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Les bourrelles des camps nazis

On parle sans cesse des femmes victimes. Parlons de femmes bourreaux. Celles qui sont gardiennes des camps de concentration (et d’extermination) nazis. Elles sont environ 4 000. Âge moyen : 26 ans. Presque toutes célibataires. Fanatiquement antisémites, elles admirent Hitler. Elles viennent de milieux ­modestes : filles de ferme, ouvrières, petites employées, chômeuses. L’une des plus sadiques voulait devenir infirmière. Elle a raté les examens. Une autre rêve de vivre, après la guerre, avec mari et enfants « dans une petite maison avec jardin ». Des Russes ou des Polonais seraient ses larbins. Son mari irait au travail. Et elle, demande une déportée à qui elle se confie, que fera-t-elle ? « Je mettrai les fleurs dans le vase. » Il faut imaginer cette réponse ingénue parmi les corps martyrisés. En se rappelant que dans le ghetto de Lodz les nazis interdirent aux Juifs d’avoir des fleurs.

Entrer dans les camps, c’est pour ces dames prendre du galon : gagner plus d’argent, avoir une position sociale à l’avant-garde du combat de « purification », et enfin, comme elles le découvrent très vite, acquérir un pouvoir excitant et exorbitant sur des milliers d’esclaves. Très peu d’entre elles sont jugées après la guerre. Au début, on ne les trouve pas. Ensuite, il est trop tard. La société préfère oublier ses crimes, si leur révélation la menace. Oubliées, c’est peu dire que ces femmes auraient dû ne pas l’être. Ce que Barbara Necek raconte d’elles, dans l’enquête qu’elle leur consacre1, est aussi effroyable qu’édifiant. L’enfer est dirigé par des midinettes. Quelques-unes sont des monstres-nés ; mais la plupart, comme le Néron de Racine, sont des monstres naissants : la plongée dans la violence extrême du camp, dans son absurdité idéologiquement calculée, les transforme très vite en tortionnaires.

Elles ne gardent que les camps pour femmes : si les bourreaux vivent volontiers dans les beuveries et la promiscuité sexuelle, la morale affichée est sexiste, et le travail forcé et la mise à mort des victimes ne sont pas mixtes. Il y a aussi les épouses des chefs de camp nazi. Leur présence ménagère et leur disponibilité sexuelle détendent ces messieurs après leurs rudes journées de boulot nécrophile. On pourrait appeler toutes ces femmes des bourrelles, mot charmant, presque dansant, qui est tombé en ­désuétude Le bourrelier est celui qui travaille le cuir pour les harnais des chevaux. L’une des pires a été surnommée par les déportées « la jument de Majdanek », tant elle aime piétiner à mort les déportées qu’elle croise. Elle s’appelle Hermine Braunsteiner. Après guerre, après avoir fui et passé quelque temps à Vienne, elle se marie avec un soldat américain et devient, dans le Queens, à New York, au cœur d’un quartier ouvrier, la brave Mme Ryan. Elle n’est identifiée qu’en 1964. Extradée neuf ans plus tard, elle est condamnée à perpétuité en 1981. Son mari croit qu’on l’a confondue avec quelqu’un d’autre.

Les deux grandes figures du livre sont Johanna Langefeld, première gardienne en chef de Ravensbrück, finalement virée par les nazis pour avoir montré un peu trop, si j’ose dire, d’humanité ; et Maria Mandl, implacable et mélomane gardienne en chef d’Ausch­witz. Celle-ci fut pendue. Celle-là fut cachée, probablement par d’anciennes déportées qu’elle avait protégées, pour échapper à une condamnation à mort. Elle mourut pauvre et édentée, en Allemagne, bien des années après. Le monde est atroce, la vie est surprenante. •

1. Femmes bourreaux (éd. Grasset, 304 p., 20,90 euros).