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«Les aidants effectuent un travail invisible, gratuit, et ne s'en rendent pas compte»

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Le 1er septembre, la PDG de la RATP, Catherine Guillouard, a annoncé quitter ses fonctions pour se consacrer à ses parents âgés. Elle devient donc aidante, comme 8 à 11 millions de personnes en France, selon le ministère des Solidarités.

Pourtant, plus d'un Français sur deux n'aurait jamais entendu parler du sujet des aidants, selon le Baromètre des aidants 2022 mené par la Fondation April en partenariat avec l'Institut de sondage BVA.

Une reconnaissance qui commence par soi-même

«Ce sont des personnes non professionnelles qui viennent en aide à d'autres personnes de leur entourage pour la vie quotidienne», définit Gwénaëlle Thual, présidente de l'Association française des aidants. On est aidant·e si on accompagne un proche au quotidien, qu'il soit malade, en perte d'autonomie, en situation de handicap physique ou mental, etc. «Les aidants effectuent un travail invisible et gratuit. Et les premiers à ne pas s'en rendre compte, ce sont eux», déplore Morgane Hiron, déléguée générale du Collectif Je t'aide.

Beaucoup d'aidant·es, en effet, ne savent même pas qu'ils le sont. S'occuper de sa mère, son conjoint ou son enfant malade, quoi de plus naturel? Cela nécessite-t-il vraiment un statut particulier, des associations? Certains le refusent carrément. «Nous ne sommes pas des aidants, mais des parents», «pas des aidants, mais des aimants», entendent par exemple les associations.

«Il arrive assez souvent qu'ils culpabilisent lorsqu'ils demandent de l'aide, explique Morgane Hiron. Comme si, parce qu'ils aidaient un proche, ils n'avaient pas le droit de se plaindre.» Ainsi, la première étape lorsque l'on s'adresse aux aidant·es, c'est de leur faire reconnaître qu'ils le sont. «Souvent, cela arrive au bout de plusieurs années.»

Les femmes en première ligne

C'est pour cette raison que le Collectif Je t'aide a créé en 2010 la journée nationale des aidant·es, célébrée chaque année le 6 octobre. Car s'engager dans la voie de l'aidance n'est pas sans conséquences, d'abord financières. Si plus de la moitié des aidants sont en activité professionnelle, ceux-ci «hésitent à réclamer ou accepter des promotions, ou réduisent leur temps de travail», dépeint Morgane Hiron.

Même si, bien sûr, derrière le mot «aidants» se cachent tout un tas de «situations hétérogènes», précise Léa Toulemon, économiste à l'Institut des politiques publiques et spécialisée dans l'aidance. «On peut être aidant en faisant les courses une fois par semaine, mais aussi en étant 24 heures sur 24 chez la personne que l'on aide, que l'on lave, que l'on nourrit…», développe-t-elle. Ainsi, «plus de la moitié d'entre eux accompagnent leur proche moins de cinq heures par semaine, tandis que moins de 10% le font plus de vingt heures par semaine».

Il faut prendre en compte cette «mosaïque de situations» pour avoir une «vision nuancée» de la réalité, renchérit Gwénaëlle Thual. Par exemple, «une étude de la Dares de décembre 2017 montre que pour les parents d'un enfant malade, les trois quarts des aidants sont des femmes, et que moins de six femmes sur dix travaillent. Cela entraîne des mécanismes d'appauvrissement.» Bien souvent, donc, les femmes sont en première ligne.

«Elles sont 58% pour les aidants des personnes âgées, expose Léa Toulemon. Au niveau des conjoints de personnes âgées dépendantes, c'est mixte. Mais quand on regarde plus en détails, ils et elles n'effectuent pas les mêmes tâches. C'est ce que nous avons démontré dans notre dernière étude: les hommes effectuent davantage les tâches en dehors de la maison comme les courses, tandis que les femmes effectuent davantage les soins corporels. Le volume horaire, également, n'est pas le même.»

Épuisement psychologique

À 36 ans, Émilie, maman de trois jeunes enfants, est «aidante familiale salariée» de sa mère, ce qui signifie que, pour les soins dont elle se charge à la place de professionnels, elle touche 273 euros par mois. «Ma maman a 70 ans et souffre de handicap physique et mental, raconte-t-elle. Elle habite chez moi depuis huit ans.»

Lorsqu'elle a pris la décision de s'en occuper pour lui éviter la maison de retraite– «un mouroir», dit-elle–, elle travaillait dans le secteur bancaire. Puis elle s'est rendu compte qu'il lui fallait «être sur place». «J'ai posé une démission-reconversion et j'ai créé ma micro-entreprise de beauté et bien-être, qui me permet de travailler depuis chez moi.» Au-delà de l'avantage financier, le travail permet aussi de trouver un peu de répit: lorsqu'on est au bureau, on cesse un instant d'être aidant·es. «La question, c'est plutôt comment concilier les deux, relève Léa Toulemon. Beaucoup sont dans des situations d'épuisement.»

Cet épuisement est souvent psychologique, précise Gwénaëlle Thual: «Les proches aidants sont dans un état de vigilance permanent. Ces ressorts émotionnels et affectifs, c'est ce qui les distingue d'un professionnel, même s'ils effectuent parfois les mêmes gestes techniques.»

Alors, il arrive parfois de «péter un plomb», comme Émilie, début 2022. «Cela ne m'était jamais arrivé. Les crises bipolaires de ma mère reviennent tous les trois ou quatre mois. Durant ces moments-là, elle peut me dire que je suis une connasse, que je lui pique son argent, c'est très dur. Habituellement, j'ai un relais médical. Mais en décembre 2021, j'ai dû encaisser une grosse crise sans possibilité de l'hospitaliser, par manque de places. Ce fut de nouveau le cas en février 2022 et là, j'en suis venue aux mains, je lui ai tapé la tête, ça m'a beaucoup choquée. Je me suis rendu compte que je n'allais pas bien, j'ai eu un déclic, confie-t-elle. Et il n'y pas longtemps, ma mère a refait une crise. J'ai craint que ça ne recommence, alors j'ai appelé le 15 et j'ai extrapolé, pour être sûre qu'ils la prennent. C'est triste d'en arriver là, mais le jour même, elle a eu une place en hôpital psychiatrique. Ce fut un vrai soulagement car je ne suis pas psy, j'ai besoin d'un relais.»

Des aides de l'État encore timides

La santé physique des aidant·es peut être aussi mise à rude épreuve. «Les soucis les plus cités par les aidants des personnes âgées dépendantes sont les maux de dos, la fatigue, les troubles du sommeil et de l'anxiété», affirme Léa Toulemon. «Les proches aidants reportent souvent les soins pour eux-mêmes, indique quant à elle Gwénaëlle Thual. L'aidance entraîne aussi un rétrécissement du cercle amical.»

Devenir aidant·e ne s'improvise donc pas et mieux vaut être entouré, formé et aidé. Si une grande partie du soutien proposé vient des associations (formations gratuites, groupes de parole...), les pouvoirs publics proposent de plus en plus de solutions aux proches aidant·es, sans que celles-ci ne soient pleinement satisfaisantes.

Ainsi, en 2020 est né le «congé de proche aidant», d'une durée trois mois et rémunéré au Smic. Problème: il n'est pas renouvelable sur une carrière. «Cela signifie que parfois, les aidants doivent faire un choix entre leurs proches. Prennent-ils ce congé pour soutenir un enfant handicapé ou un parent en fin de vie, par exemple? En sachant que les situations d'aidance durent la plupart du temps plusieurs années», pointe Morgane Hiron.

Autre manquement de cette aide: les proches de personnes souffrant de maladies chroniques (comme la mucoviscidose) ne sont pas éligibles. D'ailleurs, cette allocation a concerné «moins de 2% des personnes éligibles entre fin 2020 et début 2022, soit 6.600 personnes, précise Léa Toulemon. Sûrement parce que le dispositif n'est pas très connu, mais aussi parce qu'avec les confinements, il y a eu beaucoup de télétravail, de chômage partiel, donc ce n'était pas forcément le meilleur moment pour profiter de ce congé.»

D'autre part, un projet de loi discuté en ce moment au Parlement propose, dans l'article 4, de faciliter la professionnalisation des proches aidant·es qui le souhaitent.

Quelques solutions

Pour Émilie, les deux principales améliorations à apporter sont, d'abord, «le côté financier»: «Je gagne 273 euros par mois pour doucher ma mère, lui donner ses repas, faire son lit, m'occuper de ses rendez-vous, de son linge… Professionnellement, beaucoup d'aidants sont bouleversés, doivent quitter leur travail, alors je pense qu'il nous faudrait une aide, un statut.» Ensuite, une formation aux démarches et à la logistique, «qu'un professionnel nous donne les clés de l'accompagnement d'un proche».

Enfin, pour que le poids de l'aidance ne repose plus entièrement sur les épaules des proches, il est nécessaire que le système médico-social fonctionne mieux. Cela implique de développer l'aide à domicile professionnelle, qui est «un secteur qui compte beaucoup de problèmes d'attractivité et de fidélisation, ce qui signifie que beaucoup de postes sont vacants, déplore Léa Toulemon. Le fait de ne pas toujours avoir accès à l'aide à domicile, ou d'avoir des personnes débordées ou épuisées, c'est très difficile pour les aidants. Si on améliorait les conditions de travail de l'aide à domicile, par ricochet on améliorerait la situation des aidants.»