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« Le Coup du fou », d’Alessandro Barbaglia : Ulysse et Achille penchés sur l’échiquier

Avec son excellent roman, l’Italien Alessandro Barbaglia réussit à faire une épopée des parties qui opposèrent Boris Spassky à Bobby Fischer, à Reykjavik, en 1972.

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« Le Coup du fou » (La Mossa del matto), d’Alessandro Barbaglia, traduit de l’italien par Jean-Luc Defromont, Liana Levi, 224 p., 19 €, numérique 15 €.

L’échiquier ! Terrain de jeu rêvé du romancier ! On peut le poser sur un paquebot naviguant vers Buenos Aires, comme ­Stefan Zweig (1881-1942) dans Le Joueur d’échecs (1943), ou l’installer dans une station thermale italienne, comme Vladimir Nabokov (1899-1977) dans La Défense Loujine (1929), le résultat est toujours le même. Le monde, alors, ne tourne plus qu’autour de soixante-quatre cases noires et blanches. Et cette bulle hermétiquement close – mais qui ­contient l’infini puisqu’on peut, dit-on, jouer, sur un échiquier, dix puissance cent vingt-trois parties différentes –, cette bulle donc, devient un microcosme idéal où faire germer les meilleures histoires d’affrontement et d’enfermement, de génie et de folie.

Les caméras du monde entier sont là

L’écrivain italien Alessandro Barbaglia en sait quelque chose. Dans Le Coup du fou, il retrace le championnat du monde d’échecs qui, en 1972, à Reykjavik, opposa le Russe Boris Spassky (né en 1937), champion en titre depuis 1964, apparemment indéboulonnable, au déjà légendaire Américain Bobby Fischer (1943-2008). Les caméras du monde entier sont là (c’est même un problème pour Fischer, car elles produisent, prétend-il, un bourdonnement qui le gêne et qui joue un rôle dans cette histoire). Bref, en pleine guerre froide, cette rencontre historique revêt une importance majeure, à la fois politique, symbolique. Et même mythique, aux yeux de l’auteur.

Car Barbaglia va jusqu’à comparer ce match à un autre affrontement Orient-Occident. Et non des moindres, la guerre de Troie. Rapprochement osé à première vue. Mais qui s’impose naturellement sous la plume de l’écrivain, aussi fin connaisseur d’Homère que de la psychologie des deux joueurs. « Boris Spassky, le grand stratège : Ulysse. Bobby Fischer, le grand guerrier : Achille. » D’un côté la férocité, de l’autre la ruse. « L’un est un lion, l’autre un poulpe (…). L’un est incapable de réfréner ses impulsions, l’autre domine ses instincts ; l’un est effronté, l’autre mesuré ; l’un semble invulnérable alors qu’il est fragile, l’autre paraît faible alors qu’il est dur comme le fer. » Comment Homère a-t-il réussi à décrire à la perfection Fischer et Spassky ? « Il y est parvenu (…) voilà tout. Les mythes sont faits pour être réécrits. »

Ce qui rend captivante cette Iliade échiquéenne, c’est pourtant moins cette comparaison (que l’auteur file jusqu’au bout avec une remarquable maîtrise) que sa plongée minutieuse et empathique dans la personnalité de Bobby Fischer. « Le monde s’est éteint dans son esprit [quand il avait 7 ans] et seule est restée allumée une lumière qui éclairait un échiquier », écrit-il. Fischer, dès lors, a quitté l’école pour ne plus faire que ça, jouer aux échecs, vingt heures pas jour. On ne lui connaît ni amis ni amours. Il boit du lait, des litres de lait Holland, toute la journée, la seule marque qu’il puisse avaler depuis sa naissance. En avion, il ne peut pas voyager sans que quatre rangées de sièges devant et derrière lui soient absolument vides. Il n’écoute jamais moins de quatre radios à la fois. Il a un QI de 180, et tout contact avec la « vie réelle » est pour lui un calvaire.

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