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Le nez de Cléopâtre a-t-il vraiment changé l’Histoire ?

La tradition raconte que sa beauté légendaire aurait ensorcelé César et Marc Antoine. L’égyptologue Florence Quentin remet les pendules à l’heure.

Par Marc Fourny
Representation de la reine Cleopatre, au temple ptolemaique de la deesse Hathor a Denderah, Egypte.
Représentation de la reine Cléopâtre, au temple ptolemaïque de la déesse Hathor à Denderah, Égypte. © MARTHELOT / Leemage via AFP

Temps de lecture : 4 min

Cléopâtre, reine sulfureuse, femme fatale et croqueuse d'hommes ? Si l'on en croit la tradition, sa beauté orientale aurait été si envoûtante qu'elle aurait fini par ébranler Rome en ensorcelant ses chefs César puis Marc Antoine. On connaît la fameuse phrase de Blaise Pascal dans ses Pensées : « Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé », soulignant ainsi qu'un détail ou une cause insignifiante peut parfois produire de grands effets. La littérature et le cinéma se sont engouffrés dans la brèche en personnifiant Cléopâtre en femme lascive et bombe sexuelle, sous les traits de Liz Taylor ou Monica Bellucci…

En réalité, on est très loin du vrai visage de la reine d'Égypte recensé par les archéologues, rappelle l'égyptologue Florence Quentin dans son ouvrage L'Égypte ancienne, vérités et légendes (éditions Perrin). Sur les pièces de monnaie, elle apparaît plutôt avec un petit front, de grands yeux, une mâchoire développée, un nez courbé, ainsi que des traits assez masculins… Bref, sans être vraiment laide, elle n'a rien de la « perfection hollywoodienne » qui reste tenace dans l'esprit du grand public.

À LIRE AUSSILes derniers secrets de l'Égypte ancienneEn revanche, celle qui régna sur l'Égypte en 51 avant Jésus-Christ compensait son nez finalement disgracieux par sa grande intelligence. « Plutôt que de perfection au sens classique, les textes antiques évoquent la séduction qui émane de sa personne, rapporte Florence Quentin. Plutarque, dans le portrait d'Antoine dressé dans ses Vies parallèles des hommes illustres, décrit surtout la fascination qu'exercent sa tessiture et sa science. »

Une « séduction » émanant de sa personne

Si l'écrivain philosophe rappelle que « sa beauté n'était pas si incomparable », il reconnaît que « son commerce et sa conversation » étaient particulièrement appréciés. « Sa voix était pleine de douceur et sa langue, telle qu'un instrument à plusieurs cordes, qu'elle maniait avec la plus grande facilité, prononçait également bien plusieurs langages différents. »

Cléopâtre VII Philopator était une femme lettrée, raffinée, cultivée, qui a été formée par les grands savants d'Alexandrie. Outre le grec et l'égyptien, elle parle l'arabe, l'araméen, l'éthiopien, le mède et l'hébreu, ce qui prouve une grande maîtrise intellectuelle.

À LIRE AUSSI19 juillet 1799. Le jour où un Français découvre la pierre de Rosette « Elle savait plusieurs autres langues, tandis que les rois d'Égypte, ses prédécesseurs, avaient eu bien de la peine à apprendre l'égyptien, et quelques-uns même d'entre eux avaient oublié le macédonien, leur langue naturelle », rapporte Plutarque. Elle a également été très vite confrontée aux jeux de pouvoir des palais, puisque son père Ptolémée XII fit exécuter sa demi-sœur Bérénice pour avoir fomenté un complot contre lui…

Savante et polyglotte

Plus que par sa beauté, César et Marc Antoine ont sans doute été surpris par sa force de caractère et son ambition, les Romains étant peu habitués à traiter avec des femmes à la tête de royaumes imposants – elle a une vingtaine d'années quand elle rencontre Jules César. Et l'Égypte reste un état-clé sur l'échiquier méditerranéen depuis qu'elle s'est placée sous le protectorat de Rome. Si César se rapproche tant de Cléopâtre, c'est qu'il a besoin d'elle pour assurer ses arrières : la guerre contre les partisans de son grand rival Pompée, tout juste décédé en 48 avant J.-C., est loin d'être terminée. Tenir l'Égypte, grenier à blé de la Méditerranée, c'est tenir Rome, et donc garder un atout maître dans sa manche. Cela vaut bien une alliance charnelle avec la jeune Cléopâtre, dont le fruit sera le petit Césarion.

Même approche stratégique de la part de Marc Antoine, après la mort de César, qui reçoit l'Orient en attribut lors du second triumvirat, partagé avec Octave (le futur Auguste) et Lépide (vite écarté). Marc Antoine entend consolider son pouvoir dans la région, en lançant notamment la guerre contre les Parthes, et il a plus que besoin d'une alliance solide avec le royaume égyptien, son principal vassal, pour mener à bien son ambitieux projet. Alliance qui prendra là encore la forme d'une union charnelle avec Cléopâtre, qui entend bien profiter de la situation pour renforcer son royaume…

À LIRE AUSSILa folle histoire de la découverte du tombeau de ToutankhamonOn connaît la suite : Octave sort finalement vainqueur du duel en brandissant la menace que ferait peser un empire oriental, dominé par l'Égypte ptolémaïque, face à la République romaine. Marc Antoine défait, Cléopâtre se suicide pour éviter de tomber vivante aux mains d'Octave…

Sorcière et femme fatale

Malheur aux vaincus ! Octave et les auteurs latins de l'Empire n'auront de cesse de ruiner la réputation de « l'Égyptienne », la sorcière, l'Orientale dévergondée, la femme fatale aux mœurs dépravées qui parvint à magnétiser les plus grands chefs militaires de Rome pour plonger la république dans la guerre civile. Cela fait beaucoup pour une seule femme, au nez finalement aquilin.

« Cette légende noire façonnera durant des siècles l'image d'une femme pourtant remarquablement savante et fine politique », déplore Florence Quentin. Mais forgea également son mythe en inspirant romanciers, dramaturges, cinéastes et même publicitaires, puisqu'on retrouvera même son nom sur une marque de savon…