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« Le Meilleur Pâtissier » : Gâteaux géants, ingrédients en quantité… L’émission est-elle coupable de gaspillage ?

Trop c’est trop. Si Emmanuel Macron a sonné la « fin de l’abondance », son message n’a semble-t-il pas été entendu du côté du Meilleur Pâtissier. Lorsque Marie Portolano aux commandes de l’émission annonce « une épreuve qui va potentiellement faire grimper [les candidats] dans les tours », elle ne croyait pas si bien dire, mais c’est le public qui fait monter la pression sur les réseaux sociaux depuis une semaine. Depuis mercredi 21 septembre, le programme diffusé sur M6 est accusé de gaspillage alimentaire par de nombreux téléspectateurs, choqués de la grande quantité d’ingrédients utilisés par les pâtissiers amateurs au cours d’une épreuve.

Mis au défi de réaliser « une tour du palais de Shéhérazade », un gâteau « surmonté d’un délicat dôme en chocolat poudré or » d’une hauteur de 35 centimètres, les pâtissiers amateurs ont eu 2h30 pour suivre une recette concoctée par Mercotte, vérifiant règle à la main que le critère a été respecté en fin d’épreuve. Cette pâtisserie « monumentale » a nécessité 800 g d’œufs - on en a compté 20 dans le plat d’une candidate –, 450 g de sucre ou encore 500 g de farine. Le tout multiplié par treize, soit le nombre de candidats encore dans la course. Comptez donc 10,4 kg de farine, 5,85 kg de sucre et 260 œufs.

Alors que 94 % des Français et Françaises déclaraient faire attention à ne pas gaspiller en 2021, ce procès en gaspillage alimentaire est-il justifié et les temps qui courent doivent-ils faire revoir à la production son rapport aux quantités ? 20 Minutes tente de répondre.

« Opulence »

C’est un peu le running gag du Meilleur Pâtissier sur les réseaux sociaux. Chaque saison, un gâteau provoque de nombreuses réactions des internautes, accusant le programme de s’adonner à une séance intensive de gaspillage alimentaire en prime time. Il faut dire que la désormais traditionnelle épreuve de Mercotte, durant laquelle les participants doivent reproduire une recette technique, y va rarement avec le dos de la cuillère concernant les quantités.

Dans l’épisode diffusé mercredi 21 septembre, Manon, qui remportera ensuite l’épreuve, évoque des « quantités pharaoniques ». Un constat qui revient souvent lorsqu’on discute avec d’anciens participants. « On était souvent surpris par les quantités demandées durant cette épreuve », se souvient Aya, candidate finaliste de la saison 10 et fan du programme depuis la première saison. « Personne n’était habitué à travailler avec autant d’ingrédients. » Rachel, gagnante de la saison 6 diffusée en 2017 confie de son côté qu’elle était « dérangée par l’opulence » de certains gâteaux à réaliser. Lors de sa participation, elle avoue toutefois avoir « taillé sa route sans trop se poser de questions ».

Les deux ex-candidates, qui partagent désormais leurs aventures pâtissières sur les réseaux sociaux, disent être sensibles à la question du gaspillage. « Quand on travaille avec des ingrédients onéreux et rares comme de la vanille ou du chocolat, il ne faut jamais jeter », insiste Rachel qui réalise de nombreux biscuits et gâteaux pour des shootings photo. Lorsqu’elle doit « pâtisser » de grosses quantités, elle fait appel à sa communauté sur Instagram pour distribuer les douceurs sucrées qu’elle ne sait pas consommer elle-même.

Jetés ou mangés ?

Si les quantités bien loin de la « fin de l’abondance » posent question, le destin des gâteaux réalisés par les pâtissiers interroge aussi les téléspectateurs. Mangés ou jetés ? Les échos divergent. La gagnante de la sixième saison assure que lors de sa participation « tous les gâteaux mangeables étaient mangés » par les équipes de production et les candidats. Elle raconte encore que les pâtissiers étaient les derniers à passer à table et avaient rarement l’occasion de goûter leurs créations tant elles avaient du succès auprès des équipes. Aya n’est pas aussi catégorique sur le destin des préparations réalisées durant sa saison mais assure que « les équipes étaient assez grandes pour que tout soit mangé ».

Qui dit pâtissiers amateurs dit qu’il y a des loupés… Les deux candidates précisent que les pâtisseries ratées, trop ou trop peu cuites ou encore immangeables pour des raisons d’hygiènes sont les seules à être jetées.

Son de cloche différent du côté de Paul-Henri, candidat de la dixième saison : « Ça va être assez rapide, avec le Covid, tout était jeté », témoigne-t-il. Il explique que les candidats avaient interdiction formelle de goûter les gâteaux de leurs concurrents et qu’ils « étaient directement balancés dans des sacs poubelle sous [leurs] yeux ». En 2018, un membre de la production avait déjà confié à Libération que 70 % des gâteaux réalisés à l’écran finissaient à la poubelle. Bien que marginaux, ces témoignages interpellent.

Alors qu’en est-il vraiment ? M6 concède que des dispositions exceptionnelles ont été prises durant la pandémie, comme lorsque le tournage avait été interrompu après un cas positif. Mais la production se défend de tout gaspillage. « Mercotte elle-même est une fervente défenseuse de l’antigaspi. On fait hyper attention au gaspillage en off », martèle Jérémie Atlan, directeur du divertissement chez BBC France, qui produit l’émission. « Une centaine de personnes travaillent sur le lieu du tournage. Une fois les épreuves terminées, les gâteaux préparés sont distribués à la cantine de l’émission et disparaissent d’habitude assez rapidement. »

« Toucher tous types de pâtisseries »

Concernant les pâtisseries réalisées à l’écran, Rachel estime que les grosses quantités qu’exigent certains défis sont là pour « mettre la pression aux candidats ». « C’est clair que plus à a de chose à produire dans l’émission, plus on est pressé, ça crée du rocambolesque pour la télévision. »

Si Jérémie Atlan reconnaît un « bad buzz » autour de la « tour du palais de Shéhérazade », il indique que « la réflexion n’est pas du tout de se dire "plus c’est gros, plus c’est impressionnant". On essaye surtout de toucher tous types de pâtisseries et de techniques que les téléspectateurs peuvent reproduire chez eux. Réaliser un grand gâteau demande des aptitudes particulières donc c’est un défi supplémentaire mais nous n’en faisons pas une priorité. » Le producteur estime que les gâteaux les plus imposants ne constituent qu’une « minorité » de l’ensemble des défis présentés dans Le Meilleur Pâtissier.

Pour éviter de voir des denrées périssables finir à la poubelle, il indique encore qu’une régie cuisine de sept personnes travaille « à flux tendu » dans les frigos qui renferment les ingrédients composant les recettes de l’émission. « On ne fait jamais de stock à n’en plus finir. »

L’épineuse question de la nourriture à l’écran

Il n’en fallait en tout cas pas plus pour relancer l’épineux débat de la nourriture à l’écran. Durant la saison 13 de Top Chef, Louise Bourrat, gagnante de l’émission, avait été houspillée sur Twitter pour n’avoir prélevé que la joue d’une énorme lotte, se vantant d’un plat « zéro déchet ». Même verdict dans la saison 11 du Meilleur Pâtissier lorsque Mercotte avait demandé aux concurrents de créer la plus haute tour de biscuit. Ces exemples montrent que même à l’écran, les téléspectateurs veillent à limiter la nourriture jetée.

« Bien sûr qu’on voit les commentaires sur les réseaux sociaux et ça concerne globalement toutes les émissions de cuisine », confirme Jérémie Atlan. Il assure que ses équipes tiennent compte des commentaires des téléspectateurs. « Ça rentre dans notre réflexion pour les prochaines saisons. » Il dit vouloir « éviter qu’à l’image, ceux qui regardent aient la sensation d’un gaspillage, même si ce n’est pas le cas ».

Côté candidats, on adresse une mention « peut mieux faire » au Meilleur Pâtissier. « C’est clair que ce n’est pas dans l’air du temps, la production pourrait faire un effort, les épreuves pourraient être plus créatives », note Rachel. Elle donne l’exemple du « Vert Vert », un gâteau au matcha inspiré d’un tableau de Claude Monet, réalisé par les candidats dans le deuxième épisode de cette saison 11. « Déjà il était inspiré d’une recette que j’avais réalisée durant ma saison, s’amuse-t-elle. Et puis le côté impressionnant venait de la finesse du dessin sur le gâteau, pas de sa taille. » Adepte de l’émission depuis la première saison, Aya invite la production à éviter la « surenchère » au fil des saisons. « Est-ce que l’effet "waouh" justifie qu’on utilise 20 œufs par candidat ? Je n’en suis pas sûre », tranche-t-elle. De quoi inciter les productions à s’aligner avec les préconisations gouvernementales ? Réponse dans les prochains épisodes.