dit la politologue et féministe américaine Joan Tronto. Il est aussi, selon elle, une sorte de phénoménologie du politique : un moyen de mettre en lumière à la fois la portée déterminante du soin dans toute la société, et son invisibilisation, sa dévalorisation. Aujourd’hui, enfin, on pourrait parler d’un nouvel acte du care, dédié à la relation avec le vivant et le non-humain.

En quoi le care éclaire-t-il nos relations aux autres ?

Le care définit une manière de prendre soin, de ne pas nier la vulnérabilité des individus ou des écosystèmes, de ne pas ontologiser celle-ci non plus [la traiter indépendamment de ses déterminants, ndlr], mais d’avoir assez de lucidité et de créativité pour ne pas la renforcer. La philosophie du care propose aussi et surtout une véritable déconstruction de l’idée d’autonomie. Elle rappelle qu’il n’y a aucune autonomie hors-sol : nous sommes tous vulnérables et interdépendants. Toute autonomie est une construction collective et individuelle, et seule la vulnérabilité est un fait indéniable. Simplement, certains d’entre nous, les plus privilégiés, bénéficient d’aides, donc de «soins», multiples, pour développer leur autonomie, en invisibilisant le plus souvent les pourvoyeurs de soins. L’exemple privilégié par Tronto étant celui de la femme de ménage qui vient tôt dans les bureaux ou travaille chez vous quand vous n’êtes pas là.

Le care ne se quantifie pas, ne se tarifie pas… Peut-il, dès lors, trouver sa place dans un système de santé gagné par une logique de rentabilité capitalistique ?

Le care rappelle que le soin est une activité indivisible qui demande de l’empathie, de la confiance et du temps, parce que la médecine ne soigne pas des maladies mais des personnes malades. Pour être opérationnelle, celle-ci doit articuler le cure et le care. Ne pratiquer que le premier risque de chosifier la personne, provoquer son non-consentement au soin, mettre à mal son observance, passer à côté de quantité d’autres symptômes, notamment la question de la santé mentale. Ne pratiquer que le care n’a pas de sens dans un univers qui défend, à juste titre, l’exigence de la médecine fondée sur les preuves.