France
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Le syndrome thatchérien

Les comptes de la sécurité sociale totalisent un déficit de 19,6 Md€ pour l’année 2022. Ce besoin de financement des comptes sociaux, s’explique. Il n’y a pas dérive des dépenses mais insuffisance des recettes. S’il y a moins de richesses créées sur le territoire il y a moins de pouvoir d’achat, moins de cotisations et moins de rentrées fiscales Deux indicateurs confirment l’affaiblissement de l’appareil de production national. Au quatrième trimestre 2022, le PIB français a de nouveau ralenti, +0,1 %, après seulement +0,2 % au troisième trimestre. Le déficit des échanges extérieurs, lui, a atteint un record, près de 4 % du PIB.1

C’est le moment ou patronat, gouvernement et Présidence de la république choisissent de nous jouer l’air thatchérien « there is no alternative » prônant l’adaptation forcée aux logiques de la concurrence, y compris au prix de la violence et rendant responsable « le coût du travail ». L’urgence serait alors à la baisse de ce coût du travail, notamment par la flexibilisation du marché de l’emploi et par la remise en question des régimes de sécurité sociale notamment ceux de la retraite.

Ce diagnostic est erroné. La compétitivité ne peut en aucun cas se résumer à une question de « coût du travail », une notion contestable qui ne peut servir d’élément de comparaison entre pays si on oublie de parler de la productivité. Il convient au moins de retenir le « coût unitaire de la main-d’œuvre », un indice qui combine coût de l’heure travaillée et productivité du travail. Et cet indice est plus bas que celui de nos principaux concurrents européens. Il a certes évolué ces vingt dernières années mais en suivant la moyenne européenne.

Les politiques d’exonération de cotisations sociales menées depuis 30 ans et de plus en plus massivement, ont par contre démontré leur inefficacité. D’autant que cette politique d’ajustement des coûts si périlleuse en soi, s’est faite à un moment où il fallait réduire le déficit budgétaire. Une façon de faire porter aux ménages le double poids, celui de la consolidation budgétaire, et celui des cadeaux aux entreprises par des hausses d’impôts. Un pari perdu au regard des résultats négatifs enregistrés : les entreprises ont empoché les aides sans que ne cesse la dégradation de la compétitivité

La perte d’efficacité de notre appareil de production est plutôt à rechercher dans la vision financière et spéculative de l’économie qui s’est imposée dans notre pays depuis trois décennies. La contradiction est patente : les grandes entreprises françaises sont globalement très rentables comme viennent une nouvelle fois de le démontrer les entreprises du CAC40. Ces dernières ont non seulement affiché 152 milliards d’euros de bénéfices mais aussi pour la plupart d’entre elles, un taux de marge à deux chiffres en 2022. Pourtant elles sont loin de protéger l’emploi et de consolider leurs parts de marché à l’exportation. Les entreprises préfèrent relever leurs profits par la spéculation quitte à s’amputer de telle ou telle activité, afin de faire davantage de gains à court terme. L’entreprise devient même « cannibale » en multipliant les rachats d’actions au profit des actionnaires : 23.7 milliards pour les seules entreprises du CAC40.

Cette financiarisation des entreprises a des conséquences directes sur l’emploi et sur l’économie française : un taux faible de recherche-développement en entreprise qui ne permet pas une modernisation des processus de production et des produits ; un effort de formation professionnelle qui stagne voire régresse ; enfin des opérations de « rationalisation » destructrices d’emplois et d’activités quand la priorité est donnée à l’investissement financier.

Il est temps de remettre cette politique à plat, de redéployer autrement -au nom de l’efficacité - les immenses subventions accordées à la refondation de la substance productive française et à la transition énergétique. Plutôt que de s’aligner sur un modèle de production « low cost » , c’est d’une véritable politique industrielle, d’une nouvelle politique de l’emploi et d’une mise en place de contre-pouvoir dans l’entreprise dont notre pays a besoin. De quoi alors réalimenter les caisses de notre Sécurité sociale. C’est en ce sens que la bataille pour l’emploi et l’industrie rejoint la lutte pour la défense de notre système de retraite.